À Cantenac, dans le cadre écrin du domaine du Château Kirwan, (Grand Cru Margaux classé en 1855) juste avant les auditions, Nathalie Schyler évoque d’abord une figure aimée disparue en 2014, celle d’Annette Ginestet, alors présidente de Musique Au Cœur du Médoc (MACM), qui fut à l’origine du concours, en 2008, avec la cantatrice Elisabeth Vidal et le baryton-basse André Cognet, un couple uni dans la vie comme dans le chant. Annette Ginestet voulait amener la musique classique et le chant lyrique au plus grand nombre. Chef de chœur de l’ensemble Bordeaux-Médoc (Chorales Allegro Vocal de Margaux créé 47 ans auparavant avec Bernard Ginestet, son époux) et de Point d’Orgue à Talence, elle se passionna jusqu’au bout pour cette aventure magnifique qui se perpétue aujourd’hui de château en château, à la rencontre d’un public de plus en plus nombreux. Au début, Annette sélectionnait elle-même les candidatures des jeunes interprètes de ce concours international : En 2014, ils ne furent pas moins de 100 candidats pour une quarantaine de profils retenus finalement. La sélection suppose un travail intense qui nécessite aujourd’hui comme hier une importante organisation. Ce concours 2016 était donc le premier depuis sa disparition et l’émotion était bien perceptible chez tous ceux qui l’ont connue.
Nathalie Schyler a repris les rênes de la manifestation, entourée d’une équipe tous aussi passionnés qu’elle : « Nous envoyons le règlement, les dates, à des conservatoires du monde entier et nous demandons aux professeurs de sélectionner leurs candidats pour venir passer trois jours à Bordeaux, s’ils le souhaitent. Cette année, nous avons notamment une jeune Serbe, des Allemands, une Américaine venue de New-York, trois Coréens, une Espagnole, une Italienne, des Françaises et quelques garçons, dont un Russe. C’est vrai que dans les concours en général, il y a beaucoup plus de filles, des sopranes, mais cette fois, nous avons un quart de garçons et nous sommes assez contents ! Dans un opéra, il faut bien des hommes aussi, n’est-ce pas ? »
– Mais chanter en français, quand on ne parle pas forcément notre langue, est-ce facile ?
– Oui, mais c’est pourquoi il leur faut prendre quelques cours de diction, car on doit comprendre ce qu’ils chantent. Cette année, les candidats avaient en effet obligation d’inclure à leur répertoire deux airs en français. Beaucoup ne connaissaient pas notre région et sont émerveillés parce que nous les recevons dans des lieux prestigieux. Cela les marque d’autant plus que ce sont des êtres sensibles par définition, touchés par tout ce qui est beauté. Accéder à cette salle de l’opéra de Bordeaux revêt pour eux une dimension mythique. »
Un jury tout aussi international, composé de sept personnalités de renom.
Le jury a dû opérer sa sélection pendant ces trois journées, ce qui a donné lieu bien sûr à des échanges pointus, mais dans une atmosphère de sérénité et d’amitié. Quant aux candidats, ils ne pouvaient qu’être impressionnés par un panel aussi fameux, dont Henri Maier, qui exerce de multiples fonctions entre l’Opéra du Rhin et celui de Leipzig et enseigne dans plusieurs pays, dont le Canada, le Japon ou encore la Chine. À la table du jury siégeait aussi John Mc Murray qui fut notamment responsable des programmations au Royal Opera House et administrateur du Birmingham Touring Opera. À ses côtés se trouvait une personnalité très impliquée à l’Opéra de Nuremberg, Jan Henrik Bogen, (programmation artistique). Et puis l’Autrichien Christian Schirm, aussi bien homme de radio que de théâtre, passé par Vienne, Genève, Dijon, Paris (ONP et Palais Garnier) et qui se trouve depuis 2015 à la direction artistique de l’Académie de l’Opéra National de Paris. Quant à Dmitry Vdovin, il n’est autre que le responsable artistique des jeunes chanteurs du Bolchoï, et ses « sélections » propulsent ses poulains sur les meilleures scènes mondiales : La Scala, le Metropolitan Opera, Covent Garden, l’Opéra de Paris…
Nous trouvons encore la soprano Elisabeth Vidal, interprète des rôles les plus périlleux sur les scènes mondiales et que la presse internationale a saluée en particulier pour son enregistrement de la Reine de la nuit : une personnalité à la recherche constante d’œuvres oubliées à faire revivre… Enfin, Isabelle Masset, directrice adjointe artistique de l’Opéra National de Bordeaux, qui a travaillé avec les opéras de Bruxelles et de Strasbourg, notamment, et qui est régulièrement associée à des jurys de concours internationaux. Autant dire que ce jury qualifié a pu poser à l’issue des tours de chant un verdict sans appel…
Pour Isabelle Masset qui s’est confiée à Pluton-Magazine, nul doute que le passage de ces jeunes par le Médoc, puis par le grand Théâtre de Bordeaux, comptera dans une carrière déjà bien lancée pour certains
: « J’ai été impressionnée par toute cette synergie déployée autour de ces jeunes chanteurs par les organisateurs bénévoles du Médoc, touchée par leur engagement, leur professionnalisme ; Bordeaux est habituée à monter des concours, ce qui implique une grosse organisation, énormément de préparation en amont, beaucoup de chefs de chant, un théâtre qui soit libre, des salles (pour les répétitions) ; on s’est déjà occupé de concours comme celui du Quatuor et nous savons combien c’est lourd. Là, on n’avait pas le temps, on ne s’est pas occupé du jury ni de la sélection, on s’est appuyé sur le Médoc, son organisation et vous avez vu combien ils sont performants ! Donc, de notre côté, nous leur avons offert le cadre du Grand théâtre pour la finale ; c’est sûr qu’un jeune soliste qui se retrouve sur un pareil plateau est impressionné ; c’est une très belle maison, historique et de réputation internationale ; pour ces jeunes, je suis sûre que cela va faire partie d’une expérience dont ils se souviendront et pour nous, c’est une occasion de les juger en tant que futurs professionnels… »
Eloïse, Teresa, Yohann, Clémence, Liying, Mikhail et les autres… pour interpréter Rameau, Ravel, Bizet, Puccini, Mozart…
Sur scène aussi, Emmanuela Pascu, 29 ans, mezzo-soprano qui a commencé sa carrière lyrique en 2006 dans le rôle de Marcellina des Noces de Figaro, l’un des opéras les plus connus de Mozart. Cette lauréate de plusieurs concours nationaux et internationaux se produit sur des scènes importantes, comme celles de Francfort, Berlin, Bucarest et Pékin. Elle a tenu des rôles de premier plan, comme dans Capulets et Montaigu, Carmen ou Le Barbier de Séville. Dimanche, à Bordeaux, elle a obtenu le 2ème Prix des Grands Vins de Margaux pour ses interprétations de La Favorite (Donizetti) et de Sapho « Ô, ma lyre immortelle » (Gounod). Emmanuela a reçu aussi le Prix du Public Musique Au Cœur du Médoc.
Le 3ème prix, le Prix de l’Hôtel de Sèze, est allé à la soprano Miren Urbieta Vega pour ses interprétations de Carmen (Bizet) et Turandot (Puccini). Miren, jeune espagnole de 32 ans, diplômée en 2010 de l’Ecole Supérieure de Musique du Pays-Basque, a obtenu de nombreuses récompenses légitimées par son travail, sous la conduite de ses pairs, Jaime Aragall, Carlos Alvarez, Isabel Monar, Ana Luisa Chova ou Montserrat Caballe… Elle se produit régulièrement dans tous les hauts lieux espagnols de l’art lyrique.
On notera aussi que le Prix Jeune Espoir a été attribué à Clémence Garcia, 23 ans, soprano qui avait choisi quant à elle, pour convaincre le jury, l’Enlèvement au sérail (Mozart) et Giulio Cesare (Haendel). Clémence a été louée pour sa « voix cristalline » lors de sa puissante prestation à Toulouse dans « Le Chemin de la Croix » de Paul Claudel : « La soprano vocalise par-dessus cette mêlée sonore, apportant une touche séraphique dans les aigus » a écrit Alain Huc de Vaubert, de La Clef Resmusica.
Le premier prix « Annette Ginestet » a été attribué au Russe Mikhail Timoshenko.
Il reçoit également le Prix de l’Opéra National de Bordeaux. Mikhail Timoshenko, baryton-basse âgé de 22 ans, est fort apprécié, en particulier dans son pays, mais aussi en Allemagne où on l’a entendu dans différentes productions. Étoile montante, il a intégré à son répertoire, pendant son apprentissage, de nombreuses productions telles La Flûte enchantée, L’Ile au trésor, Eugène Onéguine, et a chanté la Messe en si de Bach. Y figurent aussi les rôles de Lanciotto dans l’opéra russe Francesca da Rimini (Rachmaninov), de Colline dans La Bohème (Puccini), du prince Assur de Semiramide (Rossini) ou bien encore de Raphaël, dans La Création (Haydn).
Plusieurs fondations le soutiennent, en particulier Yehudi Menuhin Live Music Now ou encore Ernst-Freiberger. L’an dernier, il se trouvait à Amsterdam pour une nouvelle confrontation entre une quinzaine de jeunes finalistes de niveau supérieur (34ème édition de l’International Hans Gabor Belvedere Singing Competition). Présent dans la salle, le chroniqueur Christophe Rizoud, du Forum Opera, (le Magazine du Monde Lyrique) à qui rien n’échappe, à commencer par le mauvais français (alors !) du jeune interprète, écrivait : « Le hachis sonore montre que ce baryton russe ne comprend – hélas – pas un traître mot de français ». Et il notait encore qu’« à 21ans, il semble que Mikhail Timoshenko semble encore jeune pour tirer Méphistophélès de son linceul caricatural. Peu inquiétants, les ricanements de « Vous qui faites l’endormie » n’en sont pas moins habilement personnalisés d’une voix au grain prometteur. »
Cette fois-ci, à Bordeaux, avec La Jolie Fille de Perth, opéra de Georges Bizet, il semble qu’un progrès ait tout de même été constaté en matière d’expression française ! À lui donc l’attribution du premier prix ; depuis un an, l’eau a coulé sous les ponts de la Moskova…
La soprano d’origine camerounaise, Elisabeth Moussous, a été également l’une des participantes particulièrement remarquée par le public, grâce à la puissance de sa voix, une voix chaleureuse ; cette élève de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris n’en est d’ailleurs pas à ses débuts pour avoir déjà fait sensation lors de concours précédents. Une graine de voix dramatique particulièrement convaincante dans Wagner : « Le chant lyrique en soi, ça fait dix ans maintenant pour moi, depuis que je suis en France ; c’est du travail, c’est long, ça vient petit à petit et c’est vrai que d’être maintenant à l’Opéra de Paris, c’est une telle chance, un tel bonheur… Et bientôt je serai sur scène pour chanter dans la Traviata et j’en suis très heureuse ».
Rendez-vous dans deux ans maintenant, pour une prochaine édition.
Jean-Louis Lorenzo