Les premières japonaises au pays de l’oncle Sam

 

certaines-jamais-vu-la-merParu en 2012, Certaines N’avaient Jamais Vu La Mer est un roman pas comme les autres : il ne présente ni personnage central ni intrigue. Il se situe à la frontière du récit de témoignage et du roman historique. Il a reçu Le Prix Pen/Faulkner Award Fiction et le Fémina roman étranger 2012. La romancière Julie Otsuka a choisi de publier un récit qui raconte l’histoire collective d’un grand nombre de très jeunes femmes japonaises « presque toutes vierges » venues avec leur langue, leurs coutumes, leurs vêtements traditionnels à San Francisco en Californie entre 1908 et 1921 à la rencontre de maris qui les attendaient et dont elles ne connaissaient absolument rien et ne possédaient qu’une photographie d’eux qui souvent n’étaient pas la leur.

Ce roman est une réelle polyphonie racontant une épopée humaine particulièrement émouvante. La romancière Julie Otsuka emploie la première personne du pluriel comme une emphase qui donne une valeur particulière pour parler d’un déracinement collectif dont sa famille aussi fait partie. Par ailleurs, le pronom « nous » produit un bruit tellement strident, depuis le début du roman jusqu’à la dernière page, que le lecteur ne peut oublier même longtemps après la lecture de ce livre.

En quittant leurs montagnes ou leurs villes japonaises, ces femmes avaient tant d’espoir de vie meilleure. Or rien ne commence bien pour elles. Car en plus des souffrances dues aux mauvaises conditions de leur traversée par bateau, ces japonaises tombent amoureuses des marins à bord et subissent des drames tant variés que nombreux. En outre, à leur arrivée en Californie, leur déception est encore plus grande d’autant plus qu’elles ne trouvent et ne connaissent qu’une misérable existence de labeur et de harcèlement de la part d’hommes violents et ivrognes. Vite, elles comprennent que ce qu’elles croyaient être un Eldorado en Amérique n’était autre qu’un véritable enfer où elles ressentaient de la honte et du désespoir .

D’une voix commune, ces femmes qualifiées d’ »invisibles» et n’ayant aucune possibilité d’exprimer leurs opinions regrettent non seulement d’avoir quitté leur pays avec lequel elles n’ont plus que le rêve, la nostalgie et les lettres comme liens intérieurs, mais surtout de ne pas pouvoir y retourner. D’abord, le voyage coûte cher puis les femmes craignent la honte vis-à-vis de leur proches. Par conséquent, elles considèrent leur vie comme un échec total dans la mesure où elles n’ont pas réussi à améliorer leur niveau social et à atteindre leurs buts malgré les efforts assidus fournis, ni à transmettre à leurs enfants leur langue maternelle, leurs coutumes et leurs pratiques religieuses et rites. Bien qu’elles aient travaillé dur dans des bordels ou en tant que domestiques ou blanchisseuses chez des particuliers, seules ou avec leurs maris, ces américaines d’origine japonaise ont suscité, malgré tout, la méfiance de l’Amérique et ont connu peurs, déportations et disparitions au lendemain du bombardement de Pearl Harbor.

Dans Certaines N’avaient Jamais Vu la Mer, Julie Otsuka aborde principalement ce thème peu connu de la migration japonaise du début du XXème siècle et l’internement et la disparition des familles américaines d’origine japonaise pendant la seconde guerre mondiale. Rédigé particulièrement avec des phrases simples, courtes et poétiques, ce roman ressemble à un plaidoyer bouleversant mais qui, fort heureusement, ne contient aucun pathos tant le vocabulaire choisi est d’une grande concision. L’auteur parvient avec aisance à restituer la réalité de cette période de l’histoire avec un tel naturel alliant objectivité journalistique, émotion et force à la fois.

La romancière qui vit à New York est venue à l’écriture après avoir échoué à accepter les conditions d’études d’art imposées par le système académique américain. En effet, Julie Otsuka est, au départ, une artiste peintre américaine d’origine japonaise peignant depuis toute petite selon son inspiration du moment de « façon libre et inconsciente ». Quand elle a senti que l’inspiration était coupée, la jeune étudiante a abandonné ses études universitaires d’art qui l’obligeaient à beaucoup peindre et à produire selon certains critères. Puis , elle s’est convertie à l’écriture après avoir fréquenté le salon hongrois pendant deux ans où elle a beaucoup lu.
Aussi s’est-elle fait remarquée dans le monde de la littérature dès la parution de son premier roman intitulé Quand L’Empereur Etait un Dieu en 2002 qui reçut de nombreux prix littéraires et fut traduit dans onze langues.
Certaines N’avaient Jamais Vu La Mer est un roman magistral vient confirmer le talent de Julie Otsuka.

 

Fatima Chbibane

Chef rédaction

Crédit photo: Yossi Tokuo Yoshida Japon

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