Myoho.
Arnaud Delcorte est né le 27 juin 1970 près de Charleroi en Belgique. Il est chercheur et professeur de physique à l’Université de Louvain et à l’Université St Louis à Bruxelles. Il commence à écrire de la poésie vers l’âge de 18 ans mais la publication de ses textes débute en 2007, à l’instigation d’un ami écrivain mauricien, Umar Timol. Pour lui, la recherche scientifique et la démarche poétique participent d’un même mouvement d’investigation du monde.
L’amour se retourne
(in Stroboscope, suivi de Stries, L’Harmattan, Paris, 2016)
L’amour se retourne sur mon dos comme une peau de lionne et je me blottis en lui pour regarder filer la vieille saison /
Décompte des mois de glace dans l’illusion ardente de la chrysalide.
Dans l’espace
(in Stroboscope, suivi de Stries, L’Harmattan, Paris, 2016)
Dans l’espace insalubre de la pensée ton visage se détériore ton sourire crépusculaire s’efface tes hyperboles /
Templier du vide abîmé par le sirocco le quartz je réfute l’offensive du désamour.
Babels
(in Quantum Jah, Editions des Vagues, Port-au-Prince, 2017)
IV – éréthisme
tu me soulèves comme un enfant
des flaques de ciel plein les joues
VI – each wave that breaks
chaque vague
ton visage éculé
dans le rouleau des sentiments
dans le roulis l’enfance de nos baisers
chaque vague qui se brise
te ramène à moi
La vie
(in Eden, L’Harmattan, Paris, 2015)
La vie est une saison d’engelures pour quelques comètes allumées
La vie convient surtout aux orphelins
La vie nous gâte et nous malmène sans la moindre intention de nuire
La vie vacille sous les membranes du désir
La vie est greffière aux arbitrages du destin
Tortionnaire aux soupiraux des Levantins
La vie est coupe de champagne qui vire au vinaigre
La vie remède souvent plus atroce que le mal
La vie est masque au visage noir des défunts
La vie visage aux marques de fers
La vie qu’on l’avale ou la recrache
Il faudra bien s’en faire une raison
oui une raison
La vie aux antipodes rêves de ciel pour indécences migratoires
La vie envie de taire les dérives les vacillements
Nocturne infidèle au décompte des embrassades
La vie buttoir de sang au jeu des vents solaires
La vie est langue de sable aux amours sahariennes
La vie on cache l’autre œil pour la peur et l’éblouissement
La vie abuse les sens et infuse l’absence
La vie abuse les sens et infuse l’absence
La vie convient surtout aux orphelins
(in Eden, L’Harmattan, Paris, 2015)
L’absence des lignes dans le miroir
L’ennuagement qui opère au loin
Je perds la vision
Je deviens incapable de me relire
J’entends comme on dit les tams-tams dans le lointain
Les feux de Bengale à Bruxelles
Et pourquoi pas
La fièvre d’un match qui s’essouffle et le cortège des sirènes
La ville régurgite ses enfants infidèles
Y compris moi
Perdu dans le noir
Je deviens feu
Rougeur
D’une cigarette
À vingt-trois heure quinze
Le rêve
(in Eden, L’Harmattan, 2015)
IX – Nul ne connaît mon visage. Certains pensent qu’il n’y a rien derrière ce voile de bandelettes noires. Je suis une enveloppe vide. Une momie dont le corps antédiluvien aurait finalement décidé de franchir la porte de l’autre monde, laissant derrière elle une silhouette de chiffon. Une empreinte de vent.
XXIX – Amir se retourne vers moi pour me demander de hisser complètement la voile, ses yeux bruns inhabituellement clairs comme une porte ouverte sur l’autre monde. La vraie vie, celle de l’esprit, se dévoile lorsqu’on s’y attend le moins.
Eden
(in Eden, L’Harmattan, Paris, 2015)
III – Dans le jardin il y a les larmes et le mystère inéluctable
Quand la lumière glisse des yeux
Et les solives s’effondrent
Quand le visage de la mort embrasse les traits de l’aimé
Quand l’homme-frontière se retourne en lui-même
Il y a toutes les réponses aux questions imposées
XV – Mon amour
Est une orange mécanique
Forcément surprenante
Il te rejoint sur le sentier de la sincérité
Enceint d’armes légères
Nos motivations sont souvent divergentes
Un bain de lumière
Et le monde mental se plie à nos exigences
Libres
(in Ô, Editions Maelström, Bruxelles, 2015)
I – C’est là
C’est maintenant
La cavalcade indécise des instants
L’instant coupable l’instant lâche
C’est maintenant
Nous éviterons les écueils les ambages
Nous solliciterons la clémence des âges
Sans souci du devoir
Libres oui
Libres et sages
Gouttes de ciel dans l’inespérance
De cette sagesse acquise par l’instant fécond
Blanc
Et noir
Nous sommes blancs et noirs
Devins
Avec cette clé
Au mitan
Au milieu des mains
III – Trois étoiles dans la vague
Sans se concerter
Nous abrasons les nuances de bleu
Pélicans dans l’embrasement des épiphytes
Opercules ouverts dans le bleu
Nous sommes
XIII – À part toi
Seulement des mouvements et des rires
Des regards
Grimpants de lierre sur les lèvres
Immobiles
Des anguilles un peu perfides
Dans un bocal de pluie
Que je sois changé en pierre
Si l’on m’ampute de toi
Vierge à la fontaine
(in Stroboscope, suivi de Stries, L’Harmattan, Paris, 2016)
Vierge à la fontaine sous les clochetons dans la file des sentiments mitigés /
La désolation dans le sang blême et une brève étincelle de sourire /
Luminaires comme à la ville sur lesquels iront se soulager les bergers /
Leur troupeau gonflé des gouttes de la nuit à Sarcelles à Montmorency /
Des millions de personnes l’âme en large friche et des croissants de Lune /
« Mon bien-aimé est blanc et vermeil, il se distingue entre mille » /
« Sa tête est de l’or pur, ses boucles sont flottantes »(1) /
Et à sa main des traces de serments des salines de baisers /
Je croiserai des bourgeons de lait dans les voilures fraternelles /
Je ne pourrai te rendre l’espoir perdu les promesses omises dans la glaise /
Il est déjà trop tard les ventres de la mémoire s’évident liquides tièdes /
Quittent mes paumes ma chair une souffrance à peine combustible /
Un homme rendu à la terre du Sud et nu et sans autre élégance /
À sa main la robe de mariée l’épiphanie oblique d’un grand datura.
(1) in « Cinquième Cantique », Le Cantique des Cantiques, Ancien Testament.
Dakhla
(in Méridiennes, M.E.O. Editions, Bruxelles, 2015)
Dakhla
Ville livrée aux vents et aux soldats
Coquille peut-être vide
Sur vertige laminaire
Des garçons sauvages écument les rues Visages hâves et
regards sournois Ils chassent en solitaire et se flairent
lorsqu’ils se croisent Deux hommes plus âgés se tiennent
la main Comme des femmes Ils devisent sous le regard
des militaires Qui suivent le match au café Chelsea
contre Manchester sur le boulevard El Moukaouan
Neville Anelka Un monde mâle où fleurit insouciamment
le visage fatigué de ma serveuse
Il est midi à Dakhla Il est midi sous l’auvent de plastique
Et en tendant l’oreille J’entends sourdre les palabres du
dénuement
Une langue océane nous sépare du Sahara
Un concentré de sel que j’avale
Sans souci de l’asphyxie
Vingt kilomètres
Ni homme
Ni oiseau
Biographie
« A. Delcorte est, de toute évidence, un homme qui aime les mots, qui se délecte de leur sonorité. Il sait, en conséquence, en faire des sortes de « feux d’artifice » intenses, qui nous sautent brusquement au visage. (…) En bref, il nous étonne, et même, nous éblouit. (…) La sincérité d’Arnaud Delcorte possède une dimension presque crue. Il ne veut plus de faux-semblants. Il se veut, et veut l’être ‘nu et sans autre élégance’, débarrassé de toute tricherie. Poète dans l’âme, il chemine vers ‘l’envers du monde’, qui ne peut être que ‘l’endroit du rêve’. » (P. Laranco).
http://perso.uclouvain.be/arnaud.delcorte/poetrypage.htm
Bibliographie
— Le goût de l’azur cru (poésie) – Le chasseur abstrait éditeur (Mazères, France), 2009
— Toi nu( e ) dans le linceul étoilé du monde (poésie) – Le chasseur abstrait éditeur (Mazères, France), 2010
— Écume noire (poésie) – L’Harmattan (Paris, France), 2011
— Ogo (poésie) – L’Harmattan (Paris, France), 2012
— Eden (poésie) – L’Harmattan (Paris, France), 2013
— Méridiennes (poésie et photographies) – M.E.O. Editions (Bruxelles, Belgique), 2015 – Co-auteur : Brahim Metiba (photographies)
— Ô (poésie) – Editions Maelström (Bruxelles, Belgique), 2015
— Le piégeur de jours (roman) – Editions Ruptures (Haïti), 2015
— Stroboscope suivi de Stries (poésie) – L’Harmattan (Paris, France), 2016
— Quantum Jah (poésie et peintures) – Les Editions des Vagues (Carrefour, Haïti), 2017 – Co-auteur : Sébastien Jean (peintures)
Pluton-Magazine/2017
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Photo: Marécage sud-Soudan