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Par Jean-louis Lorenzo
Aylen Pritchin, un violon magique venu de Saint-Pétersbourg
Une de ces belles journées d’automne qui sent encore l’été, quand les vignes du Médoc ont viré à l’or, le soleil du couchant aidant. Nous sommes dans l’un des joyaux du XVIII ème siècle, comme il en existe tant en région bordelaise.
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De la Néva, aux berges de la Gironde, en Bordelais.
Il faut d’abord faire craquer sous ses pas le joli gravier de la longue allée qui mène à Château Dauzac, une magnifique chartreuse située sur le territoire communal de Labarde, en Médoc, entourée de ses gazons soignés, lac, bâtiments d’exploitation et tout cela au cœur d’un vaste domaine de 120 hectares dont le vignoble d’un seul tenant de 45 hectares. Les archives rapportent que la culture de la vigne, dans la contrée, est assurée depuis le XII ème siècle. Plus précisément, les registres des moines bénédictins de l’Abbaye Sainte-Croix de Bordeaux. Le domaine viticole y est en effet alors rattaché. Longtemps, les propriétaires étaient des négociants, d’éminents membres du Parlement de Bordeaux qui a donné son nom aujourd’hui à une jolie place, jouxtant la Porte Cailhaux, où siégèrent d’illustres Bordelais, Montaigne, Montesquieu et La Boétie. A Labarde, c’est une longue et belle histoire d’hommes et de culture qui se poursuit à présent sous la direction du nouveau directeur général de Dauzac, Laurent Fortin. Et c’est ici que l’artiste va se produire.
Ils s’entassent, sur le perron, aimables, ces amoureux de la « belle musique » qui ont fini par tous se connaître et sympathiser et qui ne manquent jamais un seul concert tant il est vrai que le dynamisme de MACM, Musique Au Cœur du Médoc a su fédérer plus d’un cheveu blanc mais pas seulement, on voit des jeunes et c’est tant mieux. L’association s’est en effet donné pour mission de mettre en scène les jeunes comme les plus grands talents de la musique classique, en organisant chaque saison dans les hauts lieux du vin et du patrimoine médocain, des concerts prestigieux et un concours international de chant des châteaux en Médoc (Bordeaux). Un vaste choix d’œuvres et de compositeurs, la présence de grands musiciens, la découverte de nouveaux talents, l’approfondissement de la culture musicale et de celle du vin, ce sont les ambitions de Musique Au Cœur du Médoc. Ainsi, tour à tour, comme autrefois troubadours et trouvères, les artistes d’aujourd’hui se produisent de château en château : Issan, Siran, Giscours, Branaire, Ducru, Lascombe, Lafite-Rothschild, Pichon-Longueville Comtesse de Lalande, Palmer, Beychevelle, Cos d’Estournel…
Mais ce dimanche qui sont-ils donc venus voir et écouter à Château Dauzac ? Aylen Pritchin, séduisant et remarquable violoniste de 28 ans, venu des bords de la Néva à Saint-Pétersbourg d’où il est originaire.
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Un enfant doué au violon, dès la petite enfance.
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Tout gamin, il a déjà un violon. Il étudie à l’école de musique, avec Eléna Zaitseva, au Conservatoire Rimski-Korsakov de Saint-Pétersbourg. Celui-ci, inauguré le 20 septembre 1862, fut l’œuvre de plusieurs musiciens russes parmi lesquels le premier directeur et professeur de l’établissement, Anton Rubinstein, pianiste et compositeur, frère du non moins célèbre Nikolaï. Se doutait-il alors, le jeune Pritchin qu’un jour viendrait où il aurait en mains un violon de 1765, sorti de la maison de Gennaio Gagliano, à Naples ? Eh bien c’est cet instrument, prêté par la Fondation Maggini de Suisse qui l’accompagnerait plus tard dans ses tournées. La Fondation qui possède des trésors d’instruments à cordes de qualité, venus des 17, 18 et 19 ème siècles, porte ce nom en hommage au plus célèbre luthier de l’Ecole de Brescia, Giovanni Paolo Maggini (1581-1632)
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Aylen, à l’Ecole d’Eduard Grach, légendaire violoniste russe.
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Evoquant dans le magazine Diapason le talentueux jeune-homme qu’est Aylen Pritchin, Jean-Michel Molkhou, souligne « une sonorité lumineuse et un bras droit impérial » chez celui-ci qui fut l’élève de l’un des illustres maîtres du Conservatoire Tchaïkovski de Moscou, la plus prestigieuse école de musique de Moscou, sinon de toute la Russie, Eduard Grach. Il est bien normal que l’établissement porte le nom de Tchaïkovski puisque le virtuose en fut l’un des tout premiers professeurs ; il y enseignait la théorie et l’harmonie. Ici, se déroule aujourd’hui, tous les quatre ans, le Concours international Tchaïkovski précisément. Et c’est là, au n° 13 de la rue Bolchaïa Nikitskaï, que le jeune Aylen y a perfectionné son art, dans cet ancien hôtel particulier datant du XVIII ème siècle mais reconstruit de A à Z à partir de 1895, par Zagorski qui y ajouta une belle salle de concert. Le garçon avait la joie au cœur, mais aussi la gorge un peu serrée, le premier jour, lorsqu’il vit le bâtiment qui allait l’accueillir, en retrait de la rue, avec sa façade néo-baroque, la demi-rotonde, l’avant-corps à colonnes ioniennes. Emotion aussi en remarquant les premières mesures d’œuvres de Tchaïkovski reproduites sur la grille de devanture.
Depuis, remportant de nombreux prix en Russie, au Japon, en Bulgarie, en Italie… Aylen s’est déployé à son tour, multipliant les tournées partout en Europe et au-delà jusqu’au Japon et au Vietnam, via Israël. Il a donné des récitals dans de prestigieuses salles de concert chez lui à Moscou mais aussi au Konzerthaus de Vienne, au Concertgebouw d’Amsterdam, à Salzbourg au Mozarteum ou encore au Théâtre des Champs-Elysées à Paris. Quant aux titres remportés, il en compte tant qu’on peut citer juste celui de 2014 : le Grand Prix du Concours Long-Thibaud-Crespin, en France. Avec à la clé aussi une confortable récompense de 25.000 euros.
Un après-midi de rêve à s’envoler de sa chaise …
Ce dimanche-là donc, dans l’un des salons de l’élégante bâtisse médocaine, un tonnerre d’applaudissements accueille le jeune virtuose au visage d’ange – et pour la première fois dans la région – mais les spectateurs en connaissent bien sa valeur, car louangé dans la presse spécialisée, sur les réseaux sociaux, par la vidéo. Une estrade a été dressée au centre de la pièce, sur laquelle trône le piano et le pupitre. Assise derrière le clavier, celle qui va l’accompagner c’est Sophie Labandibar, venue du Pays Basque natal, comme on le devine à son nom. Ils se connaissent et s’apprécient, ils ont travaillé ensemble. Elle aussi a eu sa première leçon de piano très jeune, elle aussi parcourt le monde. Elle a joué avec des musiciens de renommée, tels Young Chang Cho, Christian Ivaldi, Andreas Reiner, Vladimir Mendessohn… Elle est une habituée des compétitions internationales majeures, des festivals, entre autres Pablo Casals-Festival de Prades ; Pianofestival « La Roque d’Anthénon » ; Festival de Radio France de Montpellier ; « Concours Maxence Larrieu » etc. Sophie Labandibar travaille actuellement comme accompagnatrice de studio et assistante pour la classe de Philippe Bernold au Conservatoire National Supérieur de Lyon, ainsi que sur le Folwang Hochshule à Essen, pour la classe de la violoncelliste Young Chang Cho.
Bref, un après-midi de rêve, en Médoc, entre une cascade de notes et, pour les yeux, la dextérité des doigts de quatre mains véritablement magiques… Un moment privilégié, une quasi faveur accordée à chacun par le jeune Maître, ainsi apparaît-il tant il semble invincible en courant sur ses cordes, tel le faon qui se joue des embûches. Aylen Pritchin à ne rater sous aucun prétexte quand l’occasion s’offrira à vous.
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Natif de la plaine d’Oranie, JLL est un journaliste de radio et de télévision. Aujourd’hui retraité, il a exercé ce métier pendant près de 40 ans, aussi bien en France métropolitaine que dans les stations d’Outre-mer : Amérique latine, Afrique de l’est, Océan Indien. Il a longtemps exercé en Aquitaine où il fut rédacteur-en-chef de la station de Radio France (France Bleu Gironde). Il a publié plusieurs ouvrages, les trois derniers puisés dans le terroir bordelais.
Crédit photo de couverture Khaled Zorgati, que faire.paris.fr . Festival européen jeunes talents.