Dossier: La viande, bonne ou mauvaise ?

 

Par Georges COCKS

 

Plus elle est épaisse, plus elle fait envie. Sur le grill, dans le four, dans la poêle,  son odeur de cuisson nous ouvre déjà l’appétit. Une fois servis au fast-food, on écarte le pain pour voir l’épaisseur du steak ; au restaurant, on espère en avoir pour son argent. La viande compose le menu journalier de millions de consommateurs chaque jour, et pour beaucoup, c’est le dieu du ventre. C’est encore un miracle  de la trouver dans notre plat. Au rythme de la consommation mondiale, on pourrait se demander si certaines espèces comme le poulet ou le bœuf ne seraient pas déjà éteintes ou en voie de disparition si elles n’étaient pas élevées en masse. Manger n’est pas mauvais en soi. C’est la façon dont nous mangeons et ce que nous mangeons qui mettent dans notre assiette quotidienne une mise en danger, d’autant que nous sommes le maillon final de la chaîne. La disparition des fermes, ces structures familiales d’autrefois génératrices d’une alimentation saine de proximité avec zéro impact carbone, au profit de l’élevage intensif, apporte son lot de troubles sur la santé de chacun d’entre nous.

 

Pluton Magazine interroge pour vous  CIWF (Compassion in World Farming) sur le sujet.

 

 

Faut-il avoir peur de la viande  ou de ce que contient  la viande aujourd’hui ?

 

Il est nécessaire de réduire nos consommations de viandes, poissons, œufs et produits laitiers et de choisir des produits qui ne soient pas issus d’élevages intensifs.

 

En effet, la plupart des occidentaux mange plus de protéines que nécessaire. Les graisses saturées dans la viande et les produits laitiers peuvent être nocives pour la santé et peuvent être facteur d’obésité, de diabète de type 2 et de maladies cardiovasculaires. Les cancérologues ont également démontré l’impact de la viande rouge, la charcuterie et les viandes transformées sur le développement de certains cancers.

De plus, Il faut aussi savoir que la viande issue d’élevages industriels est souvent plus riche en matières grasses, notamment en graisses saturées, on y trouve moins d’antioxydants et d’Omega 3 que dans les produits issus d’élevages plus respectueux des animaux.

Se pose aussi effectivement la question des antibiotiques. En France, 80 % des animaux sont élevés dans des systèmes intensifs. Dans ces élevages, les conditions de vie sont une forte source de stress pour les animaux, avec des densités et un confinement extrême (en cage ou en bâtiment). Ils sont sevrés à un âge très précoce, sont souvent utilisés physiologiquement jusqu’à leur limite afin d’augmenter la productivité. Autant de facteurs qui peuvent affaiblir leur système immunitaire. En « prévention » ou quand un animal est malade dans l’élevage, des groupes entiers d’animaux reçoivent des traitements antibiotiques, qu’ils soient malades ou non.  En Europe, l’utilisation des antibiotiques en médecine vétérinaire est deux fois plus importante qu’en médecine humaine. L’usage massif des antibiotiques pour les animaux d’élevage, en particulier les faibles doses ou les traitements incomplets, contribue au développement de l’antibio-résistance. D’ici à 2050, on estime que la résistance aux antibiotiques pourra tuer une personne toutes les 3 secondes.

 

 

 PM : Que pensez-vous du scandale autour du lait et la santé, serions-nous les seuls mammifères à ne pas être sevrés de lait alors que la nature nous apprend le contraire ?

 

Nous consommons en tout cas beaucoup trop de produits laitiers et nous oublions souvent le sort réservé aux laitières et à leurs progéniture mâles (ex : veaux ou chevreaux).

Il y a environ 23 millions de vaches laitières dans l’UE, 3,6 millions en France. Les vaches laitières peuvent faire face à de graves problèmes de santé, comme les boiteries, les mammites ou encore l’infertilité, et leur espérance de vie est faible : elles sont souvent abattues après seulement trois lactations (environ 5 ans), alors qu’une vache peut vivre 20 ans.

Tandis qu’une vache élevée pour sa viande produirait naturellement environ 4 litres de lait par jour, une vache laitière produit en moyenne 28 litres de lait par jour sur une période de 10 mois. Durant le pic de lactation, les vaches laitières à fort rendement peuvent produire jusqu’à 60 litres par jour !

En France, la plupart des fermes sont encore familiales et permettent un accès au pâturage. Cependant, on assiste à la réduction de l’accès au pâturage et à l’apparition de projets de méga-élevages où les vaches ne se comptent plus par dizaines, mais par centaines ou milliers. Du fait de ce changement d’échelle drastique, il est impossible dans ces élevages d’avoir un accès au pâturage, et les vaches restent enfermées toute l’année. Ces élevages sont largement critiqués du fait des risques qu’ils présentent pour l’environnement, le paysage, l’emploi, le respect de la ruralité, et bien sûr, le bien-être animal.

CIWF conseille donc de réduire de moitié nos consommations de produits laitiers et de choisir des produits issus d’élevages biologiques qui sont les seuls à garantir un accès au pâturage durant la période de pousse de l’herbe.

 

PM : Si l’élevage intensif n’existait pas, certaines espèces animales auraient déjà disparu, et ont  sûrement déjà disparu, virtuellement parlant ? 

 

Je ne suis pas sûre de comprendre votre question. De nombreuses espèces sauvages sont en danger à cause de l’élevage intensif. Près de la moitié de la surface des terres arables dans le monde ainsi que la plus grande partie de l’eau potable sont consacrées à l’agriculture. Les espèces disparaissent déjà à un rythme 1 000 fois supérieur au rythme naturel. Le changement climatique et la destruction de l’habitat ne sont pas les seuls à menacer d’extinction autant d’animaux. La demande des consommateurs pour toujours plus de viande à bas coût est tout aussi dévastatrice et il est essentiel que nous puissions affronter ce problème si nous voulons réduire ses effets sur le monde qui nous entoure. Nous sommes à tort amenés à croire que la concentration d’animaux dans les élevages industriels et la culture de vastes étendues, à grand renfort de produits chimiques, sont un mal nécessaire, un moyen efficace de nourrir une population mondiale en pleine expansion, tout en laissant des terres libres pour la faune sauvage. C’est totalement faux. L’élevage intensif et notre surconsommation de viandes, œufs et produits laitiers sont largement coupables du déclin de nombreuses espèces d’animaux sauvages.

 

Par exemple, le commerce mondial de produits issus du palmier à huile atteint 42 milliards de dollars par an. Bien qu’on retrouve l’huile de palme dans environ la moitié de tous les produits transformés vendus en grande surface, on sait moins souvent que ses coproduits sont couramment utilisés pour nourrir les animaux d’élevage industriel — non pas sous forme d’huile, mais de tourteaux. La protéine qui en est issue est importée massivement  en Europe (le plus gros importateur de produits issus du palmier), pour environ la moitié de la production mondiale en 2012). Elle peut être utilisée pour nourrir les bovins, les moutons, les porcs, la volaille, les chèvres et même les poissons. Depuis le début du siècle, 1,2 million d’hectares de forêts de basse altitude et 1,5 million d’hectares de forêts humides ont été perdus à Sumatra. Il reste moins de la moitié des forêts vierges du pays. Cela signifie que plus d’un tiers de la jungle, habitat de l’éléphant de Sumatra, a disparu. Pourquoi ? Pour planter des palmiers à huile…

De plus, la sélection des races sur le critère quasi unique de productivité nuit fortement à la diversité des animaux d’élevage. Si les animaux sont en grand nombre dans les élevages intensifs, il n’y a que très peu de diversité avec des races de plus en plus spécialisées et moins rustiques.

 

 Pourquoi donnez-vous une mauvaise note à l’élevage intensif ?

 

Dans deux élevages sur trois, les animaux sont élevés de façon industrielle, ce qui représente plus de 50 milliards d’animaux chaque année. En France, 80 % des animaux sont élevés en mode intensif (95 % des cochons, 80 % des poulets, 68 % des poules…), c’est-à-dire enfermés, sans possibilité de jamais sortir, avec souvent des mutilations (épointage des becs des poules, coupe des queues des cochons, castration …). Ces systèmes d’élevage intensif donnent priorité à la production sur tout le reste, créant ainsi de gigantesques quantités de viande, de lait et d’œufs apparemment bon marché.

Pourtant, le coût de l’élevage industriel est élevé. Les animaux sont traités comme des marchandises et souvent confinés à l’extrême. L’élevage industriel dépend fortement de grandes quantités de ressources précieuses, telles que les cultures, l’eau, l’énergie et les médicaments. Dans ces élevages intensifs, les animaux sont nourris avec des aliments comestibles par l’homme. Plus du tiers de la récolte mondiale de céréales, et la quasi-totalité du soja mondial sont consacrés à l’alimentation des animaux d’élevage – soit assez de nourriture pour plus de 4 milliards de personnes. L’élevage industriel est loin d’être, comme on veut nous le faire croire, une solution pour nourrir la population mondiale croissante. Il est néfaste pour les animaux, mais aussi pour notre santé et notre planète.

 

 

PM : Certaines personnes ne conçoivent pas qu’on puisse manger du cheval et pourtant  n’ont aucun mal à manger une autre viande, pourquoi ?

 

Les habitudes alimentaires sont ancrées dans des cultures, différentes d’un pays à l’autre et même d’une région à l’autre. Dans certains pays, manger du singe ou des insectes est aussi commun que de manger du poulet pour un citoyen français. Idem pour le chien dans certains pays. Il s’agit d’habitudes culturelles, et qui peuvent sembler arbitraires.

 

 PM : Quel est notre impact sur l’environnement au sens large ?

 

Actuellement, plus du tiers de la récolte mondiale de céréales sert à nourrir les 65 milliards d’animaux de ferme élevés chaque année pour produire de la viande, des œufs et des produits laitiers.

Au vu de la pression croissante sur les ressources naturelles limitées de la planète et des millions de personnes souffrant de la faim, nous pensons qu’élever des animaux dans des systèmes intensifs et les nourrir de céréales qui pourraient être directement consommées par les hommes n’est ni durable, ni moralement acceptable.

 

PM : Pourquoi les lobbies nous poussent-ils à consommer autant ?

 

Cette question dépasse un peu les champs de notre action, mais pour ce qui est de l’essor de l’élevage industriel, il y a eu au sortir de la Seconde Guerre Mondiale des choix politiques d’industrialiser les productions animales et viser une large augmentation de la production « pour nourrir le monde ». Si ce mythe semble maintenant dépassé, tout du moins pour les pays occidentaux, il continue à justifier de vouloir produire plus, notamment quand les marges sont réduites, il faut des économies d’échelle et la course à l’agrandissement. Une fois cette production poussée, elle doit trouver des marchés, d’où l’encouragement à consommer plus.

 

PM : Quel  message voudriez-vous passer aux consommateurs invétérés de viande ?

 

La nourriture que nous choisissons a un effet direct sur la façon dont sont élevés les animaux, mais aussi, et on y pense moins souvent, sur les animaux sauvages (déforestation, destruction des habitats…), sur l’état de la planète (pollution de l’air, des eaux…), notre santé, les conditions de vie des producteurs…  Et en France, 80 % des animaux sont élevés dans des systèmes intensifs (95 % des cochons, 80 % des poulets, 68 % des poules…). De plus, l’élevage des animaux est responsable de 18 % des gaz à effet de serre, soit plus que les transports (14 %). Une autre bonne raison de manger moins de produits animaux et qui soient conçus dans de meilleures conditions

 

Nos choix sont cruciaux et influencent les conditions d’élevage des animaux, actuelles et futures. À chaque fois que nous faisons nos courses, ou que nous sortons au restaurant, nous votons en faveur d’un mode d’élevage. En France, certains labels de qualité tels que le Label Rouge (pour la volaille) et les produits issus de l’agriculture biologique offrent souvent l’assurance de meilleures conditions de vie pour les animaux. Dans tous les cas, Il vaut mieux favoriser l’élevage en plein air pour faire des choix éthiques.

 

Manger moins de viande, de produits laitiers et d’œufs réduit la souffrance animale, l’impact environnemental de l’élevage et améliore la santé humaine.

 

PM : Quel serait le rêve de  CIWF ?

 

Que l’élevage industriel, les élevages d’animaux en cage soient relégués dans les musées. D’autres modes de production sont possibles et font déjà leurs preuves. Pour CIWF, un monde sans élevage industriel est essentiel à une alimentation durable.

 

PM : Parlez-nous de quelques-unes de vos victoires ? 

 

 Les campagnes de CIWF ont contribué à mettre fin à certaines des pires pratiques de l’élevage industriel : l’interdiction des cages conventionnelles pour les poules, la fin du confinement quasi-permanent des truies et l’interdiction des cases individuelles pour les veaux. CIWF fait un gros travail d’accompagnement des entreprises dans leurs politiques en matière de bien-être animal.  2016 a marqué un réel tournant pour les poules pondeuses, avec de nombreux engagements d’entreprises vers le hors cage. Nous ferons tout pour que le mouvement « hors cage » s’étende à d’autres espèces rapidement. Pour les lapins aussi, la cause avance.

En Europe, plus de 99 % des lapins sont élevés en cage. Mais le 14 mars 2017 a marqué un tournant. Sous la pression des ONG et notamment de CIWF qui avait organisé une campagne d’affichage, des  milliers de dessins d’enfants ont été envoyés à tous les eurodéputés avec une pétition de plus de 600 000 signatures … les députés européens ont voté en faveur d’une législation spécifique à l’espèce, demandant la suppression progressive des cages et l’amélioration des conditions d’élevage des lapins. Un grand bond en avant pour les lapins !

Et en France aussi, la condition animale avance. Le 7 février 2017, lors d’une conférence de presse à l’Assemblée nationale, le député Philippe Noguès a présenté en compagnie de CIWF France sa proposition de loi relative à la protection des animaux vivants durant les transports. Cosignée par 33 députés de tous bords politiques, elle vise à compléter et améliorer la législation actuelle sur les transports, en proposant notamment une limitation de la durée maximale de transport sur le territoire français à 8 heures.

 

Le nombre de végétaliens et végétariens est en hausse permanente. On leur prête des vertus de longévité, mais le secret de toute bonne santé réside en l’équilibre d’une alimentation saine, riche et variée. Aujourd’hui, les Français consomment en moyenne 52,5 grammes de viande rouge par jour, soit 25 % de moins que les recommandations. « Mais ce chiffre recouvre d’importantes disparités : si 37 % mangent moins de 245 grammes par semaine, 28 % dépassent les 500 grammes », précise le magazine. Or, « les gros consommateurs de viande rouge et de charcuterie présentent des risques anormalement élevés de développer des maladies cardio-vasculaires, des troubles métaboliques comme le diabète de type 2, de même que certains cancers », poursuit la publication (Les Échos).La prochaine fois que vous mordrez dans un morceau de viande, réfléchissez-y à deux fois.

 

Georges COCKS

Auteur  de romans et poésies

© PLUTON MAGAZINE 2017

Secrétariat de rédaction Colette FOURNIER

 

 

 

CIWF (Compassion in World Farming) a été créée il y a près de 50 ans, en 1967, par un éleveur laitier inquiet de voir l’intensification accrue de l’élevage et ses conséquences désastreuses sur le bien-être des animaux. Aujourd’hui, l’organisation mène des campagnes non-violentes pour mettre fin à l’élevage industriel.

https://www.ciwf.fr

 

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