Flânerie littéraire : l’esprit de la Miami Book Fair

Par Jacquleine Couti

img_20161120_11043412193646_422714154586486_1253509034728009166_nLa 33e édition de la Miami Book Fair, manifestation qui se veut à la fois foire et salon du livre, s’est déroulée cette année du 13 au 20 novembre 2016. Au sein du campus urbain de Miami-Dade College, en plein centre de Miami, les rues de plusieurs pâtés d’immeubles ont été fermées pour créer un espace de rencontre à ciel ouvert. Ce lieu contenait un dédale de stands consacrés à tous types de livres et de publications ; et des milliers de visiteurs pouvaient y trouver également des tentes transformées en ruches d’activité pour distraire et éduquer les plus jeunes. La littérature de jeunesse avait une place de choix dans des kiosques d’exposition attrayants qui cohabitaient avec des ateliers de peinture et d’écriture mis à la disposition des enfants. Les bâtiments du campus de Miami-Dade College proposaient en plus des salles de cours et des amphithéâtres au sein desquels les membres du public pouvaient assister à des débats, des tables rondes, des forums, entre autres choses. Tous ces espaces, extrêmement riches, célébraient d’une façon ou d’une autre la production littéraire et la culture prises au sens large.

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Ce festival littéraire qui a vu le jour en 1984 sous l’égide du Dr. Eduardo J. Padrón et de Mitchell Kaplan, demande une préparation, une coordination et une logistique de plus en plus colossales. Comme le soulignent les organisateurs de la Miami Book Fair, elle se déroule toute l’année, pas simplement en novembre. Le soutien financier de plusieurs sponsors, l’accompagnement de partenaires fidèles, l’engagement des employés et des bénévoles, ainsi que le concours du comté de Miami-Dade et de l’état de Floride, assurent le succès de cet événement qui se veut avant tout culturel. Dès son origine, il a visé à la promotion de la culture dans toute sa richesse, dans tout ce qu’elle a de plus simple et de plus complexe, en un mot dans toute sa diversité. Les notions d’inclusion, d’intégration, d’ouverture, de respect et d’acceptation de l’autre se trouvent au cœur des principes fondamentaux de la Miami Book Fair. Cette approche permet au quidam, quelles que soient son origine et sa différence, de sentir qu’il appartient à une grande famille, c’est-à-dire à une même communauté. Dans le programme papier de 88 pages de cette 33e édition, les coordinatrices, Délia Lopez et Lisette Mendez, ont particulièrement insisté sur le fait que la Miami Book Fair vise à établir des ponts entre les cultures.

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Cette manifestation considère la notion de littérature dans un sens large pour accueillir des écrivains, des auteurs, des artistes, des représentants de maisons d’édition ou du monde de l’édition de tous bords. Dans son désir de resserrer les relations entre plusieurs sphères et domaines, ce salon du livre honore, par exemple, les arts culinaires, non seulement à travers des ouvrages de cuisine, mais aussi à travers la gastronomie elle-même. Les visiteurs et exposants pouvaient déguster des plats de la Caraïbe et de l’Amérique latine. La qualité et la variété des comptoirs d’alimentation d’appoint ont suggéré que Miami peut représenter un croisement culturel qui intègre aussi l’art gastronomique.

On pouvait, de plus, trouver des tentes dédiées à l’islam, informant les badauds des efforts opérés par des organisations musulmanes pour combattre l’extrémisme de quelques factions, ou encore des stands consacrés à la protection des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT). D’autres aires d’exposition s’occupaient du sort des migrants ou des réfugiés ou de la promotion d’un christianisme plus ouvert. Tous ces emplacements culturels se côtoyaient dans une ambiance bon enfant. Ce désir de partage et de dialogue, dans l’atmosphère actuelle sur fond de montée des nationalismes intolérants, que ce soit dans les Amériques, en Europe ou ailleurs, s’est avéré une vraie bouffée d’air frais.

Ainsi, la Miami Book Fair ne fait pas simplement la promotion de la culture, mais aussi celle du « vivre ensemble », un civisme qui rappelle à tout un chacun qu’il est citoyen non pas simplement d’un pays, mais du monde.

Les coordinatrices de l’événement se réjouissent que toutes les personnes impliquées dans le bon déroulement de cette foire s’attachent à renforcer un esprit de corps et de coopération. La Miami Book Fair tend à resserrer les relations de tous au sein de la société, et ce, même entre diverses communautés. Pour Délia Lopez et Lisette Mendez, les animations, les programmes éducatifs, culturels ou musicaux mis à la disposition de tous, proposent aux participants de présenter une histoire, leur histoire. Ces coordinatrices considèrent ce salon du livre comme une célébration d’histoires qui rendent hommage à la vie dans tout ce qu’elle peut offrir. Comme elles le disent si bien à ceux qui visitent ce festival : «  Thank you for helping us building community, one reader at a time » (merci de nous permettre de construire un esprit de communauté, lecteur après lecteur).

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Une des nouveautés cette année a été l’organisation de ReadCaribbean, une série d’événements centrés sur la Caraïbe pendant le weekend du 19 au 20 novembre 2016. Les visiteurs ont pu assister à des séminaires, des tables rondes ou encore des lectures d’œuvres romanesques ou poétiques d’auteurs renommés et d’autres moins connus – et qui ne le resteront pas longtemps. Quel que soit le format, le public a participé à une célébration des cultures caribéennes dans toutes leurs complexités et qui s’est déroulée hors de tout lieu commun et stéréotype habituels.

Beaucoup considèrent Miami comme un carrefour des cultures de la Caraïbe.  C’est pourquoi, chaque année, cette foire au livre met en valeur les auteurs importants de la région. Toutefois, pour cette 33e édition, les organisateurs ont voulu privilégier une approche qui facilite une meilleure découverte de certaines aires caribéennes. Cette démarche a mis l’accent sur Haïti, sa langue et sa culture à travers les discussions avec des auteurs et artistes et des manifestations culturelles. Les organisateurs ont donc préparé une série de discussions littéraires, de débats sur la langue créole ou sur le vodou (ou vaudou), de lectures d’extraits et d’activités autour de la littérature de jeunesse. Des sessions de dédicaces ont permis au public de rencontrer de manière plus intime et conviviale les auteurs après leur présentation. La littérature orale avait aussi trouvé sa place ; les contes ravissaient les petits comme les grands.

11249707_10153604433402716_6977393513266929713_nEn général, les langues privilégiées pour les sessions de la Miami Book Fair sont l’anglais ou encore l’espagnol ;  toutefois,  pour ReadCaribbean, un nombre de discussions se faisaient en créole haïtien et en français avec traduction simultanée. La session Koze Mande Chèz: Conversations on Contemporary Haitian Literature fut présentée en créole haïtien avec une traduction simultanée en anglais ; grâce à ce format, le public créolophone a pu converser de manière plus intime avec des auteurs connus écrivant soit en anglais, comme Edwidge Danticat, ou en français, comme Yanick Lahens et Gary Victor. La session Réforme : Conversation entre femmes des Caraïbes-histoires, mystère et inspiration a parfaitement illustré la diversité des langues parlées dans un même pays. Mimerose Beaubrun, Myriam J.A Chancy, Gessica Généus, Gisèle Pineau étaient les intervenantes ; certaines écrivent en français et d’autres en anglais, comme Myriam Chancy ou encore en créole haïtien, telle Gessica Généus. Que se soit en français ou en créole (haïtien et Guadeloupéen), les auteures de cette table ronde se sont bien gardées de donner une définition monolithique de la femme caribéenne. Ces intervenantes ont rappelé la nécessité de redéfinir et de repenser une vision trop souvent réductrice de la féminité, que ce soit au niveau historique, spirituel, social, entre autres.

La forte présence d’Haïti et de sa langue créole s’explique par le fait que cet événement a été sponsorisé par la Sosyete Koukouy avec le concours de Bocas Literary Festival et ReadJamaica et le soutien des groupes philanthropiques  John S. and James L. Knight Foundation et Green Family Fondation. La Sosyete Koukouy est une organisation qui se bat pour préserver la culture haïtienne aux États-Unis à travers l’éducation, l’action et le développement culturels et les arts. L’action des membres de ce groupe créé en 1985, démontre la volonté des Haïtiens de la diaspora d’établir des ponts avec leurs compatriotes et familles qui demeurent toujours dans l’île. L’étroite collaboration de Jan Mapou, Myrtha Wroy, Jerry Delince et Cergine Cator, tous membres de la Soseyte Koukouy, a contribué à la réussite de cette première édition de ReadCaribbean qui a passionné les visiteurs de par sa richesse et la possibilité qu’ils avaient de rencontrer en toute simplicité des écrivains et auteurs de renom.

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Les festivités ont commencé le samedi 19, à 10h30, avec la session intitulée Transatlantic pollination (pollinisation transatlantique) à laquelle j’ai eu le plaisir de participer aux côtés des chercheurs suivants : Laurent Dubois, Ronaldo Angelo Johnson, Andrea J. Queeley, and Marlene L. Daut. Tous les intervenants ont invité l’audience à revisiter et à repenser la façon d’appréhender les Caraïbes comme lieu de rencontre et carrefour de cultures. Chaque intervenant a revisité la notion de « rencontre coloniale » et a repensé ses ramifications. Pour ce faire, les discussions ont porté sur la symbolisation du corps féminin en allégorie politique et/ou culturelle, sur les origines africaines et Caribéennes du banjo (instrument souvent considéré comme purement américain) ou encore sur la construction de l’identité individuelle et raciale des afro-descendants originaires de la Caraïbe anglophone ayant immigré à Cuba au début du 20e siècle. Chaque participant a cherché à s’éloigner d’un discours qui insiste par trop sur la victimisation de certains individus lors de l’arrivée des Européens sur de nouvelles terres à conquérir. Ces chercheurs ont choisi d’autres types d’interactions. On ne discute pas assez des moments pendant lesquels les Africains réduits en esclavage ou leurs descendants (libres ou non) qui vivaient dans la Caraïbe ont démontré qu’ils se prenaient en main pour (ré)inventer leur futur. La discussion de Ronald Angelo Johnson sur les relations et tractations diplomatiques entre le président John Adams et Toussaint Louverture a particulièrement démontré ce point. Pour finir, lors des conversations avec l’auditoire sur la création artistique et son aspect politique, cette session a souligné l’importance du corps et de l’affect dans la façon dont l’individu négocie ou compose avec un système oppressif : créer (du beau et du sublime) peut se concevoir comme une expression du politique.

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Au-delà de toute considération mercantile et commerciale, l’une des leçons à retenir de La Miami Book Fair demeure le désir des organisateurs de toucher les gens de façon holistique pour promouvoir le respect de la différence. Cette volonté mine une idéologie prônant la peur de l’autre et elle permet à chacun de reconnaître sa propre humanité dans celle de l’autre. Comme on le dit en créole : « Tout moun, sé moun » ou encore en anglais « people are people » : nous faisons tous partie du genre humain. Il est vrai que dans la salle réservée aux auteurs, endroit où ils pouvaient se reposer et se restaurer entre les différentes sessions, les discussions sur les résultats des élections américaines allaient bon train et donnaient lieu à des prévisions pessimistes voire alarmistes. Ces inquiétudes ressurgissaient aussi dans certaines sessions lors du dialogue entre intervenants et membres de l’assistance. Toutefois, hors de ces espaces, la foule qui déambulait entre la kyrielle de stands alors qu’elle côtoyait d’avides lecteurs qui feuilletaient et achetaient des livres, avait quelque chose de réconfortant. De même, la masse de gens qui assistaient aux présentations et qui posaient des questions, avait quelque chose d’exaltant. Quant au spectacle des enfants qui jouaient dans les aires de jeux ou qui tenaient des livres et les regardaient avec passion, adoration ou émerveillement, il pouvait se lire comme une promesse, il se peut ténue, d’un avenir meilleur.

La soif de connaissance des jeunes et des tous petits, leur joie de se plonger dans le monde de l’écriture pensé dans un sens large, celui qui englobe aussi bien les bandes dessinées que les romans ou textes poétiques, laisse envisager un futur moins sombre. C’est à nous de bien le construire, un livre ouvert à la fois, une page tournée à la fois. La lecture n’est toujours pas morte ; moribonde pour certains, elle reste encore bien vivante. Elle permet aujourd’hui plus que jamais pour l’esprit critique, ouvert et curieux, de découvrir diverses cultures et de mieux accepter et reconnaître l’autre. Tel est l’esprit de la Miami Book Fair.

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Rédactrice Jacqueline Couti

Secrétariat rédaction Colette Fournier

Copyright Pluton-Magazine/2016

Crédit photos Miami Book Fair-Jacqueline Couti

Jacqueline Couti est enseignante-chercheuse à l’université du Kentucky, Lexington, USA. Elle spécialise ses recherches dans les littératures et cultures francophones des anciennes colonies françaises des Amériques, de l’Afrique du nord et de l’ouest. Elle se consacre aux questions de genre, de race, de sexualité, d’identité et de nationalisme. En juin 2016, Liverpool University Press a publié Dangerous Creole Liaisons: Sexuality and Nationalism in French Caribbean Discourses from 1806 to 1897 .

(https://www.amazon.fr/Dangerous-Creole-Liaisons-Nationalism-Discourses/dp/1781383014/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1477392081&sr=8-1&keywords=couti).

En mai 2014, L’Harmattan a publié dans la série Autrement Mêmes, son édition critique de MAÏOTTE : Roman Martiniquais inédit de Jenny Manet publié en 1896. Elle travaille aussi sur un second manuscrit intitulé Sea, Sex, Self : Sexuality and Nationalism in French Caribbean Discourse from 1924 to 1948.

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