« Orang utan » (orangs-outangs)

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Michèle Jullian

 

 

Le monde est sublime livre d’histoire.

 

 

 

« Le monde a commencé sans l’homme et s’achèvera sans lui », écrivait Claude Lévi-Strauss, en 1955, dans  Tristes Tropiques.

Il y a à peine dix mille ans, le nombre d’animaux sauvages vivant sur notre planète était largement supérieur à celui d’homo sapiens. Une survie que l’homme doit à ses facultés d’adaptation, à ses capacités technologiques et donc à son intelligence.

        À quel prix ?

 

WWF (une ONG internationale pour la protection de la nature), ainsi que de nombreux scientifiques de toutes nationalités, tirent la sonnette d’alarme sur les dangers qui menacent notre planète. Explosion démographique, perte de la biodiversité, accélération des changements climatiques, émission de gaz à effet de serre, boulimie énergétique et consommation effrénée de ressources terrestres sont les responsables de l’extinction d’un très grand nombre d’espèces vivantes…

Dont l’orang utan, « l’homme de la forêt » (du Malais orang : homme – utan : forêt).

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Les forêts de Bornéo et de Sumatra sont les derniers refuges des grands primates que je ne pourrais plus jamais appeler « singes » depuis que je les ai approchés à Sarawak, sur l’île de Bornéo. On ne compterait pas plus de 65000 orang utan vivant aujourd’hui en liberté. D’ici à vingt ans, si la déforestation continue à son rythme actuel, l’unique singe anthropoïde d’Asie, le Pongo Pymaeus, pourrait avoir disparu de son habitat naturel.

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pluton-1l6a6927En Malaisie (à Sarawak), comme en Indonésie (à Sumatra), j’ai longé des kilomètres de palmiers plantés sur des rangées serrées. Monotonie mortelle contre profits immenses pour les États et quelques grandes compagnies. Avec un rendement à l’hectare sept à dix fois supérieur à celui de ses concurrents (colza, tournesol), le palmier à huile est le plus productif des oléagineux et le moins cher du marché.

À elle seule, la Malaisie produit environ 39 % de la production mondiale d’huile de palme, appelée aussi « or vert ». On estime les surfaces cultivées à près de 4,5 millions d’hectares. Pour l’Indonésie, les chiffres seraient plus impressionnants encore.

La déforestation massive, au profit du palmier, est une des plus grandes menaces pour la biodiversité de notre planète. Et les choses ne sont pas près de changer car l’huile de palme est non seulement l’huile végétale la plus utilisée au monde, mais elle est partout : dans nos aliments, dans nos produits de beauté et d’entretien. L’industrie agroalimentaire est la plus terrible des ogresses.

Critiquer « l’or vert » est très mal vu. Lors de son passage à Sumatra, en avril dernier, l’acteur Léonardo Di Caprio, dont on connaît le combat pour l’écologie, a osé pointer du doigt l’industrie de l’huile de palme. Il s’est fait vertement remettre à sa place – celle d’invité, et non d’activiste –  par le gouvernement indonésien. « Monsieur Di Caprio est en Indonésie avec un visa touristique, il doit se contenter d’excusions. S’il continue de violer l’ordre public en portant préjudice aux intérêts du pays, les services de l’immigration sont prêts à l’expulser », a déclaré Ronny F. Sompie, directeur général de l’immigration en Indonésie, au journal Républika.

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Que subissent les orang utan, aujourd’hui, dans notre monde prétendument civilisé ? Ils sont blessés ou brûlés au cours d’incendies censés « nettoyer » la forêt tropicale ; ils sont kidnappés par des braconniers et trafiquants qui tuent les mères pour s’emparer des petits (c’est si mignon, un bébé orang utan) puis les revendent à prix d’or comme animaux de compagnie ; ils sont menacés jusque dans les parcs nationaux touchés par les coupes illégales de bois (rapport du PNUE : programme des Nations Unies pour l’environnement).  Triste constat que je découvre au cours de mes visites dans les deux centres de réhabilitation situés près de Kuching, la capitale de Sarawak sur l’île de Bornéo.

Dans les sanctuaires de Matang et de Semenggoh, les orang utan sont des rescapés. Blessés, handicapés ou orphelins, ils réapprennent à vivre en semi-liberté et pourront, si tout va bien, être renvoyés plus tard dans leur milieu naturel.

Sur une surface de 180 hectares de forêt primaire, le sanctuaire fermé de Matang accueille une douzaine d’orang utan ainsi que de nombreux bébés repris aux trafiquants. Un havre de paix pour ces animaux, mais Matang est surtout devenu un centre d’étude du comportement des « Pongo Pymaeus ».

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Les orang utan de Bornéo et de Sumatra sont deux espèces différentes. Ils ont de longs bras et une morphologie du corps semblable à la nôtre : nous partageons d’ailleurs 97 % de notre patrimoine génétique avec eux. Les primates de Sumatra ont un manteau rouge et une barbe, tandis que ceux de Bornéo ont une robe un peu plus sombre et sont beaucoup plus imposants. La période de gestation est quasiment la même que celle des humains et la maman orang utan s’occupe de son petit pendant les quatre ou cinq années qui suivent sa naissance, période durant laquelle ils ne se quittent quasiment pas. Ce sont des années d’exploration de l’environnement et d’apprentissage de l’indépendance. C’est aussi une longue période au cours de laquelle la femelle orang utan ne se reproduit pas.

Rosli, mon guide Malais, est un passionné, c’est un plaisir de l’écouter me raconter la vie des primates du centre de Matang. Il connaît les noms de chacun des locataires ainsi que leur histoire. Aman, par exemple, est un mâle énorme qui refuse la liberté, une liberté qui lui serait fatale s’il retournait à l’état sauvage car trop lourd pour grimper aux arbres où les grands singes trouvent l’essentiel de leur nourriture : feuilles, fruits, graines et écorces. Incapable de se nourrir par lui-même, Aman pourrait être tenté de s’approcher des habitations des hommes qu’il effraierait par sa stature imposante. Il risquerait fort de se faire tuer ou de mourir de faim. Peter, lui, a été arraché des mains d’un riche marchand chinois de Sebu. Que peuvent les rangers qui n’ont pas le droit d’être armés, contre les trafiquants, qui, eux, le sont ?

 

Après Matang, je me rends quelques jours plus tard à Semenggoh, un sanctuaire intermédiaire entre centre de soin et centre de préparation au retour à la nature. Ici, les orang utan sont semi-sauvages, ils sont libres d’aller et venir dans la jungle, mais sont encore psychologiquement dépendants. La nourriture leur est proposée deux fois par jour dans des endroits facilement atteignables par un système de cordes et de plateformes en bois installées dans la canopée.

Peter à MATANG
Peter à MATANG

Les rangers qui m’accueillent ainsi qu’un petit groupe de touristes Indonésiens, nous préviennent : « Vous êtes venus à la rencontre des orang utan, mais personne ne peut vous garantir qu’ils viendront. Ils sont libres. Il leur arrive parfois de ne pas venir chercher leur nourriture plusieurs jours d’affilée. C’est leur vie, pas nos désirs, qui compte. Ils décident, pas nous. Si par chance vous les apercevez, je vous demanderais de garder le plus grand silence pour ne pas les déranger ».

Et la rencontre a lieu dans un silence émouvant, perturbé par le seul bruissement des feuilles dans les branches et le crépitement léger de la pluie qui se terminera en averse diluvienne, la mousson n’étant pas encore terminée.

Je les observe, hypnotisée par leur grâce, amusée par les jeux d’une mère et son petit, liés l’un à l’autre dans une jolie complicité. Se sachant observés par les visiteurs respectueux que nous sommes, j’ai l’impression qu’ils nous offrent le spectacle de leur liberté.

Je suis tentée de les approcher, mais les rangers me mettent en garde : ils doivent apprendre à s’éloigner de l’homme pour pouvoir, un jour, retrouver leur totale liberté dans la forêt.

« Je hais les voyages et les explorateurs », concluait, pessimiste, Claude Lévi-Strauss. Le monde finira-t-il sans nous, comme il le craignait ?  Est-ce si grave, vu les dégâts commis par l’homme et son intelligence destructrice ?

 

Michèle Jullian

Secrétariat de rédaction  Colette Fournier

Copyright: Pluton-Magazine/2016

Crédit photo: Michèle Jullian

 

Précisions géographiques :

Sumatra est la deuxième plus grande île d’Indonésie après Bornéo. L’archipel indonésien en compte plus de 15 000.

Bornéo est constituée des provinces de Kalimantan, de Sabah et Sarawak, et de Brunei.

Kalimantan est indonésienne, Brunei est un état islamique indépendant, Sarawak et Sabah sont deux sultanats situés au nord de Bornéo. Appelés Malaisie orientale, ils font partie de la Malaisie.

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