Une promenade en poésie (13): Patrick Chemin

Scintillantes stalactites.

Patrick Chemin est né en 1956 à Chambéry où il vit. En quarante ans, il a publié une quarantaine de livres. Principalement de la poésie. Il a aussi écrit pour le théâtre et le cinéma. Il a travaillé avec de nombreux peintres et photographes. Il a aussi beaucoup fréquenté le milieu de la musique où il a produit trois albums. On a pu entendre son travail sur France Inter, France Musique et rencontrer son écriture au Festival d’Avignon, en Pologne et sur de nombreuses scènes. Tout en restant un auteur confidentiel à l’image de la poésie, Patrick Chemin rencontre de nouveaux publics en France et à l’étranger.

 Marais de Lavours *

Pose ta vie un moment près des iris sauvages du marais. Demeure un instant dans le secret des arbres. Ne demande rien. N’attends rien. La patience de la terre est infinie. C’est un long murmure depuis la nuit des temps. Ta vie est une éternité. Ne passe pas à côté. Parfois la lenteur. Parfois la précision du mot et l’humilité du chant.  Parfois le vent du soleil. Parfois tout en haut des cimes de l’imaginaire. Parfois dans l’abîme du trop et des impasses de la pensée obsédante. Ton petit caillou, pose-le sur ton cœur. Respire. Ta vie est une éternité. Ne passe pas à côté.

 

 

Tu aimais les iris *

Tu aimais les iris. Je t’ai donné un chant de fleurs et

d’oiseaux sous le ciel.

Tu aimais la musique. Je t’ai donné la sonate inachevée

du vent dans les branches du vieux sud. Je t’ai

donné le requiem de l’automne.

Tu aimais l’amour. Je t’ai donné l’écoute.

Tu aimais la lueur de la lune. Je l’ai posée dans mes

mots au milieu du papillon de la nuit.

Tu aimais les silences du corps. Je t’ai donné le souffle

apaisant et la géographie lente de caresses partagées

à l’infini.

Tu aimais la cathédrale des forêts.

J’ai marché sous les vitraux et pour te donner la paix

infinie et le sens, j’ai laissé venir à moi le chant qui

reliait le profane des mousses et la foi des pierres.

Tu aimais l’amour. Je t’ai donné le corps des immensités.

Je t’ai donné l’écoute. Et à chaque voyelle du

voyage, j’ai pu inventer une source à tes désirs.

Et puis j’ai aimé le silence que tu murmurais car il

était ton enfant et ton origine.

 

 

Au verger *

Je n’ose plus dire au verger

L’âge que j’ai

La pomme de nos jours

Est à la mesure d’un printemps

Qui semble inépuisable

*

Viendront l’été

Ses foudres

Et ses reniements

L’automne

Ses braises

Dans l’âtre intime

De nos acquiescements

*

Tu sais

L’hiver est une ville recluse

Sa porte immense

Ne s’ouvre qu’une seule fois

Sous les étoiles furtives

Qui tombent

Qui disent au verger

L’âge que j’ai

 

 

 

 

Carrare *

S’il vous plaît

Refermez la chambre un moment

Que la folie du monde se taise

Que la vie soit plus belle que la vie

Que les anges vacillent dans la mouvance du désir

Que le baiser de la jeune mariée donne au ciel

Une aurore de santal et de sel

Que dure sur la mer immense

Eternelle

La traversée des innocences

Que la noce des arbres en pollens

Donne aux insectes

La déraison des sentiments

Un chemin de terre de pommes et de miel

Dans ces rues de marbre

Villages et lumières

Enroulés autour des collines

Printemps de Toscane

S’il vous plaît

Refermez la chambre un moment

 

 

 

Le marcheur *

 

Pour celui qui gravit la montagne

Il est déplacé de se prétendre le meilleur ou le seul

Mais il est sage de se concentrer sur son pas

La rumeur importe peu

Pour celui qui est au plus pur de l’écriture

Peu importe son nom il écrit pour nous tous

Ecrire est un chemin dans la montagne

Toute une vie ne suffit pas pour atteindre le sommet

Mais le bonheur du jour est là présent dans la connaissance

Conscient de la douleur humaine

Conscient de la beauté du monde

Vivre est ce passage abrupt

De la douleur à la beauté

De l’extase à l’impuissance

Du silence à la sérénité

Ecrire concilie tous ces paysages dans le regard du marcheur

 

Dignité du crépuscule *

Le silence s’efface lentement sur la terre où nous passons. Il reste l’indulgence et la compassion des forêts. Il reste un arbre tout en haut de cette colline de pardon. Et si nous prions, c’est pour des dieux de terre mais la prière est précaire. Il nous reste l’imaginaire des anges. Cet amour végétal, au plus profond de nous-mêmes, qui pose sa tête sur l’épaule des solitudes. Le silence magnifie les branches et le texte de l’écorce. C’est ta vie que tu versifies dans la pluie traversière. Tu te dois de lui donner la musique la plus belle et l’espace pour s’envoler. Car nous sommes des oiseaux dans la lenteur verticale de l’existence. Et puis tu le sais bien, le temps ne se retient pas. Même dans la cathédrale de l’instant présent, le vitrail pressent dans sa lumière le passage de l’aube et la dignité du crépuscule.

 

 

 

Plus de mots *

J’ai peur du silence qui viendra

Quand je n’aurai plus de mots

Pour le nommer

 

 

 

 

 

 

Premier givre *

Que dire aux enfants sourds

Qui marchent le long des routes

Que dire à la beauté ?

Et l’obscurité nous saisit

Comme un premier givre

 

 

 

 

 

L’équilibre semble reposer sur l’immobile *

Le ciel est immense

Il a dans le bleu

Cette densité de gris que pardonne l’hiver

La certitude du météore

Sa miséricorde

Le ciel retient une lumière neigeuse qui éclaire

L’ensemble et l’intime

La vie tout en bas semble figée

Intérieure

 

Les arbres sont tendus vers une lumière opaque

Un soleil de farine

Un Dieu de pain blanc

L’équilibre semble reposer sur l’immobile

 

A cette heure précise de l’horloge humaine

Le silence décompte les fêtes et les veillées

L’hiver semble nous apprendre sa mesure

Le poids

La nécessité de l’inaction

Avant que d’autres gestes

Ne réhabilitent le quotidien

 

 

Biographie :

 

Patrick Chemin est né en 1956 à Chambéry où il vit. Entre 1976 et 2016, il a publié une quarantaine de livres. Principalement de la poésie. Il a aussi écrit pour le théâtre. Il a travaillé avec de nombreux peintres et photographes dont Pierre Leloup et Annie Chemin. Il a enregistré trois disques avec le compositeur Philippe Cholat. Ensemble ils fondent le groupe Personnel qui tourne au début des années 80. Leur premier disque est programmé par Jean-Louis Foulquier, sur France Inter. Patrick Chemin collabore également avec la chanteuse Monique Tréhard de nombreuses années. En 1997, il se rend en Pologne où ses textes sont traduits et publiés dans différentes revues comme Fraza et Pal. C’est l’occasion de rencontres dans le cadre de la prestigieuse Ecole de Cinéma de Lodz suivies de lectures. Depuis 30 ans, il défend la Lecture Publique, notamment au travers de sa RevueOrale. En 2002, sa pièce Ce que dit Hübler reçoit la bourse d’écriture Beaumarchais-SACD à Paris. Remarqué par Claude Confortès qui décide de le mettre en scène, le texte sera monté au Festival d’Avignon. En 2011, Patrick Chemin écrit les textes du film  Pierre Leloup, Montée Hautebise. Documentaire en hommage à son ami disparu réalisé par Alain Gonay. Pendant l’été 2012, le chanteur Ricky-James lui propose de partager la scène des Estivales de Savoie. Devant près de 2000 personnes. En 2011, 2012, 2013, ses textes sont programmés  sur France Musique dans l’émission de Véronique Sauger Les contes du jour et de la nuit. Ainsi en 2013, une semaine entière sera consacrée à son livre Les écrits dans l’arbre. Début 2014 c’est la parution de Guisane, un ouvrage important qui élargit le lectorat du poète. En février 2015, il partage une lecture croisée avec Frédéric-Yves Jeannet. Il partage aussi de nombreuses lectures bilingues avec son ami le poète marocain Mohamed Aouragh. Fin 2015, c’est la réalisation d’un livre d’artiste Les chants pour Pierre Leloupen collaboration avec Maxime Godard et Mylène Besson. Maxime Godard est connu pour être le fidèle photographe de Michel Butor, mais aussi celui d’Eugène Guillevic et de bien d’autres artistes ou écrivains. En octobre 2016, c’est la parution d’un nouveau livre Les petites gares et le verger avec des illustrations de Corinne Friess. Tout en restant un auteur confidentiel à l’image de la poésie, Patrick Chemin rencontre de nouveaux publics en France et à l’étranger.

Bibliographie

 

Patrick Chemin a publié quarante livres

parmi les plus récents :

Ruches (2007) Editions Gap

Les écrits dans l’arbre (2013) Editions Epingle à Nourrice

Guisane (2014) Editions Gap

Les chants pour Pierre Leloup (2015)

Livre d’artiste avec Mylène Besson et Maxime Godard

Les petites gares et le verger (2016) Editions Gap

 

Lien achat

Retrouvez les ouvrages de Patrick Chemin sur: http://www.patrick-chemin.odexpo.com/default.asp?page=7256&lg=

 

©Pluton-Magazine/2017

Une promenade en poésie/2017

Crédit photo slide: Claire de Groot

Crédit photo Maxime Godard ( portrait de Patrick Chemin)

 

 

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