C’est un truisme que d’affirmer que la jeunesse africaine actuelle, dans sa grande majorité, va mal. De nombreux rapports d’organisations spécialisées comme la FAO, le PNUD, le FMI, émettent depuis de nombreuses années, et ce, de manière continue, des signaux d’alarme sur les situations d’urgence que connaît le continent.
De nombreux facteurs sont à l’origine de cette situation : la sécheresse au Niger, au sud du Soudan, en Somalie, au Mali et dans d’autres régions sahéliennes ; les crises électorales et surtout postélectorales comme celle de Côte d’ivoire en 2011, celle de la République du Congo en 2016, du Burundi en 2015, sans oublier les mouvements de populations dus à la guerre dans plusieurs pays comme en République centrafricaine, au nord Cameroun et au Nigeria, etc.
Pourquoi l’Afrique engendre- t-elle depuis des décennies, les mêmes crises qui condamnent sa jeunesse à la pauvreté, au chômage, à l’exil, voire à l’errance internationale ?
En d’autres termes, quelles sont les causes directes et indirectes de ces multiples crises que vit le continent de façon répétitive, et quelles solutions endogènes et durables sont envisageables, dans la perspective d’une Afrique renaissante, consciente de la diversité de ses richesses naturelles, intellectuelles, et spirituelles ?
Avant de répondre à ces questions, il convient d’indiquer que les États d’Afrique ne sont pas les seuls à produire en ce 21° siècle débutant, une jeunesse dont le triste destin est scientifiquement prédictible.
Au demeurant, depuis quelques années, la situation des jeunes en Amérique du Sud va de mal en pis. De milliers de jeunes Cubains, Mexicains et jeunes issus de tous les pays environnants émigrent illégalement vers les États-Unis ou d’autres pays occidentaux, là où la situation économique semble plus favorable. On observe dans certains États européens comme la Grèce, le Portugal, la Serbie, la Roumanie, etc., que le monde professionnel n’offre plus des opportunités suffisantes et satisfaisantes pour la jeunesse. Celle-ci se trouve alors contrainte de trouver hors de ses frontières, ce que la conjoncture économique rend impossible à l’intérieur.
Les causes endogènes et exogènes des migrations africaines
Le sort de la jeunesse africaine reste on ne peut plus préoccupant au regard de la multiplicité des mouvements migratoires, comme cela a rarement été observé dans le passé.
En Afrique, les guerres de prédation de matières premières, la mal gouvernance, l’inadaptation du modèle occidental de gouvernance aux réalités politiques africaines, les crises postélectorales, les défis climatiques et la famine engendrent de vastes mouvements de populations et de nombreux camps de réfugiés à l’intérieur comme à l’extérieur du continent.
De multiples et traumatiques témoignages de réfugiés climatiques, politiques et économiques attestent que le temps d’une profonde réflexion est venu pour que, par l’intelligence et la profonde sapience, les intellectuels et les gouvernants africains trouvent des solutions adéquates aux crises que vit leur continent.
Après avoir dénoncé le lourd poids de 5 siècles d’esclavage et de colonisation sur les mentalités et le pensum africains, indexé la néo-colonisation avec ses multinationales aux méthodes esclavagistes et insidieuses, condamné l’ingérence et le soutien accordé aux dictateurs africains par les puissances impérialistes, récusé la démocratie importée d’Occident avec ses guerres et ses crises, l’urgence pour l’Afrique et sa jeunesse est de trouver des solutions endogènes et pérennes, nées d’une totale réorganisation de sa société. Ce, sur la base de ses atouts multiformes, mais surtout de la redéfinition et de la réorientation de ce que doit être l’école de demain.
Au sujet des origines de l’école en Afrique
Contrairement à une opinion largement répandue en Occident, qu’il est urgent de déconstruire, l’école entendue comme le lieu par excellence d’acquisition du savoir-vivre, du savoir-être, du savoir-faire, et du faire-savoir, n’est pas une exclusivité occidentale qui serait étrangère aux peuples d’Afrique.
Dans l’Égypte antique dont on sait aujourd’hui, suite aux excellents travaux du professeur Cheick Anta Diop et au colloque organisé par l’Unesco au Caire, en 1974, qu’elle fut essentiellement une civilisation noire, de nombreux étudiants en provenance de la Grèce et précisément, la plupart des savants grecs, y faisaient leurs études. C’est ce que révèlent également les précieux travaux de Hérodote, Manhethon, Diodore, et bien d’autres savants grecs. Le mathématicien Pythagore, le père du célèbre théorème qui porte son nom, aurait passé plus de 20 ans à attendre d’être admis aux enseignements prodigués dans les Adytas, (lieux d’enseignements secrets dans l’Égypte antique), par les prêtres savants noirs.
Par ailleurs, dans de nombreux empires africains, avant la période coloniale, pendant et après celle-ci, la transmission des savoirs se déroulait et se déroule encore dans les familles et à l’ombre des arbres, dans les cours : d’où l’appellation « école sous l’arbre ».
Plus encore, d’autres méthodes de transmission avaient et continuent d’avoir cours, lors des soirées spéciales autour du feu avec des conteurs, des poètes, des djellis appelés griots en Occident. Ces moments-là, étaient et restent des moments exceptionnels d’enseignement et d’initiation aux savoirs, aux connaissances, mieux, à la Sia. Cette dernière est entendue comme la connaissance de la connaissance, c’est-à-dire, la connaissance sublime, celle qui met l’homme au centre de tout, celle qui surpasse tout : la connaissance indépassable.
De l’école coloniale
Il convient de dire que l’école, sous sa forme et son articulation actuelles en Afrique, est un legs de la colonisation européenne. Au regard de l’état actuel de l’Afrique et de ce que l’Africain représente en général dans l’inconscient collectif des autres peuples du monde, c’est-à-dire, un être pauvre, méprisable, incapable de mettre en valeur sans aide extérieure les diverses richesses de son environnement immédiat, la sagesse consisterait pour l’élite et les gouvernants africains d’aujourd’hui et de demain, à questionner l’utilité véritable de cette école reçue en héritage et surtout de poser les fondements d’une nouvelle école pour une nouvelle Afrique.
De fait, l’école sous sa forme actuelle fut mise en place par les colons aux fins d’accorder à quelques « indigènes », un minimum d’acquis dans la langue du colonisateur et dans d’autres champs de savoirs prédéterminés par ce dernier. Ce, pour que lesdits indigènes puissent assister les administrateurs de colonies dans leurs diverses tâches quotidiennes. Ces enseignements- là se sont peu à peu répandus dans d’autres groupes de population. C’est un peu plus tard, au milieu du 19° siècle, que l’école dans sa conception actuelle sera mise en place et rendue obligatoire. Il y eut, comme avec la religion chrétienne, une grande résistance de la part des autochtones vis-à-vis d’elle : peu de parents voulaient y envoyer leurs enfants. Ce sont finalement les enfants des familles moins favorisées qui furent contraints d’y aller. Ironie du sort, au terme de leur formation à l’école dite « du blanc », ces jeunes gens intégraient l’administration coloniale et accédaient alors à quelques avantages en leur qualité d’agent colonial, autrement appelé « indigène au col blanc ». Ce qui faisait des jaloux dans la cité ou le village, du côté de ceux qui avaient refusé d’y aller ou d’y envoyer leurs enfants. In fine, la condition sociale des anciens apprenants, leur accoutrement, leur proximité avec le colon finirent par motiver les parents les plus sceptiques. Peu à peu, cette école se généralisera et s’étendra au plus grand nombre tout en calquant les programmes et méthodes pratiqués en métropole occidentale.
Force est de constater que cette école conçue par le colonisateur avec les programmes adaptés à la société occidentale, bien qu’ayant produit des millions de diplômés et favorisé l’accès à la culture occidentale au plus grand nombre, n’est pas adaptée aux réalités sociologiques et ne répond pas aux besoins cruciaux des Africains d’aujourd’hui. Elle nécessite, eu égard aux défis que connaît le continent, une refondation totale aux fins d’épouser les attentes présentes et futures des peuples d’Afrique.
Une école pensée par les Africains pour les Africains
Le transfert des savoirs et mieux, des connaissances, tel qu’ il s’opère aujourd’hui dans la plupart des États africains, est en majorité totalement déconnecté des réalités, des atouts, et des besoins du terrain. Il y a un vrai déphasage entre l’école et les attentes des peuples d’Afrique.
Faut-il le rappeler, l’Afrique regorge de soleil, de vastes terres et de forêts vierges, de nombreux cours d’eau et de bien d’autres richesses qui, à l’heure actuelle, sont peu ou prou exploités. Pendant ce temps, la majorité des populations ne mangent pas à leur faim, n’ont pas accès à l’eau potable ni à l’électricité ; la majeure partie des populations des villes et des villages vit dans des habitations vétustes et dans des conditions d’hygiène déplorables.
La balance commerciale des États est déficitaire. Ils importent le riz, le blé, le mil, les pâtes alimentaires, les boites de conserve, la viande et le poisson de l’étranger. Une part substantielle des différents budgets nationaux est affectée à l’importation de ce qui constitue la base alimentaire de la plupart de ces États. Cette situation est paradoxale aux yeux de la raison.
La question majeure, ici, est donc de s’interroger : où sont les écoles d’agriculture, d’élevage, de pisciculture, d’ingénierie du soleil et d’eau en Afrique ?
Elles ne sont, hélas, pas légion. En conséquence, une partie des sommes allouées à des dépenses parfois inutiles comme l’organisation des élections factices, l’importation de meubles, de voitures de luxe pour les fonctionnaires de la haute administration, les évacuations sanitaires et bien d’autres dépenses, ne pourrait-elle pas être affectée à la création de ces institutions et des centres de formation spécialisés dans ces domaines-là, sur place ?
Plus encore, où sont les écoles de formation à la transformation des produits agricoles tels que le cacao, la banane, l’hévéa, l’huile de palme, d’arachide, le manioc, la tomate, dont les plantations industrielles appartiennent pour la plupart aux étrangers ?
D’autre part, la majorité des États africains disposent de sols riches en matières premières comme le pétrole, le manganèse, le cuivre, le cobalt, le zinc, la phosphate, l’or, le diamant, l’uranium, le coltan. Dans quelles écoles sont formés les jeunes Africains appelés à mener les fouilles aux fins de découvrir ces gisements et de transformer leurs trouvailles en richesses nationales ?
Ces différentes interrogations nous amènent à penser que la réflexion doit s’orienter dans cette direction. Il est urgent pour l’Afrique d’être le chef d’orchestre dans la chaîne d’exploitation de ses richesses. Ceci devrait être possible depuis l’élaboration du projet de fouilles jusqu’ à l’étape de la transformation et de la commercialisation de ces matières. Ne pas en avoir pris conscience depuis l’avènement des « indépendances » peut être considéré comme une grave faute de la part de l’élite gouvernante en Afrique.
Considérant qu’il n’est jamais tard pour bien faire, il est urgent aujourd’hui de convoquer les états majors de l’éducation au sein de l’Union africaine, et mieux, dans chaque pays africain afin de concevoir, sur la base des atouts et des besoins précités, la nouvelle école qui présagera la nouvelle Afrique.
De nouvelles orientations pour la jeunesse africaine
Les multinationales occidentales et leurs experts se sont enrichis depuis des décennies en faisant des fouilles et en exploitant abusivement les matières premières africaines au prix de nombreux mensonges et d’escroquerie. Rien d’étonnant à cela, car c’est bien le prix de l’ignorance ou mieux, le prix de l’inadaptation, de l’inadéquation des politiques d’éducation post indépendantistes. Comme le dit Abraham Lincoln : « si tu dis que l’école coûte cher, il faut essayer l’ignorance ».
De ce qui précède, les États africains doivent déduire la nécessité de se donner les moyens de créer les écoles qui formeront des citoyens en fonction des besoins nés du fonctionnement de leur société.
L’école juste pour le plaisir de l’école et la satisfaction d’acquérir des connaissances générales ne doit et ne peut plus être la règle, mais l’exception.
Chaque État africain doit mettre sur pied un système éducatif qui intègre comme priorité l’apprentissage des langues, de la première année de maternelle jusqu’à la fin des études secondaires.
Dans ce sens, les langues héritées de la colonisation, comme l’Anglais et le Français, sont un extraordinaire acquis. Au demeurant, elles constituent et constitueront davantage une clé pour tous ceux des Africains qui souhaiteraient voyager et laisser leurs marques dans un monde qui ne cesse de se rapetisser, de se miniaturiser, grâce à la mondialisation des technologies de l’information et de la communication.
Dans ce contexte, maîtriser plusieurs langues étrangères vaut mieux qu’apprendre, l’histoire, la géographie, les systèmes politiques et administratifs des pays étrangers.
Il faut de toute urgence Intégrer l’informatique dans ses différentes branches dès l’école primaire, sans oublier la vraie histoire de l’Afrique telle que relatée par le savant Cheick Anta Diop et d’autres historiens africains.
Devraient faire partie des programmes, également, les cours d’élevage et d’agriculture appliqués pour les écoles, collèges et lycées situés en zone rurale. Sans oublier les écoles totalement dédiées à ces domaines et à bien d’autres, dès l’entrée au collège.
En ce qui concerne la haute ingénierie de fouille et de traitement des matières premières stratégiques, en attendant la mise sur pied des centres de formations spécialisées, il importe de systématiser l’attribution de bourses vers les pays disposant de ces technologies.
Il est plus qu’impératif que des milliers d’Africains aient une totale expertise de la chaîne de production et de transformation de leurs matières premières.
Enfin, une place de choix doit être accordée à la formation aux métiers créatifs comme : la musique, le cinéma, le théâtre, la danse, la haute couture, le design, l’architecture, la peinture, la gastronomie, le football, etc. Ces disciplines peuvent être intégrées dans des filières classiques, mais aussi faire l’objet d’écoles spécialisées.
Voilà donc indiquées quelques pistes de réflexion sur le chemin que devrait emprunter les nouvelles politiques éducatives en Afrique. Refuser d’y consacrer des études, d’y allouer des budgets, et continuer dans les voies prises depuis les indépendances, avec les résultats que l’on sait, nous emmènerait à coup sûr vers un chaos encore plus profond.
L’Afrique dispose des ressources intellectuelles et matérielles nécessaires pour mener ces réformes. Il y va de l’avenir de sa jeunesse en croissance exponentielle. Mieux, de l’avenir du monde.
Une Afrique surpeuplée, creuset du chômage, de la faim, de crises multiformes et de réfugiés éparpillés dans le monde, constituerait une véritable menace pour la sécurité internationale et l’équilibre du monde.
Il appartient aux différents gouvernements africains présents et futurs, d’oser, d’anticiper, d’innover, de solutionner dans la durabilité les problèmes ainsi posés.
Relever ces défis fera de l’Afrique le lieu de réconciliation de tous ses enfants et de tous les peuples du monde.
Les Africains contemporains se donneront-ils les moyens et le temps pour repenser et refonder la nouvelle école africaine, gage de la renaissance du peuple noir tout entier ?
Dis-moi quelle école tu fréquentes, je te dirai qui tu es.
Rédacteur Alain Alfred Moutapam
Secrétariat rédaction Colette FOURNIER
Copyright Pluton-Magazine/2017
Photo Unicef
Très beau texte. Je l’ai étudié et je continue de le faire
Bon texte
Beau texte on l’a eu comme test
J’ai été tellement émerveillé que j’ai cherché la source
C’est un bon texte que j’étudie en ce moment