Hiroji KUBOTA : un infatigable photographe

 

 

Par Takeko FUJISAWA

 

Magnum Photos est la première agence coopérative de photographes dont les actionnaires sont les membres photographes eux-mêmes. Fondée en 1947 par Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, David “Chim” Seymour et George Roger, cette agence compte aujourd’hui environ 60 photographes renommés dans le monde, dont un Japonais : Hiroji Kubota. Il a 78 ans, avec une énergie d’un jeune de 20 ans. Il a été le premier Japonais à devenir membre de Magnum et il est toujours le seul. Malgré ses 55 ans de belle carrière, il n’aime ni qu’on l’appelle photojournaliste ni photographe. Il se dit « retraité ».

 

USA. San Diego, California. 1971. Photographer Hiroji Kubota at Marine Corps Base Camp Pendleton.

 

Hiroji commence la photo vers 1959 lors de ses études à l’université de Waseda (Tokyo). Il se spécialise en sciences politiques et décide d’étudier les lieux les plus reculés du Japon. Il emprunte alors l’appareil photo de son père et voyage de l’extrême Nord à l’extrême Sud. Son projet sera publié dans le magazine mensuel japonais Bungei Shunju.

Son premier contact avec Magnum se fait en 1961, lorsque Hiroji assiste temporairement les photographes Elliott Erwitt, Burt Glinn, René Burri et Brian Brake, lors de leur séjour au Japon. Pour remercier Hiroji, Elliott Erwitt lui envoie le livre  Images à la sauvette, d’Henri Cartier-Bresson. « Quand j’ai vu les photos, j’étais ébloui !  Puis, René m’a offert son vieux boîtier Leica M3, et mon père m’a acheté les objectifs 35mm et 50 mm d’occasion Leica », raconte-t-il.  « Après avoir été diplômé en 1962, j’ai décidé de déménager à New York et gentiment, Elliott Erwitt m’a sponsorisé pour le visa. C’était un photographe très occupé. Burt Glynn m’a proposé alors d’être son assistant et il me payait 25 $ par jour. Et Cornell Capa n’avait pas d’enfants, donc je suis devenu un peu comme son fils. J’ai sympathisé avec eux à travers ma cuisine car on me demandait de cuisiner quand ils recevaient des invités », dit-il, amusé.

 

USA. Illinois. Chicago. 1969. Black Panthers protesting.

L’une des rencontres les plus importantes de sa vie, c’est André Kertész. Hiroji le rencontre en 1963, « Il m’a beaucoup influencé et beaucoup appris.» Kertész était assez proche des membres de Magnum et à chaque fois qu’Hiroji allait aux États-Unis, il allait lui rendre visite. Il a été le premier témoin du décès de Kertész, en 1985.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Son séjour aux États-Unis se déroule durant la guerre du Vietnam. En tant qu’immigrant de longue date, Hiroji reçoit l’ordre d’incorporation dans l’armée, le « draft card », par le gouvernement américain. Suivant le conseil de René Burri, Hiroji va au Vietnam pour la première fois en 1972. Ayant lui-même vécu la Seconde Guerre Mondiale, il connaît l’atrocité de la guerre et il se jure de ne prendre aucune photo des corps.

 

 

Vietnam. Saigon. 1975.

 

 

En 1965, il reçoit une importante mission pour le Centre pour l’Éducation Urbaine, dans le Greater New York. « Ils voulaient que je documente les enfants avec des handicaps», dit Hiroji. Cette mission marque sa percée dans la carrière. À partir de ce moment-là, il est officiellement considéré comme photographe de Magnum et on lui donne la carte de presse Magnum avec en plus, une carte de crédit.  Entre 1970 et 1983, Hiroji recevra 3 grands prix au Japon.

 

 

USA. NYC. 1965. Special education.

 

 

Hiroji est un infatigable photographe. Il voyage à deux reprises à travers tous les États des États-Unis et toutes les provinces de Chine. Il est allé 22 fois en Corée du Nord en 40 ans. « Je veux TOUT voir ! » dit-il en rigolant. Et maintenant, il prépare la publication d’un livre photo de 700 pages sur ce pays. « Le Président Kim Jon Il m’a donné une médaille d’honneur. Elle m’a bien servi durant mon séjour, quand j’ai eu quelques problèmes, rigole-t-il.  Mais j’ai photographié uniquement des endroits où on m’a permis et je n’ai jamais pris de photos en secret, même si j’aurais pu. Ce genre de comportement est dangereux. Vous ne pouvez pas construire une relation de confiance avec ce genre de comportement. Et je ne prends pas position par rapport à leurs décisions politiques. J’essaie de faire de mon mieux pour être le plus neutre et le plus partial possible. En fait, je suis content d’avoir étudié l’histoire de la Chine moderne et celle de la péninsule coréenne. Je pense que j’ai pu vraiment apprécier la Corée du Nord, car j’y suis allé une fois adulte et après avoir vécu et vu plein de choses différentes. »

 

 

USA. Venice Beach, California. 1989.

 

 

North Korea. Pyongyang. 1978.

 

 

« Le plus difficile, c‘est soit de prendre des photos de paysage, soit de nu, ou des photos qui procurent une stimulation intellectuelle. Pour moi, Edward Weston et André Kertész sont les meilleurs photographes de nu et leurs photos m’émeuvent. J’ai appris à aimer la photographie de paysage durant mon projet à Guilin, en Chine. Je trouve que le paysage dessine le mode de vie humain et définit la perception esthétique. Bizarrement, il n’y a pas beaucoup de photographes de Magnum qui prennent les photos de paysage. Mais dans tous les cas, tout est intéressant. »

 

 

CHINA. Guilin. 1979. Officer and water buffalo plowing a wet paddy in the Gaotian area. Soldiers of the Liberation Army and towns people help farmers during the harvest seasons. Communal agriculture has undergone many changes with the introduction of « responsibility system ». This will become a very rare scene.

 

CHINA. Zhongwei. Ningxia. 1980. Yangpi Raft. To make one goatskin raf (Yangpi fazi) takes as many as fifteen goats and a of hard work. At most these rafts last about five years.

 

 

Hiroji est aussi méticuleux dans ses choix de qualité de tirages. Il a collaboré avec le maître imprimeur de dye transfer, Mr. Nino Mondhe, à Hambourg et avec le tireur spécialisé dans le tirage platine, Mr. Kubo d’Amana-Salto, à Tokyo. « J’essaie toujours de me dire que je peux être touché par quelque chose. Alors, je vise à véhiculer un maximum de sensations/émotions, même à travers les tirages. Et grâce aux bons tireurs de photos que j‘ai connus par le passé, j’ai été entraîné à évaluer les bons tirages des mauvais. Et il y a très peu de bon tireurs de photos », affirme-t-il.

 

Depuis l’événement du 11 septembre, Hiroji s’est mis au digital à cause de la sécurité accrue à l’aéroport. « Leur rayon X est trop puissant pour les négatifs. Et imaginez le jour où ils vont inventer quelque chose qui brûle les cartes mémoires aussi. On sera foutu ! » plaisante-t-il. Grâce à la digitalisation, la photographie est devenue accessible à tous. À ce sujet, Hiroji exprime que « La photographie a une capacité d’enregistrement et nous ne pouvons pas photographier le passé. Mais savoir véhiculer une émotion silencieuse à travers une photo est difficile. Je pense que c’est bien que les gens prennent des photos, mais c’est très difficile de prendre une bonne photo. Les valeurs les plus importantes lorsque je photographie sont la lumière et la composition. Et quand je photographie une personne, j’aime inclure quelque chose qui reflète la vie quotidienne de la personne. La lumière naturelle, c’est ce qu’il y a de meilleur. Mais depuis que je me suis mis au digital, j’ai l’impression que mon énergie et mes yeux envers la photo ont un peu changé…».

 

CHINA. Hangzhou. Zhejiang 1983. Ancester worship. An old tradition brought back in the last few years, visiting temples to pray for spirits of one’s ancestors on the day of Quingming (Pure Brightness), the fifteenth day after the vernal equinox. They light red candles, burn a sheet of paper, put their hands together and recite several prayers. They go home taking the ash from the burnt paper. I saw some young people laugh out loud at older people taking part.

 

BURMA. Kyaiktiyo. 1978. The Golden Rock at Shwe Pyi Daw (the « Golden Country »), the Buddhist holy place.

 

Hiroji est non seulement photographe, mais aussi un coordinateur et un diplomate. Il organise, en 1968, une exposition réunissant 6 photographes, intitulée « Concerned photographers », dans laquelle il inclut André Kertesz, David Seymour, Robert Capa, Werner Bischof, D. Wyner et Leonard Freed. Cette exposition a lieu dans un des plus grands magasins de Tokyo, à Matuya Ginza. L’exposition est un grand succès et « vraiment par surprise, tous les tirages de Kertész ont été vendus », dit-il.

En ce qui concerne le bureau de Magnum qu’Hiroji a ouvert à Tokyo, il explique que « le bureau de Tokyo a été implanté, car j’ai pensé que Tokyo était en train de se globaliser et de même pour Magnum. J’ai commencé ce projet en 1990. Cela avait un sens pour moi d’avoir un bureau à Tokyo. Au début, je pensais qu’on avait besoin de 15 millions de dollars, mais il se trouve que j’avais besoin de récolter un demi-million de dollars ! Alors, pour récolter les fonds, j’ai constitué un portfolio étrange de Magnum que j’ai réussi à vendre. Cependant, j’avais besoin de donner ce quart de million de dollars en espèce au bureau de New York qui avait faim d’argent. J’étais content d’avoir été capable d’aider notre bureau qui est si important. »

 

Cela fait 55 ans que Hiroji photographie et il a encore plein de projets à réaliser. Il souhaiterait aller en Afrique, en Antarctique, au Brésil et accomplir un autre tour du Japon. « Mais je n’aime pas parler de mes projets, car j’ai pas envie d’être emprisonné par mes paroles et être frustré dans ma créativité. Je sais instinctivement ce que je veux », dit-il.

 

Hiroji est un observateur à long terme du monde changeant. Chaque projet dure des années avant qu’il ne soit terminé. Ses photographies ont été exposées partout dans le monde : à Tokyo, au Palazzo Vecchio à Florence, dans l’annexe du Belvédère à Vienne, à l’École des Beaux-Arts à Paris, l’Asia Society à New-York, La Cité Interdite à Beijing, le Smithonian Institution à Washington, etc.

Son exposition rétrospective est en train de tourner dans le monde, les prochaines destinations seront en Corée, au Mexique, au Brésil, au Pérou, et elle se terminera au printemps 2020, à Tokyo, au Chanel Nexus Hall.

 

 

 

 

 

Rédactrice Takeko FUJISAWA

Secrétaire de rédaction Colette FOURNIER

Pluton-Magazine/2017

Crédit Photos : Hiroji KUBOTA/Magnum Photos

 

 

Takeko Fujisawa est diplômée du MBA in International Luxury Brand Management à l’ESSEC Business School, a eu une expérience professionnelle dans le marché de l’art ainsi que dans la photographie et est d’une double culture Japonaise et Française.

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