Sculptrice
Haude Bernabé nous raconte sa passion de l’assemblage.
La première chose qui frappe lorsqu’on rencontre Haude Bernabé, c’est son apparence menue, qu’on oppose automatiquement aux pièces de taille impressionnante qu’elle produit et qui demandent une certaine maîtrise du métal. On imagine plus ces pièces sortir des mains d’un ferrailleur que de celles de ce petit bout de femme.
Il faut dire que sa passion de l’assemblage remonte à l’enfance. Petite, déjà, elle ramassait tout ce qu’elle voyait et qui pourrait être combiné : bouts de bois, branches, morceaux de fer, coquillages. Brest, ville marine, ne manque pas de fer. On y fabrique des bateaux, ça coupe, ça tord, ça soude et surtout, cela inspire la petite fille qui grandit en portant beaucoup d’intérêt à ce genre de matériaux. Enfant, elle a la passion du dessin et gribouille sans cesse sur du papier. Elle adore la mer, quoi de plus normal pour une Bretonne, mais cette étendue d’eau est surtout pour elle le signe d’une grande ouverture sur le monde extérieur.
Elle espère faire les Beaux-arts, mais ses parents l’en dissuadent, à l’instar de beaucoup de parents qui trouvent que l’art n’est pas un métier d’avenir. Plus tard, elle se tourne vers les études scientifiques et la biologie et devient ingénieur agronome. Elle observe néanmoins une certaine continuité entre sa formation et l’artiste qu’elle est devenue :
« C’est avant tout une façon de comprendre l’être, de comprendre le vivant », dit-elle.
C’est à la naissance de son deuxième fils qu’elle prend vraiment conscience de ce qu’elle veut faire et se tourne définitivement vers la sculpture. Elle laisse tout tomber et s’investit dans sa passion, qui va devenir aussi son métier. Nous sommes au début des années 90, avoir un atelier coûte cher, mais Haude a une idée pour pallier le manque de moyens : elle transforme son garage en atelier. Certes, l’endroit est petit mais cela lui convient.
Travailler le fer ne relève donc pas du hasard. Son enfance en Bretagne, les bateaux et les promenades effectuées dans des galeries où elle remarque ce métal travaillé par d’autres artistes, guident sa voie. Si elle travaille seule, des amis viennent l’épauler pour les pièces lourdes qu’il faut assembler, maintenir et souder. Puis vient le temps des petites expositions ; elle est patiente. Elle trace son petit chemin, se fait remarquer par une galeriste, puis une autre et une autre encore, ce sont souvent des affinités, des coups de cœur qui provoquent ses choix. Aujourd’hui, Haude vit complètement de son art. Environ 400 à 500 pièces sont déjà sorties de son atelier, mais sa production varie au fil des rencontres. Elle expose à Barcelone, au Luxembourg et depuis quelque temps, l’international lui sourit également. Il faut dire que Paris s’endort un peu en matière d’art et que les choses bougent davantage à Londres ou à New York. Haude fait d’ailleurs remarquer que les galeries françaises sont légèrement en retard par rapport à l’Allemagne ou l’Angleterre. Le système français utilise peu les réseaux sociaux, les pages de certaines galeries n’étant pas toujours mises à jour ; c’est dommage.
« Je pense qu’il faut recentrer le métier de galeriste en France » dit-elle.
La vie d’artiste n’est pas toujours facile, mais Haude pense avoir bien concilié sa vie d’artiste et sa vie de mère. Elle fréquente peu les vernissages, car elle est trop occupée à créer et les mondanités, nécessaires par ailleurs, ne sont pas toujours sa tasse de thé. Haude fonctionne davantage en s’appuyant sur des liens d’amitiés fortes. Le travail l’absorbe entièrement et concevoir deux pièces à la fois est impossible. Son inspiration, souvent intense, ne naît pas forcément de sa réflexion. Souvent, le travail de récupération, la forme d’un morceau de fer peuvent déclencher une idée. S’il lui arrive parfois de prendre des notes, sa création est souvent thématique. Elle a récemment travaillé le thème de la mélancolie. La série de têtes présentées ci-dessous s’inspire, elle, du thème de l’identité, à partir de la célèbre phrase de Rimbaud : « Je est un autre ».
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« Je mets toujours la pièce que je fais à mi-chemin entre moi et la personne qui va regarder » dit-elle, tout n’est pas lisible, j’aime cette vision-là ».
Et lorsqu’on lui demande s’il lui est déjà arrivé de ne pas aimer une de ses pièces, elle répond simplement :
« Oui, mais j’ai toujours des projets. Soit je recommence, soit je passe à autre chose ! »
En 2014, une amie et mécène Catherine Kessedjian est l’initiatrice d’un projet en collaboration avec Lelivredart pour la conception d’un ouvrage d’art de 200 pages, consacré à ses créations de 2005 à 2015. Le livre, intitulé Haude Bernarbé, short cuts, ornementé des photographies de Gilles Abegg sur des textes de Christian Noorbergen, sort ce printemps : une saison qui va bien à cette artiste hors norme et à son univers onirique, poétique et inspiré.
Projet
#MARE NOSTRUM Villa Finaly , Florence du 20 novembre- 20 décembre 2016.
« Quand j’ai été invitée pour la saison 2016, j’ai eu envie de proposer un projet qui soit en lien avec l’Italie, l’Europe, et les événements actuels. C’était durant l’été 2015, en pleine crise des migrants et il m’a alors semblé évident de travailler sur ce sujet et en quelque sorte de donner une voix , si petite soit elle, à ceux qui n’en ont pas » (Haude Bernabé, Mare Nostrum)
Interview dirigée par CEO Dominique Lancastre
Crédit photos: Romain Nicolas
Proofreading: Colette Fournier
Bel article