A l’occasion de la parution de son douzième ouvrage Une Autre Histoire aux Editions du Cherche-Midi. Claude Ribbe répond aux questions de Pluton-Magazine et explique les raisons de sa démarche .
P-M: Votre travail de recherche repose sur la mise en valeur de figures historiques noires non reconnues par l’histoire officielle de la France. Êtes-vous opposé à l’histoire officielle ou la rejetez-vous de fait ?
Claude Ribbe: L’histoire officielle de la France, du fait qu’elle est officielle, est nécessairement partiale et partielle. Je ne m’y oppose pas. Je ne la rejette pas. Je m’efforce simplement d’y réintégrer les épisodes et les figures que les préjugés de ceux qui écrivaient cette histoire ont écartés. L’histoire officielle est une construction politique. L’histoire de France, c’est autre chose. Sans forcément faire œuvre de démolisseur, comme d’aucuns le pensent parfois, j’estime consolider l’histoire de France à ma manière en corrigeant les effets pervers d’un racisme souvent inconscient des historiens. Je ne m’intéresse pas qu’aux figures noires. Mais je leur ai accordé une priorité parce que leur occultation était totale. Et parce que personne ne faisait convenablement ce travail.
Quelle est votre figure historique préférée ? Pourquoi ?
Il est bien difficile de faire un choix parmi les personnages exceptionnels que notre histoire officielle a écartés et que j’ai eu la chance de découvrir et d’aimer, mais force est de constater, de livre en livre, que je porte un intérêt particulier au général Dumas puisqu’il est présent dans cinq de mes ouvrages (sur douze publiés à ce jour) et que je lui consacre encore un chapitre entier dans Une Autre Histoire. Outre qu’il s’agit d’une figure particulièrement romanesque, la prise en compte de son épopée permet d’avoir une tout autre approche de l’Ancien Régime, de la Révolution et de l’Empire. Le meilleur éloge en a été fait par Anatole France. « Le plus grand des Dumas, écrivait-il, c’est le fils de la négresse, c’est le général Alexandre Dumas de La Pailleterie, le vainqueur du Saint-Bernard et du Mont-Cenis, le héros de Brixen. Il offrit soixante fois sa vie à la France, fut admiré de Bonaparte, et mourut pauvre. Une pareille existence est un chef-d’œuvre auquel il n’y a rien à comparer ». De plus, au-delà de sa propre destinée héroïque, qui est hors normes, le général Dumas est à l’origine d’une dynastie de deux générations d’écrivains sans lesquels la France ne serait pas tout à fait ce qu’elle est.
Ce travail semble reposer sur des sources documentaires rares et fiables. Comment définissez-vous le travail de l’historien ?
L’histoire, on le sait, c’est une recherche, une enquête. Une enquête qui n’est jamais terminée. L’exhumation de nouveaux documents remet sans cesse en cause ce que l’on croyait acquis. Les documents originaux, c’est fondamental. Les livres des autres, il faut s’en méfier tant qu’on n’a rien vérifié. J’ai passé et je passe encore beaucoup de temps dans les archives. Étant claustrophobe et allergique à la poussière, ce n’est pas toujours pour moi une partie de plaisir. Mais il y a des moments passionnants. Comme dans toute chasse, il y a une part de chance aussi dans cette quête. Jusqu’à présent, j’en ai eu beaucoup. Après le travail d’archives, il y a l’interprétation qu’on en fait, les conclusions qu’on en tire, les pistes nouvelles qui s’ouvrent. Et puis, au-delà de l’enquête, l’histoire, c’est aussi une narration et cette narration est selon moi un genre littéraire à part entière, qu’on s’adresse à un public savant ou à un public plus large. Beaucoup de bons chercheurs ne savent pas écrire et leurs travaux, illisibles, y perdent beaucoup. Il y a aussi des livres habilement composés mais qui ne sont pas alimentés par un travail suffisamment documenté. Cela étant, je ne me définis pas seulement comme un historien. C’est plus compliqué.
Quel est le substrat de l’ambition intellectuelle qui vous anime ?
Mon ambition n’est pas seulement intellectuelle, elle est aussi morale et esthétique. Il y a certainement une part de curiosité qui m’anime. Mais il me semble que le socle de ma démarche, c’est surtout la recherche du vrai, du bien, et si possible, du beau.
Vous justifiez d’un brillant parcours universitaire, vous êtes normalien. Qu’est-ce qui vous a marqué dans ce parcours et qui a pu nourrir cette ambition ?
J’ai eu l’occasion, très tôt dans ma vie, d’être encouragé en étant admis dans une institution à la fois protectrice pour les élèves et prestigieuse du fait de la qualité de ceux qui y avaient séjourné avant moi. Tout cela est assez loin. Le problème de l’École normale, dont l’admission est très sélective, c’est que quatre vingt-dix pour cent de ceux qui ont l’ambition d’y entrer, restent à la porte. Au bout du compte, cela fait beaucoup de gens déçus, et pas mal d’aigris. Sur mon chemin, j’en ai rencontré souvent qui ne me voulaient pas que du bien. C’étaient fréquemment des gens de pouvoir qui avaient réussi leur vie d’un point de vue matériel, mais qui étaient spirituellement et intellectuellement frustrés. Bref, ma qualité de normalien m’a attiré plus de haine et de jalousie, plus de difficultés que d’avantages matériels. C’est surtout en préparant l’École normale que j’ai appris à apprendre et cela me sert encore. J’ai en tout cas beaucoup plus de fierté d’avoir écrit ce que j’ai écrit, d’être resté ce que je suis – un esprit libre – que de détenir des titres universitaires. Oui, je suis entré à l’École normale à dix-neuf ans. Oui, j’ai été reçu à l’agrégation de philosophie à vingt-deux. Pourtant, je n’ai accompli aucune carrière universitaire. Mais, tout au long de ma vie, je me suis efforcé de laisser quelque chose d’utile derrière moi et je suis plus que jamais occupé sur ce chantier.
Claude Ribbe est né à Paris le 13 octobre 1954, de parents originaires de la Guadeloupe et de la Creuse. Après des études d’histoire et de philosophie, il a construit son œuvre, au fil d’une douzaine d’ouvrages, et de trois films, en exhumant de grandes figures afro-françaises méconnues. Son douzième livre, Une Autre Histoire(le cherche midi éditeur) met en scène vingt-deux destinées exemplaires et romanesques d’hommes et de femmes que Claude Ribbe a l’ambition de faire connaître pour les réintégrer dans le panthéon national. Parallèlement à ses activités d’auteur et de cinéaste, Claude Ribbe milite pour la création d’un centre Dumas à Paris, sur le modèle du musée d’histoire et de culture des Afro-Américains récemment inauguré à Washington, où seraient mises en valeur les héroïnes et les héros positifs de notre passé que les préjugés ont laissés de côté.
Bibliographie
1. Le Cri du Centaure. ( Plon , 2001). Roman.
2. Alexandre Dumas, le Dragon de la Reine. Ouvrage consacré au général Dumas (2002).
3. L’Expédition.(Le Rocher, 2003). Roman.
4. Le chevalier de Saint-George.(Perrin, 2004).
5. Une saison en Irak. (Privé, 2005)
6. Le Crime de Napoléon.(Privé, 2005)Pamphlet.
7. Les Nègres de la République.(Alphée Jean-Paul Bertrand, 2007). Essai.
8. Le Nègre vous emmerde. Pour Aimé Césaire.(Buchet-Chastel, 2008).
9. Le Diable noir.(Alphée Jean-Paul Bertrand, 2008).
10. Mémoires du chevalier de Saint-George.(Alphée Jean-Paul-Bertrand, 2010). Roman.