Une promenade en poésie (15): Imasango

Sur le caillou.

Imasango est née à Nouméa en Nouvelle-Calédonie, dans une famille dont l’arbre généalogique témoigne de la complexité historique et humaine de l’archipel.

Femme,mère, agrégée d’espagnol, poète humaniste. Elle œuvre pour les valeurs fondamentales de respect des droits de l’homme,contre toute forme d’oppression et d’enfermement, elle choisit d’enseigner et d’incarner une poésie vivante.

 

 

 

Grain de monde

.

.

Écarter le bec

de l’oiseau

glisser ici une herbe

pour laisser passer

l’air

d’un grain de sable

messager d’avenir

.

Promesse de nid

dans ce grain

immensément petit

.

S’attarder sur la minuscule place

qu’il occupe

vidant le rien devenu plein

par la force

d’un grain de sable

comme le début du monde

.

Enfin

.

L’oiseau ouvre le bec

le grain tombe

imperceptiblement

il se pose à terre pour y faire son nid

autour du grain

grain de sable

en devenir d’un avenir

.

Celui du monde

qui lentement

discrètement se construit

à partir du presque rien

 

Soleil sacrifié

Moments sans illusion des enfants malheureux

abandon de la chair et cœur déchaîné

au-delà des collines le soleil sacrifié

la tendresse du geste ailleurs

.

Ils cherchent sous les feuilles mortes

la marque d’un sentier

une empreinte

mais leur vie

est accrochée à un cintre rouillé

.

Éclatée l’origine d’un avenir sans nom

sans issue

perdu dans les blessures

parmi les cicatrices

.

Moments sans illusion des enfants malheureux

attente d’une main ouverte

.

Moments sans illusion des adultes perdus

le dos casé

au sol la marque d’un boulet

une fenêtre ouverte

mais leur vie verrouillée

.

Leurs mots sont suspendus à des nuages noirs

avortant des idées en une pluie de larmes

où le temps griffe leur vie

au passé déchiré

grandis diminués

ils baissent les paupières

.

Ils versent des lames amères

de réponses impossibles

la terre craquelle de l’aube sabotée

innocence première à l’écho mutilé

.

Moments sans illusion des adultes perdus

enfance d’une attente vaine

main ouverte enterrée

personne

 

Naufragés du monde

En se baissant pour recueillir une goutte

il a vu un océan de brume et d’amertume

oubliant le navire en proie à la tempête

il a baissé le rideau des jours de naufrage

.

Il a collé son oreille au tronc de l’arbre

écoutant le grand silence

du dedans

un réconfort de paix

en caressant l’écorce

.

Il a déversé son âme

ses larmes étaient pour les hommes

qui ne savent recevoir ni donner

.

Il a voulu vivre le vent

le mettre dans ses poches

sentir le poids de l’air

comme une présence au monde

.

Le vent s’est échappé

ses doigts l’ont laissé fuir

sa main s’est refermée

sur le vide de leur vie

.

Et le temps a soufflé dans sa tête

secouant la douleur des idées

d’espoir vain

.

Il a ramassé ses convictions

raillant les idées noires des projets envolés

dans les craquelures de la terre asséchée

nourrie à l’engrais des regrets

des naufragés sur terre

 

Patience

Je bois le chant de l’herbe

qui pousse lentement

en silence

je cherche la parole du monde

.

Je vois venir l’aurore

qui caresse les feuilles

les guide vers le ciel

étalant ses racines

effleurées pour comprendre

ma vie

.

Que cherches-tu sur cette terre que tu habites?

Je cherche la parole du monde

.

Je vois les amertumes

d’une eau sans lune

qui s’évapore

au-delà d’une source

sur le montagne lisse

que je ne peux atteindre

sauf pour mourir un soir

acceptant le retour

vers la terre qui m’appelle

.

Alors je ne chercherai plus

 

Ab imo pectore

L’âme en appui sur la branche

fleurit sur un tronc

en allaitant

l’espoir de comprendre

.

Le tressage de nos actes

la vie passante sous

la chaleur du regard

caressé de paroles

.

Le cœur des hommes ameubli

accueille les mots avec sincérité

vivre en partageant

écrire

 

 

Arrivée là

 

En visitant la maison

j’ai respiré la lumière au goût de vie

insaisissable

j’ai gardé au creux de mon épaule

et au chaud dans ma main

les lueurs d’espoir

pour les lendemains

.

En avançant sur le parquet

j’ai entendu les mots qu’il me disait

tout doucement à l’oreille

il parlait des heures orangées

de ceux qui s’étaient endormis

ici

et leurs souffrances aussi

.

En rentrant dans la maison

j’ai humé son histoire

elle partait en fumée

par les fenêtres de la mémoire des lieux

il y avait une présence au-delà du rideau

un halo un écho

juste une voix venant de l’intérieur

j’ai senti de l’autre côté

les doutes qui m’attendaient

.

J’ai ouvert les volets

et les mots sont venus s’installer

pour me parler

à la table

où le sens invité est entré

se glissant dans le réconfort d’un lieu

à habiter

.

En découvrant le jardin

j’ai respiré l’odeur des racines

montant des feuilles

étourdissantes

j’ai pris un brin d’herbe

quelques taches de vie

un ruban de senteurs

et sans penser je suis revenue

dans la maison

.

Avec lenteur j’ai refermé la porte

j’ai déployé mon cœur

sur l’espace

.

je suis restée dans la maison

pour longtemps

 

 PAROLE DONNÉE, Éditions La Main qui parle, 2011  CD de poésie en musique

     

 

Espace identitaire

Tu es espace

tu es lignage

tu es famille étendue

tu es identité

tu es célébration construite

poteau central où respire le voyageur

le Houp des massifs forestiers venu jusqu’à nous

au faîte la flèche dit le terroir

.

Poteau

Flèche

sont l’Histoire

.

Espace identitaire

espace affect

espace support

paysage écriture de tradition orale

arbre mémorial pour le récent et pour l’ancien

rocher bavard intemporel

.

Espace

Poteau

Flèche

sont l’Histoire

.

Espace identitaire

le feu de l’ancêtre défricheur

maître du lieu créé

transmission descendance communauté

filiation clan

igname Vecteur

voyageur-lien entre Ancêtres et Vivants

igname Homme

.

Espace identitaire

feu

espace

poteau

flèche

sont l’Histoire

.

Tu es espace

tu es lignage

tu es famille étendue

enracinement identitaire

.

.

 

 Pour tes mains sources, éditions Bruno Doucey, 2012

.

.

Embastillée d’argile

 

Touchée par la chaleur

Du silence de tes lèvres

Je congédie le monde

.

Je respire par tes mains

Je me couvre de tes veines

Je te bois

Je deviens

Soleils rouges

.

Ton corps est vagabond

Trouvant l’asile

D’une terre

Éclose

Devenue femme

.

Je retiens la course

À tes hanches

Habillées de baisers

Je recouvre mon âme

Éveillée à ta source

.

Tu es mon paysage mon tempo ma cadence

Mon naufrage et ma rime ma vague et mon volcan

Mon îlot de lumière ma bouteille à la mer

Mon homme argile

Tisserand

 

Tu tisseras des jours

De craquellement de boue

Ouverts sur le rouge

Noyant toutes les routines

Crachins tempêtes ogres cycloniques

Pour que s’ébauche l’aventure

Éclairant les ruts de nos volcans

.

Tu tisseras des paysages

De bras arqués

Pour l’éveil

Entre torrent et fièvre

Où l’amour est

Comestible pain doré

.

Tu tisseras des heures

Multiples

Sur ma poitrine

Entrouverte pour l’abandon

D’où s’élève la maille

Des volcans

Tissés aux jours

Cantique

 

 

De silence en incantation

De caresses en griffures

De mystères alarmés en puits d’incandescence

De coeurs hébétés en rage d’amour cousue

De baisers regorgeant de mots léchés au ventre

De lèvres entrouvertes à toutes les émotions

De coïts en cascades et tempêtes soudaines

De paroles éclipsées en saveur distillée

Tu m’entoures

Tu me sucres

Tu m’enlaces

Et me lies

.

Et je vais au désir réclamer notre exil

Seuil bâti sur l’amande fendue

Offerte enracinée

Reçue

Reine de beauté

.

Pour panser mes envies et mes doutes creusés

Gelés au vent épars des pensées

Que l’on mate

Tu caresses les pics noyés de brume

Sur une route d’azur et de cieux dégagés

Tu me guides en cueillant ma franchise

.

Grand Seigneur étalant sa pelisse

Sur les détours

Tu donnes liqueur aux bonheurs assumés

Nomade je reviens

Affranchie

Vers ton corps

Je reviens pour ton âme

 

Bibliographie.

 

 

En chemin, La main qui parle, 2002

Parole donnée, La main qui parle, 2011

Pour tes mains sources, Editions Bruno Doucey, 2012

Le baiser des pas de nos silences, Editions La Margeride, 2013

Le poème est nomade, Editions La Margeride, 2013

Le souffle du silence, Editions La Margeride, 2016

Se donner le pays, Paroles jumelles, co-écrit avec Déwé Gorodé, Editions Bruno Doucey, 2016

 

 

 

 

Biographie générale.

 

Imasango est née à Nouméa en Nouvelle-Calédonie, terre au passé colonial violent, terre d’exil et du bagne. L’éducation, la transmission, l’insoumission positive, nourrissent sa voix, ses voies. Poésie et enseignement sont vécus comme source d’engagement et de sagesse, pour bâtir le quotidien et nourrir la beauté de ce monde.

Son œuvre entre souvent en résonance avec d’autres formes d’art, la peinture, la sculpture, la musique, la danse. Son enseignement de l’espagnol s’enrichit de sa présence en tant que poète dans les établissements scolaires. Elle considère que le poète est un marcheur, passeur de mots, passeur de vie, passerelle pour notre humanité à construire au-delà des frontières.

Auteure de plusieurs ouvrages où sa poésie entre en correspondance avec d’autres formes artistiques, elle est également présente dans diverses revues et anthologies, notamment aux Éditions Bruno Doucey où sont édités son recueil, Pour tes mains sources (2011), et Se donner la pays, Paroles jumelles, co-écrit avec Déwé Gorodé, ( juillet 2016) . Elle signe également des livres d’artistes aux Éditions de la Margeride, Le baiser des pas de nos silences ( 2013), Le poème est nomade ( 2013), Le souffle du silence (2016) .

« Par son lyrisme sensuel, écrit Bruno Doucey, poète et son éditeur, Imasango interroge la part métisse de nos identités, rappelant que la poésie s’exprime toujours à tu et à toi. Dans la mangrove des passions, voix mêlées et corps emmêlés disent, avec une mystérieuse évidence, que les mots servent à tresser la natte de notre humanité. »

 

Une promenade en poésie/2017

©Pluton-Magazine/2017

 

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