Sur le caillou.
Imasango est née à Nouméa en Nouvelle-Calédonie, dans une famille dont l’arbre généalogique témoigne de la complexité historique et humaine de l’archipel.
Femme,mère, agrégée d’espagnol, poète humaniste. Elle œuvre pour les valeurs fondamentales de respect des droits de l’homme,contre toute forme d’oppression et d’enfermement, elle choisit d’enseigner et d’incarner une poésie vivante.
Grain de monde
.
.
Écarter le bec
de l’oiseau
glisser ici une herbe
pour laisser passer
l’air
d’un grain de sable
messager d’avenir
.
Promesse de nid
dans ce grain
immensément petit
.
S’attarder sur la minuscule place
qu’il occupe
vidant le rien devenu plein
par la force
d’un grain de sable
comme le début du monde
.
Enfin
.
L’oiseau ouvre le bec
le grain tombe
imperceptiblement
il se pose à terre pour y faire son nid
autour du grain
grain de sable
en devenir d’un avenir
.
Celui du monde
qui lentement
discrètement se construit
à partir du presque rien
Soleil sacrifié
Moments sans illusion des enfants malheureux
abandon de la chair et cœur déchaîné
au-delà des collines le soleil sacrifié
la tendresse du geste ailleurs
.
Ils cherchent sous les feuilles mortes
la marque d’un sentier
une empreinte
mais leur vie
est accrochée à un cintre rouillé
.
Éclatée l’origine d’un avenir sans nom
sans issue
perdu dans les blessures
parmi les cicatrices
.
Moments sans illusion des enfants malheureux
attente d’une main ouverte
.
Moments sans illusion des adultes perdus
le dos casé
au sol la marque d’un boulet
une fenêtre ouverte
mais leur vie verrouillée
.
Leurs mots sont suspendus à des nuages noirs
avortant des idées en une pluie de larmes
où le temps griffe leur vie
au passé déchiré
grandis diminués
ils baissent les paupières
.
Ils versent des lames amères
de réponses impossibles
la terre craquelle de l’aube sabotée
innocence première à l’écho mutilé
.
Moments sans illusion des adultes perdus
enfance d’une attente vaine
main ouverte enterrée
personne
Naufragés du monde
En se baissant pour recueillir une goutte
il a vu un océan de brume et d’amertume
oubliant le navire en proie à la tempête
il a baissé le rideau des jours de naufrage
.
Il a collé son oreille au tronc de l’arbre
écoutant le grand silence
du dedans
un réconfort de paix
en caressant l’écorce
.
Il a déversé son âme
ses larmes étaient pour les hommes
qui ne savent recevoir ni donner
.
Il a voulu vivre le vent
le mettre dans ses poches
sentir le poids de l’air
comme une présence au monde
.
Le vent s’est échappé
ses doigts l’ont laissé fuir
sa main s’est refermée
sur le vide de leur vie
.
Et le temps a soufflé dans sa tête
secouant la douleur des idées
d’espoir vain
.
Il a ramassé ses convictions
raillant les idées noires des projets envolés
dans les craquelures de la terre asséchée
nourrie à l’engrais des regrets
des naufragés sur terre
Patience
Je bois le chant de l’herbe
qui pousse lentement
en silence
je cherche la parole du monde
.
Je vois venir l’aurore
qui caresse les feuilles
les guide vers le ciel
étalant ses racines
effleurées pour comprendre
ma vie
.
Que cherches-tu sur cette terre que tu habites?
Je cherche la parole du monde
.
Je vois les amertumes
d’une eau sans lune
qui s’évapore
au-delà d’une source
sur le montagne lisse
que je ne peux atteindre
sauf pour mourir un soir
acceptant le retour
vers la terre qui m’appelle
.
Alors je ne chercherai plus
Ab imo pectore
L’âme en appui sur la branche
fleurit sur un tronc
en allaitant
l’espoir de comprendre
.
Le tressage de nos actes
la vie passante sous
la chaleur du regard
caressé de paroles
.
Le cœur des hommes ameubli
accueille les mots avec sincérité
vivre en partageant
écrire
Arrivée là
En visitant la maison
j’ai respiré la lumière au goût de vie
insaisissable
j’ai gardé au creux de mon épaule
et au chaud dans ma main
les lueurs d’espoir
pour les lendemains
.
En avançant sur le parquet
j’ai entendu les mots qu’il me disait
tout doucement à l’oreille
il parlait des heures orangées
de ceux qui s’étaient endormis
ici
et leurs souffrances aussi
.
En rentrant dans la maison
j’ai humé son histoire
elle partait en fumée
par les fenêtres de la mémoire des lieux
il y avait une présence au-delà du rideau
un halo un écho
juste une voix venant de l’intérieur
j’ai senti de l’autre côté
les doutes qui m’attendaient
.
J’ai ouvert les volets
et les mots sont venus s’installer
pour me parler
à la table
où le sens invité est entré
se glissant dans le réconfort d’un lieu
à habiter
.
En découvrant le jardin
j’ai respiré l’odeur des racines
montant des feuilles
étourdissantes
j’ai pris un brin d’herbe
quelques taches de vie
un ruban de senteurs
et sans penser je suis revenue
dans la maison
.
Avec lenteur j’ai refermé la porte
j’ai déployé mon cœur
sur l’espace
.
je suis restée dans la maison
pour longtemps
PAROLE DONNÉE, Éditions La Main qui parle, 2011 CD de poésie en musique
Espace identitaire
Tu es espace
tu es lignage
tu es famille étendue
tu es identité
tu es célébration construite
poteau central où respire le voyageur
le Houp des massifs forestiers venu jusqu’à nous
au faîte la flèche dit le terroir
.
Poteau
Flèche
sont l’Histoire
.
Espace identitaire
espace affect
espace support
paysage écriture de tradition orale
arbre mémorial pour le récent et pour l’ancien
rocher bavard intemporel
.
Espace
Poteau
Flèche
sont l’Histoire
.
Espace identitaire
le feu de l’ancêtre défricheur
maître du lieu créé
transmission descendance communauté
filiation clan
igname Vecteur
voyageur-lien entre Ancêtres et Vivants
igname Homme
.
Espace identitaire
feu
espace
poteau
flèche
sont l’Histoire
.
Tu es espace
tu es lignage
tu es famille étendue
enracinement identitaire
.
.
Pour tes mains sources, éditions Bruno Doucey, 2012
.
.
Embastillée d’argile
Touchée par la chaleur
Du silence de tes lèvres
Je congédie le monde
.
Je respire par tes mains
Je me couvre de tes veines
Je te bois
Je deviens
Soleils rouges
.
Ton corps est vagabond
Trouvant l’asile
D’une terre
Éclose
Devenue femme
.
Je retiens la course
À tes hanches
Habillées de baisers
Je recouvre mon âme
Éveillée à ta source
.
Tu es mon paysage mon tempo ma cadence
Mon naufrage et ma rime ma vague et mon volcan
Mon îlot de lumière ma bouteille à la mer
Mon homme argile
Tisserand
Tu tisseras des jours
De craquellement de boue
Ouverts sur le rouge
Noyant toutes les routines
Crachins tempêtes ogres cycloniques
Pour que s’ébauche l’aventure
Éclairant les ruts de nos volcans
.
Tu tisseras des paysages
De bras arqués
Pour l’éveil
Entre torrent et fièvre
Où l’amour est
Comestible pain doré
.
Tu tisseras des heures
Multiples
Sur ma poitrine
Entrouverte pour l’abandon
D’où s’élève la maille
Des volcans
Tissés aux jours
Cantique
De silence en incantation
De caresses en griffures
De mystères alarmés en puits d’incandescence
De coeurs hébétés en rage d’amour cousue
De baisers regorgeant de mots léchés au ventre
De lèvres entrouvertes à toutes les émotions
De coïts en cascades et tempêtes soudaines
De paroles éclipsées en saveur distillée
Tu m’entoures
Tu me sucres
Tu m’enlaces
Et me lies
.
Et je vais au désir réclamer notre exil
Seuil bâti sur l’amande fendue
Offerte enracinée
Reçue
Reine de beauté
.
Pour panser mes envies et mes doutes creusés
Gelés au vent épars des pensées
Que l’on mate
Tu caresses les pics noyés de brume
Sur une route d’azur et de cieux dégagés
Tu me guides en cueillant ma franchise
.
Grand Seigneur étalant sa pelisse
Sur les détours
Tu donnes liqueur aux bonheurs assumés
Nomade je reviens
Affranchie
Vers ton corps
Je reviens pour ton âme
Bibliographie.
En chemin, La main qui parle, 2002
Parole donnée, La main qui parle, 2011
Pour tes mains sources, Editions Bruno Doucey, 2012
Le baiser des pas de nos silences, Editions La Margeride, 2013
Le poème est nomade, Editions La Margeride, 2013
Le souffle du silence, Editions La Margeride, 2016
Se donner le pays, Paroles jumelles, co-écrit avec Déwé Gorodé, Editions Bruno Doucey, 2016
Biographie générale.
Son œuvre entre souvent en résonance avec d’autres formes d’art, la peinture, la sculpture, la musique, la danse. Son enseignement de l’espagnol s’enrichit de sa présence en tant que poète dans les établissements scolaires. Elle considère que le poète est un marcheur, passeur de mots, passeur de vie, passerelle pour notre humanité à construire au-delà des frontières.
Auteure de plusieurs ouvrages où sa poésie entre en correspondance avec d’autres formes artistiques, elle est également présente dans diverses revues et anthologies, notamment aux Éditions Bruno Doucey où sont édités son recueil, Pour tes mains sources (2011), et Se donner la pays, Paroles jumelles, co-écrit avec Déwé Gorodé, ( juillet 2016) . Elle signe également des livres d’artistes aux Éditions de la Margeride, Le baiser des pas de nos silences ( 2013), Le poème est nomade ( 2013), Le souffle du silence (2016) .
« Par son lyrisme sensuel, écrit Bruno Doucey, poète et son éditeur, Imasango interroge la part métisse de nos identités, rappelant que la poésie s’exprime toujours à tu et à toi. Dans la mangrove des passions, voix mêlées et corps emmêlés disent, avec une mystérieuse évidence, que les mots servent à tresser la natte de notre humanité. »
Une promenade en poésie/2017
©Pluton-Magazine/2017