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Un rêve d’enfance devenu réalité
Quel spectateur venu au complexe UGC Ciné-Cités du centre-ville de Bordeaux ne l’a pas croisé à la billetterie, ou à l’accueil ? Ce garçon aux longs cheveux, pas encore la trentaine, c’est Jean-Baptiste Becq qui affiche joie de vivre et gentillesse, heureux de se trouver là, c’est-à-dire au bout de la chaîne cinématographique, là où son rêve d’enfant a pris tournure. En effet, si son travail assure aussi sa subsistance, il est devenu aujourd’hui réalisateur de courts-métrages et n’est pas peu fier de se voir déjà « projeté » sur grand écran chez lui (ou plus loin à présent), entouré de son équipe technique, de ses comédiens et devant un parterre de spectateurs. Car ses premières réalisations sont déjà parties vers des festivals, que ce soit à Tel-Aviv, à Hanovre, en Autriche, à Lisbonne, à Cannes (au Short Film Corner 2014), à Aigues-Mortes, au cinéma Marcel Pagnol, etc. Au total, dans une bonne douzaine de lieux-festivals. Avec aussi des récompenses, comme cet Ours d’Or obtenu au festival des Nations (Autriche) ou le Grand Prix Festival Armoricourt (2013) pour « Une voiture rouge ».
Quel chemin parcouru depuis ses 10 ans ! Dès ce moment-là, mais davantage un peu plus tard, dès 13 ans, il s’amusait déjà à faire des petits films avec les copains ; il a toujours à l’esprit cet « Espion 114 » tourné chez sa mère, au Bouscat (Bordeaux-Métropole), dans lequel il jouait un père violent avec course poursuite dans l’immeuble et l’indulgence des voisins… Et puis le lycée Montesquieu, un Bac L obtenu et ce salon de l’Étudiant déterminant qui l’a propulsé vers la fac pour découvrir des auteurs, des styles de cinéma, acquérir une culture indispensable pour aller plus loin ; il y a eu l’apprentissage, la pratique de l’écriture de scénario, le cadrage, le tournage, le montage… Et la bande d’amis qui s’est constituée, avec, après les tentatives de l’enfance, les premiers films « de potes », comme il dit, des réalisations un peu plus structurées dans sa vie d’étudiant. Tous les copains et copines ne sont pas forcément restés sur cette lancée, l’un est devenu libraire, un autre est entré dans la mode (mais « qu’il régale de ses montages vidéos), mais les deux filles du groupes, elles, ont poursuivi comme lui une carrière au cinéma, dans l’exploitation cinématographique. Je lui demande avec quel tournage il a vraiment commencé à se sentir devenir auteur : sans hésitation, il cite « Les fantômes du fer ».
De l’Université de Bordeaux III à celle de Chicoutimi…
L’opportunité d’un programme d’échange étudiant, quand ça se présente, ça ne se refuse pas ! Alors, il opte pour l’Université du Québec, à Chicoutimi, pour vivre une expérience d’une année, de préférence en dehors des grandes villes, à deux heures au nord de Québec. C’est l’un des arrondissements urbains de la ville de Saguenay, entouré de plans d’eaux, rivières, forêts, au sud-est de l’immense lac Saint-Jean et non loin du Lac-Kénogami.
« Le Québec vraiment, c’est une expérience extrêmement forte, humainement, de la découverte du pays, de sa topographie, sa nature. J’ai trouvé tout ça incroyablement beau. Saisissant par son immensité ; surtout, j’ai rencontré des gens formidables. Tout le monde ne réagit pas forcément de la même façon, mais moi, ça m’a inspiré des choses, c’était tellement stimulant et d’autant que j’arrivais de Bordeaux, avec beaucoup de théorie, Bordeaux où les tournages étaient – je n’ose pas dire – un peu mous, pour me retrouver dans une espèce de débrouillardise incroyable des étudiants, par exemple quand on a refait dans ma salle de bain… une scène de « Requiem for a Dream », de Darren Aronofsky. Je me souviens, on a customisé cette salle de bains pour reproduire le décor du film ; ils sont allés emprunter des néons à la grande surface pour les rendre ensuite, et du bois dont ils avaient besoin ; en collaborant avec les différents services théâtre de la fac, on est arrivé à des choses dingues dans la pratique, c’est très représentatif de l’enseignement anglo-saxon, mais en même temps, ça se complétait avec Bordeaux, parce que les deux sont très importants. C’est vrai que la licence à Bordeaux III m’a apporté aussi beaucoup de choses. »
Un fantôme sur la voie, ou un train nommé désir.
Mais on sait bien qu’une caméra à l’épaule, ça rassure, ça neutralise le frisson soudain provoqué par une goutte tombée de la voûte. Il a bien fait de persister, parce que des surprises, il en a eu, comme en tombant sur cette gare de Sarrance ressuscitée, transformée en blanchisserie, lieu de vie et de travail pour adultes handicapés, ou cette autre ancienne gare de Lescun-Cette-Eygun, rebaptisée « La Goutte d’Eau », point de rassemblement d’idéalistes, utopistes, marginaux, défenseurs de la nature ou/et adeptes des plaisirs de l’herbe, avec pour symbole vivant le truculent Eric Pétetin à la légendaire plume sur le chapeau. « Oui, la gare était devenue un squat, à la fois la gare elle-même et un wagon. Ils se voulaient les défenseurs de la ligne du chemin de fer, de son retour et étaient hostiles au tunnel routier du Somport. Mais la Goutte d’eau était aussi devenue à moment donné, un relais de randonnée, car Eric était également guide, guide de haute montagne ».
Et puis, il y a tous ces souvenirs d’anciens recueillis pour le reportage qui n’était au départ qu’un projet écrit, ponctuant ses études de cinéma à l’université bordelaise pour l’obtention de sa licence. Mais Jean-Baptiste gardait un goût d’inachevé et puisqu’il restait sur sa faim, il décida d’aller plus loin. C’est comme cela que sont nés « Les fantômes du fer », avec le précieux concours d’ « un pote », Benjamin, aujourd’hui monteur à Paris et qui tenait la caméra. Alors, ils les ont retrouvées, toutes ces mémoires, pour « mettre en boîte » des rencontres passionnantes : René Gouin-Rabal, Jean-Pierre Bergès, Gilles Salabert, Michel Raby… Étape suivante : les projections, la « première » ayant lieu au grand Mégarama de Bordeaux-Bastide ou encore à Pau et en vallée d’Aspe, ce fut même un grand moment d’émotion et d’enthousiasme dans le lieu mythique de la gare d’Etsaut devenue la Maison du Parc national des Pyrénées, où un monde fou se retrouvait, d’anciens conducteurs du train en tête…
« Pierre, il aime les acteurs et les acteurs le lui rendent bien »
Pierre Bénard, parti récemment à la retraite et auquel succède Damien Gérard venu de Nancy, ne manque évidemment pas de revenir au cinéma. Figure très populaire, à l’intérieur comme à l’extérieur (toujours perché sur son vélo), il est resté en effet un peu plus de quarante ans à la tête du complexe bordelais, un record de longévité dans le cinéma français. Il est une mine de connaissances cinématographiques et Jean-Baptiste lui voue une grande admiration, car il a tellement appris à son contact. « J’aime ce lieu, dynamisé par une équipe jeune et motivée et ça a été un énorme plaisir de travailler avec Pierre ; il était ce que je pourrais appeler une pièce maîtresse, quelqu’un de profondément humain ». L’UGC sait ce qu’elle lui doit et si Bordeaux en est devenue l’une des forteresses, comme le soulignait récemment à Sud-Ouest Damien Gérard, c’est parce que Pierre a tissé des liens extraordinaires, qu’il a accueilli depuis tout ce temps-là tant d’acteurs, d’actrices, de réalisateurs. L’UGC de Bordeaux, c’est peu ou prou, affirme Jean-Baptiste, le cinéma de France qui reçoit le plus d’équipes de films en avant-premières… Et ça se termine souvent à deux pas de là, au Bistrot du Sommelier, réputé sur la place. « Pierre, il aime les acteurs et ils le lui rendent bien, je pense en particulier à Guillaume Canet qui est l’un de ses (nombreux) amis. »
C’est dans cette ambiance tellement favorable que le jeune réalisateur a baigné, enrichi de belles rencontres, comme avec Daniel Auteuil, Bertrand Tavernier, Benoît Delépine, Vincent Rottiers… qu’il aime écouter parler de leur travail. La chance de pareilles opportunités l’a bien évidemment renforcé dans son désir de faire du cinéma.
De « Bleu piscine » à « Une voiture rouge », le cinéaste se révèle…
« Traversée » ou le mythe d’Orphée et d’Eurydice revisité dans le désert de Navarre.
C’est au cours de vacances récentes que ce paysage aride s’est tout naturellement imposé à lui : celui du désert des Bardenas, autour d’une bourgade perdue, le petit village de Figarol. Et c’est dans ce paysage naturel, somptueux, aux allures d’Arizona, qu’il a imaginé aussitôt la trame de ce nouveau film (aujourd’hui achevé). « Traversée », inspiré du mythe d’Orphée et Eurydice ; un drame dansé par Céline Madsen-Boyer et Florian Salle, de la compagnie « A Corps d’émoi », avec lesquels il le mijotait depuis plusieurs mois. Une envie de voir des corps danser, d’exprimer une histoire de passion et d’amour, dans une libre inspiration de la mythologie : « J’ai voulu la mort présente avec ce cortège funèbre, dans la tradition ibérique, avec les dames en noir qui psalmodiaient, et les gens du village se sont prêtés de bonne grâce au tournage. Ça a été là aussi une sacrée expérience humaine : pensez, dans ce village où rien ne se passe, on déboule en équipe dans l’unique hôtel de Maria, une femme au grand cœur, pleine de vie, incroyable et qui va tout faire pour nous aider, trouver les gens, leur faire enregistrer des prières dans la langue espagnole, faire apprendre son texte à un acteur improvisé (le rôle d’Hadès), etc. Ce fut pour eux comme pour nous une aventure formidable. Et nous allons prochainement y aller pour la projection. Ça va être encore un grand moment ! »
Et puis, aujourd’hui, un quatrième court métrage en projet…Il en est – confidence – à la 9ème version, c’est dire s’il y travaille ! Et là, de nouveau, un train traversera le grand écran : peut-être cet autre train, toujours enfoui dans sa mémoire d’enfant. A suivre ! (JLL)
Jean-Louis Lorenzo