Calazazza.
Née à Fort-de-France, Suzanne Dracius a passé son enfance en Martinique puis en région parisienne, à Sceaux. Professeur de Lettres Classiques à l’issue de ses études à la Sorbonne, elle a enseigné à Paris puis à l’Université Antilles-Guyane, à l’University of Georgia et à Ohio University (USA)
Éïa Mandela, téléostéen
Pathétique poisson volant, tu allas de Charybde en Scylla,
échappant aux dents du thon blanc
pour te jeter dans les griffes du phaéton à queue blanche,
l’oiseau rapace, le vorace qui risqua de te happer quand,
héroïque poisson volant,
tu t’élanças, téméraire,
au-dessus de l’océan,
par-delà l’apartheid des peaux.
Éïa Mandela ! Éïa !
En deçà du partage des eaux,
grâce à tes aériennes nageoires
métamorphosées en ailes,
tu te libéras, noir exocet,
universel, tu marronnas.
Éïa Mandela ! Éïa !
L’immaculé phaéton, son si beau nom à l’antique
ne saurait suffire à son colonialiste triomphe
de cruel imperator
ni pallier sa mythologique déconfiture
de ségrégationniste phaéton pas si brillant :
on l’appelle aussi paille-en-queue.
Que de la paille en sa queue ?…
Nul feu du soleil en sa paille.
Guère impressionnant, « paille-en-queue ».
Pas si redoutable. Rien de grave.
Presque dérisoire, « paille-en-queue ».
Grotesque, pour un prédateur !
Parfois le ridicule tue, et l’outrecuidance aussi :
Phaéton périt foudroyé.
Éïa Mandela ! Éïa !
Poisson, vole ! Volan[1], volé ! Sé volé ou ka volé[2],
empathique poisson volant.
Éïa Mandela ! Éïa !
« Être libre,
ce n’est pas seulement se débarrasser de ses chaînes :
c’est vivre d’une façon qui respecte
et renforce la liberté des autres[3]. »
Le commencement du monde serait mathématique ?
L’harmonie originelle sans coup férir est poétique.
Éïa Mandela ! Éïa !
Suzanne Dracius
Extrait de Déictique féminitude insulaire
[1] Volan : en créole, nom du poisson volant, mais aussi d’une créature fabuleuse de la mythologie créole aux pouvoirs magiques.
[2] Sé volé ou ka volé (créole) : tu voles pour de bon. (Chanson populaire du Carnaval antillais.)
[3] Nelson Mandela, Un long chemin vers la liberté.
Afroascendance
Afrodescendante, afrodescendante…
Plutôt qu’afrodescendante,
elle se sent afromontante,
forte de son afroascendance.
Non, ses racines africaines ne l’entravent pas.
Bien au contraire, en femme debout,
en Caribéenne surtout,
elle sent que, grâce à elles,
tel un arbre elle pousse, elle s’élève.
Elle ne se prend pas les pieds dans ses racines.
En équilibre, libre, elle danse,
au fil de son afroascendance.
Elles sont aériennes, ses racines,
ascensionnelles, sensationnelles,
à l’instar des racines du palétuvier
dans la mangrove nourricière qui donne naissance à des métis,
mangles grises ou mangles blanches,
amphibies, ambivalents, vivipares pour se propager :
les graines, plutôt que de risquer d’être noyées ou asphyxiées dans l’eau salée,
à la merci des marées,
germent à même l’arbre, et, de cet élan germinal, un surgissement
de jeunes plantules,
triomphant de l’ennoiement,
échappé de l’ergastule,
se détache de l’arbre mère
pour se ficher directement dans la vase.
Émulsion, émulation. Élévation.
Elle incarne une vivante allégorie du métissage.
Elle ne se sent pas qu’africaine, elle se sent caribéenne,
riche de ses ascendances multiples,
de ses ancêtres indiens à plumes et sans plumes,
amérindiens et « koulis mangé chien », de ses aïeux békés,
tous plus ou moins déshérités
(puisque même l’ancêtre blanc n’était, dans le meilleur des cas,
qu’un pauvre cadet de famille désargenté,
à une époque où seul l’aîné héritait,
envoyé chercher fortune aux colonies,
bâton levé, mèche allumée mais bourse plate),
et, pour pimenter le tout,
de son arrière-grand-mère chinoise, tous des damnés de la terre,
elle en est fière,
d’être issue de cette résistance,
de cette dissidence,
de cette résilience,
de cette immanence triomphant des contingences,
par-delà les océans et les ans,
de cette aptitude à survivre,
faisant fi de traites et trafics.
Et puis, tout le monde vient d’Afrique,
tout le monde est afrodescendant,
proclament désormais les savants,
preuves à l’appui, n’en déplaise aux esprits chagrins.
Calazaza ou pas,
quelqu’un comme elle est la preuve vivante
« qu’au fond, il n’y a qu’une seule race : l’humanité », dixit Jaurès.
Suzanne Dracius, Scripta manent, éd. Idem, 2016.
Poétique exergue ou épigraphe dialoguée
Suzanne Dracius. — Pourrais-je avoir une dédicace pour ma maman ? Juste un petit mot, elle sera extrêmement contente, car elle vous admire beaucoup.
Aimé Césaire. — Son prénom, c’est comment ?
Suzanne Dracius. — Elmire.
Aimé Césaire (écrivant). — Donc vous m’avez dit : Madame Elmire Dracius ?
Suzanne Dracius. — Oui. Elle voulait que j’aille faire du shopping avec elle, ce matin ; je lui ai dit « Non, j’ai rendez-vous avec monsieur Césaire ». Donc, avec votre dédicace, je vais me faire un peu pardonner.
Aimé Césaire (lisant à haute voix le texte de sa dédicace). — « À Elmire Dracius que la Martinique remercie entre autres choses d’avoir mis au jour la poésie, la vraie : Suzanne ! Merci ! »
Suzanne Dracius. — C’est moi qui vous remercie ! Merci pour tout. Merci d’être.
25 janvier 2006,
Fort-de-France, la ville dont le Maire honoraire est un poète.
(Entretien publié dans Prosopopées urbaines (éditions Desnel, 2006), texte relu par Aimé Césaire, qui tint à ce que cette conclusion y figurât, en disant : « Scripta manent ! » Les écrits restent !)
Suzanne Dracius, Scripta manent, éd. Idem, 2016.
Aux horizons du Sud
Couleur, chaleur et mêmes odeurs
Nous avons tous cela au cœur
Hors des sillons de certitude
Nous autres, aux horizons du Sud
Cadence et danse, indépendance
Ne pas retomber en enfance
Ne pas voir misère en En-France
En la Troisième Ile : Ile-de-France
Hors des traces de servitude
Insulaires esseulés
Et seuls
Et seules
Nous autres, aux horizons du Sud
Nos brumes sont de sable, de chaleur
Nos signes, Tropiques ou Équateur
Enfants de la mer
Filles de sable
À peau noire
D’origine arabe
Par-delà mangrove et savane
Enchaînés à
Métropolis
Envoûtés par
Mégapolis
Vent-menés par Traite et trafic
Venus des horizons du Sud
Quimboisés par toutes leurs polices
Leurs leucodermes démonades
Vaudou sur nous !
En débandade, ire ou dérade
Aliénés par toutes ces peaux lisses
Et cheveux droits comme il se doit
Au pays des Droits de l’Homme
Quimbois, vaudou !
Tiens, bois, doudou !
Aliénés par ces cheveux qui glissent
Masques blancs sans
Ces peaux sauvées
Chevelures grainées
Mêlés nos sangs
D’échappés
Banania, bamboula, macaque
Diaspora Black
Nous avons des passés qui marquent
Et aussi un présent qui claque
Un passé de marques
Gens de marque
Au nez et aux barbes barbares
De nazillons nasillards
Pour s’ouvrir l’avenir se démarque
Prendre nos marques
À vos marques
Prêts
Partez
Nous courons vite, longtemps et loin
Jamaïcains ou Éthiopiens
Droit devant
Sans drapeau, au vent
D’Îles au Vent
Sans hymnes, au vent d’Îles sous le Vent
Soulevant
Haut nos fronts bistres
Sangs-mêlés
Sans-papiers, sans dieux ni maîtres
Sans chemise
Sans pantalon
Sans papiers
Sans-papiers
Sans maître
Sans foi
Ni loi
Délits de faciès
Bavures pour babylones barbares
Nous autres, aux arcs-en-morne du Sud
Griffe, sacatra, capre, capresse, signare, griffonne
Négritte, négrille, négrillonne
Octavon, congo, quarteronne, mamelouque, marabou, métif, métive…
Marron, marronne !
Blanche-Neige, basanés, métèques
Des mots qui nous font des bosses
Des maux qui nous donneront force
D’être bien debout dans nos peaux
Nous autres, aux arcs-en-ciel du Sud
Boule-de-neige, sang-mêlé, négro
Des mots qui font de nous des zéros
Des maux qui font de nous des héros
Des mots qui feront de nous des hérauts
Bronzé, mal lavé, moricaud
Négro, négresse à plateau
Mal blanchi, café au lait
Négrita, bistre et rastaquouère
Bique, bicot, crouille, melon, beur
Raton, keubla, gens de couleur
Et si nous avions dans la tête
De nous sentir bien dans nos peaux
Nous autres, aux horizons du Sud ?
Suzanne Dracius, Exquise déréliction métisse
(Prix de la Société des Poètes français, Prix Fetkann), éd. Desnel, 2003.
Impatiences
En Martinique, lorsqu’un joueur de sèbi (ou serbi) a fait un six, il s’écrie « Suzanne, ma femme ! » J’ai entendu cela toute ma vie, depuis ma plus tendre enfance, jusqu’à un beau jour où ces mots-là revêtirent une tout autre importance. « Suzanne, ma femme ! » C’est ce qu’Aimé Césaire me dit en souriant, le jour où son ami de toujours, le cordial Cordo, alias Félix Cordémy, me présenta au grand homme. Immédiatement Césaire me dit que non seulement mon prénom, mais ma personne même et mon tempérament littéraire évoquaient pour lui cette autre Suzanne, sa femme.
Aujourd’hui Aimé Césaire a rejoint, comme Suzanne, le Royaume des Ombres, pour d’improbables prosopopées avec son ami Senghor dans ces Champs Élyséens que nous évoquâmes ensemble, en complices « nègres gréco-latins » férus de Lettres Classiques, lors de l’entretien que Césaire m’accorda pour l’anthologie Prosopopées urbaines, car, pour lui, la Ville c’était Paris, la découverte de Paris, tout jeune encore ; la Ville avec un grand V c’était forcément Paris, car c’est le lieu de sa rencontre avec Senghor.
À quelques mois d’intervalle, j’ai perdu mes deux pères : mon « vrai » père, Osman Dracius, et mon père poétique, Césaire.
Mais ces ombres, je les veux tutélaires, sans en prendre ombrage, à l’instar des impatiences, ces fleurettes minuscules mais radieuses tapies dans l’ombre des immenses pieds de bois à l’orée de la forêt tropicale humide. Toutefois je me veux verticale comme le nègre césairien « debout les cheveux dans le vent », femme debout comme les fougères arborescentes de la cascade d’Absalon, sur les hauteurs de Balata, traquant sa trace sur la route de la Trace où venaient chercher la fraîcheur Césaire et Suzanne, sa femme, y puisant la source d’une « chlorophyllienne création » ascensionnelle, sensationnelle, telle que je l’idéalise dans Rue Monte au ciel. N’observèrent-ils pas, lors de ces promenades, que l’Antillais est un « homme-plante » ? « Qu’est-ce que le Martiniquais ? — L’homme-plante », écrivit Suzanne Césaire. Il est vrai que le Martiniquais est capable de vous parler de « la germination de la mort », d’évoquer et d’invoquer Mère Nature non seulement par rapport à la vie, mais aussi en féconde et fertile relation avec la mort.
En Martiniquaise femme-plante, féminine toujours, en féminitude épanouie, féministe parfois, et cela ne le heurtait pas, m’adonnant au double marronnage – en tant que Martiniquaise qui écrit et en tant que femme qui écrit, car on ne l’attend pas là, loin s’en faut –, je mis en pratique la formule « Marronner, il faut marronner ! » qu’écrivit naguère Césaire à René Depestre, l’encourageant à ne pas se laisser entraver par les aragoniennes contraintes d’une métrique stricte.
Suzanne Dracius, Scripta manent, éd. Idem, 2016
La seule femme à figurer parmi les « 10 écrivains martiniquais qui ont marqué l’histoire de la littérature » et « contribué à faire rayonner la littérature martiniquaise dans le monde entier », n°6 de ces « dix auteurs incontournables dans le paysage culturel martiniquais » (Top 10 Mediaphore), nommée en premier, en tête des « femmes écrivains des Antilles et de la Guyane à nous offrir des textes d’une grande beauté en ayant comme préoccupation première ce qu’on pourrait appeler « le bien-écrire », comme on peut le voir chez Suzanne DRACIUS » (Montray Kréyol), « indéniablement l’une des grandes voix de la littérature des Antilles françaises » (Cultures Sud/TV5 Monde), « incontestablement l’une des voix féminines les plus importantes des Antilles » (The French Review, USA).
Petites notes sur les recueils
EXQUISE DÉRÉLICTION MÉTISSE
– « Suzanne Dracius est à la littérature francophone ce que Rosa Parks est au mouvement des droits civiques aux États-Unis ». (Pr Abderrahmane Baibeche, Université de Porto Rico .)
« Dans une hybridité éblouissante, Suzanne Dracius danse avec les identités raciales, sociales, sexuelles et linguistiques, rapprochant des saveurs et des figures de rhétorique solides issues du latin et du grec, du français et du créole, stigmatisant les catégories et les -ismes, célébrant triomphalement sa créolité franche tout au long de ce radieux recueil de poèmes aux mots denses et au jeu sonique. La rhétorique, ici, a des racines antiques ; mais les figures et les questions sont contemporaines, puissantes, captivantes, prégnantes et profondes. » (Sydney Wade, USA.)
« Comment pouvons-nous résister au livre ensorcelant de Suzanne Dracius, ses vers de sortilège, ses chansons magnifiques de l’histoire coloniale douloureuse des Caraïbes, l’horreur transformée en beauté ? Nous sommes émerveillés de façon délirante en voyant comme le français, le créole et le latin coulent et découlent abondamment l’un de l’autre, ce qu’elle pourrait appeler une poétique “de l’indépendance, la cadence et la danse”. Héritière de Franz Fanon et Aimé Césaire, Kamau Brathwaite et Lorna Goodison aussi, Dracius de la Martinique est un griot féroce qui célèbre la “fête des saveurs métisses”, un Caliban qui chante de ses Antilles le “métissage fervent”. Nous sommes impressionnés par l’acuité intellectuelle de Dracius, la vitesse à laquelle le mythique s’intègre dans le quotidien, et ensuite de nouveau, l’espièglerie harmonieuse de ses pastiches du français créole et du gréco-romain. […] Une poète formidable. » (Orlando Ricardo Menes, USA.)
DÉICTIQUE FÉMINITUDE INSULAIRE
De Suzanne au bain à l’enlèvement des chabines
Professeur de Lettres classiques et féministe, Suzanne Dracius s’est d’abord imposée comme romancière avant d’assurer sa grande liberté d’esprit – et de ton – dans la poésie où, paradoxalement, elle renoue avec l’inspiration caustique des satiristes de l’Antiquité. Elle peut se reconnaître dans le personnage biblique de Suzanne au bain surprise par les deux vieillards ou dans Pandora envoyée par Zeus aux hommes pour punir Prométhée qui avait dérobé le feu de l’Olympe. Tous les maux de l’humanité sont exposés à son regard comme à celui de Pandora dans le poème intitulé « L’entrebâillement de la porte », maux passés et maux cruellement présents, notamment l’esclavage et la Traite évoqués à propos du toponyme de son quartier, Pointe des Nègres, ou bien le fléau du sida dans « De sueurs, de sida et de sang », ou encore la pieuvre du « Racisme soluble dans l’encre noire » : « À l’orée du XXIe siècle, l’hydre immonde parcourt le monde, / y étend ses virulents tentacules tératologiques. / Recettes pour vaincre le monstre : / le racisme est soluble dans le bouillon de culture […] / Le racisme est soluble dans l’eau de boudin […] / Le racisme est soluble dans le ti punch… »
Elle est aussi sensible devant la désolation d’un jeune banlieusard sous sa capuche en train d’inhaler son Vicks Vaporub dans les terrains vagues du « Neuf Cube » (le 93) que devant l’internationale figure de l’immense Nelson Mandela dans l’ode intitulée « Éïa Mandela, téléostéen ». Sans jamais renier sa « gésine urbaine » à Fort-de-France, Suzanne Dracius parvient à donner un habillage antique à son décor antillais, ou – inversement – à retrouver dans la réalité foyalaise un enseignement profond de la sagesse ou de la misère humaine – ce qu’elle appelle « le changement inchangé » « où être pareillement mélangé / Hic et nunc se met à faire sens ». Par le biais de néologismes, d’anachronismes, de jeux sur la langue – sur le créole parfois –, elle parvient à « écrire le monde à partir de [son] dédale de venelles » et à concilier les références mythologiques, les grands moments de l’histoire de la Martinique (le rôle d’Amédée Knight après l’éruption de la Montagne Pelée), et à les enchâsser dans son vécu personnel, dans des airs de chanson (« Aux horizons du sud »), dans son humeur fantaisiste et provocante, dans sa revendication de « calazaza gréco-latine ».
Son déploiement de rhétorique rappelle l’éloquence d’Aimé Césaire ou le sens de la formule lapidaire de Frantz Fanon, autre Martiniquais, qui se méfiait du mouvement de la négritude, bien qu’ayant été élève au lycée où Césaire enseignait. Récompensé en 2010 par un prix de la Société des Poètes français pour l’ensemble de son œuvre, le lyrisme savant de Suzanne Dracius vient prendre la relève après la prose poétique d’Édouard Glissant pour attester – ce que chacun sait ou devrait savoir – l’importante contribution des écrivains martiniquais dans la littérature française depuis près d’un siècle. Mais, depuis Césaire et Glissant, les humeurs – et les affinités de « formes » – de la poésie contemporaine varient et se confondent avec l’emprise de la prose et des modalités narratives. L’écriture de Suzanne Dracius qui associe volontiers succulence des mets et succulence des mots dans « la fête des saveurs métisses » ne s’encombre pas de la facture des poèmes à forme fixe. Elle choisit un récit, le subvertit dans le registre grotesque ou « bigarré », utilise la focalisation d’un personnage – ce qu’on peut appeler aussi la prosopopée – comme en cette « Insulaire prosopopée latino-créole » : « Mon corps d’Île au Vent porte deux pères / qui, de la peau de ma terre, leurs pieds retirèrent. / Le premier est Aimé Césaire, l’autre non moins aimé : / l’un, sur négritude orbe ouverte, Urbi et Orbi, / le second, aveugle comme l’aède Homère. / En mon oedipienne viduité, sans chocolater mon corps / je serre leurs corps à tâtons. »
La technique de la narration homérique est sans cesse transgressée, ironiquement transgressée par elle, on l’a vu dans « Nègzagonale », avec l’arrivée d’une « Euroblack » à l’aéroport du Lamentin, autant que dans « Aux cendres de Cendra », poème dans lequel se cristallise l’absurdité de la violence sociale en Martinique à travers le comportement d’un jeune homme amoureux qui finit par brûler l’automobile offerte à sa petite amie Cendra ; on le retrouve dans l’anecdote nourrie de réminiscences lycéennes d’une « Chaste anamnésie saphique » ou l’« Impétueuse somptuosité » des « Fleurs de bitume… » qui se dotent d’allures épiques et « Qui tigent de nulle part, de partout, / Émergent envers et contre tous / En Nature fière. »
L’anecdote prosaïque est secondaire, comparée à la langue émaillée d’incises latines et créoles qui, dans le contexte antillais, caractérise la démarche « carnavalesque ». Plus que d’autres Martiniquais obstinément tournés vers la « métropole » – terme abhorré, car jugé condescendant –, Suzanne Dracius est consciente d’habiter dans un département linguistiquement exposé et s’adresse aux lecteurs voisins peuplant les Amériques : elle leur propose ici ou là une version de ses poèmes en espagnol ou en anglais, les deux autres grandes langues de la Caraïbe, mettant ainsi un soin particulier à ce travail de traduction – une réécriture formatrice pour tous les poètes, de l’avis même de la Québécoise Nicole Brossard. La francophonie existe dans cet intervalle périlleux entre plusieurs zones de cultures et de langues dominantes.
Alain Gnemmi
SCRIPTA MANENT
La poétesse martiniquaise Suzanne Dracius publie « Scripta manent » – Par Philippe Triay – La 1ère France TV Info – Publié le 28 juin 2016
« Le nouveau livre de la flamboyante écrivaine martiniquaise Suzanne Dracius vient de sortir. Intitulé « Scripta manent » (« Les écrits restent », en latin), l’ouvrage est une ode énergétique à la vie et à l’espoir dans un monde martyrisé. »
« Scripta manent », « Les écrits restent ». Et ceux de Suzanne Dracius vont droit au cœur et à l’âme. Dans son dernier ouvrage, l’ex-professeur de lettres classiques, férue de latin et de grec, invite à la valse des mots et des langues en jouant subtilement avec le français, les citations latines et les expressions du créole martiniquais. Elle y mêle avec habileté prose, poétique de bien entendu, et versification.
Le recueil invite également à la réflexion sur le monde et l’actualité. En demeurant toujours en littérature. Sans oublier de rendre hommage au grand Aimé Césaire, la poétesse révèle des textes engagés, se définissant comme « afroascendante », et même « afromontante », avec « des racines africaines qui ne l’entravent pas », assumant ses « ancêtres indiens à plume et sans plume », tout comme ceux blancs et chinois.
« Ne pas renoncer »
De nombreux poèmes sont consacrés à ce « terrifique » 13 novembre 2015, jour des attaques terroristes en région parisienne, où 130 personnes trouvèrent la mort. « Ne pas renoncer », écrit Suzanne Dracius. « Ne lâchons pas nos livres, nos carnets / Serrons nos cahiers d’écolier / Cramponnons-nous à nos plumes / Accrochons-nous à nos crayons ! » « Nous sommes tous de cette même terre », prévient-elle dans un autre texte. « Et nous saurons bien faire taire / ceux qui refusent cette lumière / Lumière versus obscurantisme ».
L’écrivaine rappelle aussi qu’elle est une femme debout, « fanm doubout, fanmdjòk », comme dit la langue créole. Libre. « Nul ne me tient », insiste-t-elle, qui « pisse » sur l’obscurantisme. « Je pisse dessus, en femme debout / Je pisse debout ». Dans un long et émouvant poème, « Sentir le vent dans sa chevelure » (voir extrait ci-dessous), Suzanne Dracius décline les combats qui lui tiennent à coeur. Contre le sexisme, la sujétion et la violence envers les femmes. « Sinon le monde sera sans lendemains / qui vaillent la peine (…) la terre ne sera pas peuplée / d’hommes dignes de ce nom ».
– EXQUISE DÉRÉLICTION MÉTISSE, Prix Fetkann
Disponible en librairie et en ligne.
http://www.amazon.fr/gp/offer-listing/291524720X/ref=dp_olp_new?ie=UTF8&condition=new
Envois en France, Outre-mer, Europe, Amérique du Nord (Québec, Canada – USA)
Ed. Desnel – 11 €.
– DÉICTIQUE FÉMINITUDE INSULAIRE
Disponible en librairie et en ligne.
http://www.amazon.fr/gp/product/2364300096
Envois en France, Outre-mer, Europe, Amérique du Nord (Québec, Canada – USA)
11,80 €
– SCRIPTA MANENT, disponible en librairie et en ligne
http://livre.fnac.com/mp29899512/Scripta-manent
En librairie aux Antilles & Guyane
11,80 euros
ISBN : 978-2-36430-024-8
80 pages – Juin 2016
Pluton-Magazine/2017
©une promenade en poésie/2017