Créée en 1930 par le maître chemisier Robert Thuillier, la maison THUILLIER Paris est rapidement surnommée la « chemiserie des Présidents » pour avoir été́ au service de l’Élysée pendant plusieurs années. Pleinement active pendant deux générations, elle est finalement mise en sommeil pendant quinze ans. En 2014, de jeunes entrepreneurs, accompagnés par la famille héritière, décident de relancer la belle endormie en mettant à profit le savoir-faire d’origine et la mesure du temps, dans un monde à mille à l’heure. Zoom sur une histoire qui ne fait pas un pli.
L’HISTOIRE D’UNE CHEMISERIE FAMILIALE FRANÇAISE
Dès son plus jeune âge, Robert Thuillier n’a qu’un rêve : monter son propre atelier de chemises.
Ni la guerre de 1914, à laquelle il participera, ni les Années Folles n’altèrent ce projet qui voit le jour en 1930, après qu’il a fait ses classes chez le célèbre tailleur Sulka. Il aime les coutures, les détails, les plis et les tissus. Pas un jour ne se lève sans que Robert Thuillier n’innove et ne sublime les élégants de l’époque, les initiés du vestiaire masculin.
Durant les années 1960, l’atelier de la boutique Thuillier, rue Marbeuf, commence à atteindre son seuil maximal de production, et le montage des chemises est confié à un atelier familial à Palluau-sur-Indre, près de Châteauroux. Aujourd’hui encore, la chemiserie Thuillier Paris reste fidèle à cet atelier d’exception, formé à l’origine par la famille. « Nous avons réussi à renouer les liens avec les fournisseurs et partenaires historiques grâce à l’aide de la famille Thuillier. C’est une chance inouïe », précise Chadi Srour, président actuel de la chemiserie.
« LA CHEMISERIE DES PRÉSIDENTS »
Thuillier Paris a la chance d’investir l’antre feutré de l’Élysée dès 1974, lors du mandat du président Valéry Giscard d’Estaing qui deviendra, par la suite, un fidèle client de la chemiserie familiale. « Il me fallait être impeccable, et l’une de mes connaissances m’avait recommandé Thuillier Chemisier », dira-t-il en 2017, à l’occasion d’une rencontre. En 1981, c’est François Mitterrand qui fait appel au maître chemisier et qui lui commande plus de 195 chemises traditionnelles, 30 chemises de nuit et 30 chemises de soirée au cours de ses deux septennats.
En 1996, le président Nelson Mandela recevra une chemise Thuillier Paris des mains de Jacques Chirac lors d’une visite officielle en France. La famille conserve d’ailleurs toujours précieusement le patron d’origine du président sud-africain.
Suite à la relance de la marque, Thuillier Paris renoue avec son passé de « chemiserie des Présidents » en fournissant régulièrement à Emmanuel Macron des chemises et accessoires (cravates, nœuds papillon et pochettes) notamment lors de son déplacement, en avril 2018 aux Etats-Unis, pour rencontrer Donald Trump.
LE PROJET DE RELANCE : LA CÉLÉBRATION DU MADE IN FRANCE AU CŒUR DU DISPOSITIF
Soutenus par la famille Thuillier, Chadi Srour (Président), Stéphanie Mézin (Directrice marketing et communication) et Bram Stults (Directeur artistique) se donnent pour objectif de faire renaître de leurs cendres une histoire, un savoir-faire d’époque, une idée : revaloriser l’artisanat et le textile français pour proposer la meilleure qualité sur un marché disparate. Patience et passion vont de concert pour imposer la haute-mesure dans un secteur prisé par la demi-mesure industrielle et les délais de confection toujours plus compressés. « Nous souhaitons réapprendre à notre clientèle à savourer ce moment unique que symbolise la rencontre avec le styliste, souvent à domicile. Nous revendiquons le fait de prendre à contrepied la tendance actuelle du “fast fashion”, en privilégiant l’échange et le “temps juste” nécessaire à la création d’une chemise parfaite », nous précise Stéphanie Mézin. Le temps, la haute-mesure et surtout la signature Made in France qui est un incontournable de l’estampille Thuillier.
« Je crois en la compétitivité du textile français ! » nous explique Chadi Srour. « Il existait plus de trois mille maîtres tailleurs à Paris dans les années 1970, nous avons aujourd’hui du mal à en dénombrer cinquante ! Les métiers rares sont en voie de disparation, la relance d’entreprise plutôt que la création pure et dure semblait être un choix logique et nécessaire ».
La collaboration avec l’atelier de Palluau-sur-Indre s’explique aussi par cette volonté de soutenir des métiers manuels français. « La croissance de ce département est menacée, l’INSEE estime que le département perdrait 24 500 de ces potentiels actifs entre 2005 et 2030. L’urgence est réelle. »
Pour ces trois jeunes, rien n’est perdu pour le luxe français et ses artisans, comme le souligne Bram Stults qui, à travers ses travaux, revendique la « nécessité de soutenir l’art des ouvriers-artisans ». À Chadi Srour d’expliquer « Regardez donc le groupe LVMH qui a intégré des ateliers de maroquinerie pour Louis Vuitton à Issoudun et à Condé, à la fin des années 1980. À ce jour, ce sont près de 500 personnes qui y travaillent avec un bon nombre de jeunes artisans qualifiés sortis du lycée professionnel D’Alembert à Issoudun. Il appartient aux entreprises de transmettre ces métiers oubliés à la jeunesse pour redynamiser les territoires en retrait ».
D’un point de vue économique, les moyens sont modestes dans ce contexte de relance et l’ancienne chemiserie a mis en place un modèle de développement de type « start-up » en repensant les codes passés – sans toucher au savoir-faire d’origine.
La communication se digitalise pour éduquer le plus grand nombre aux métiers d’art français et porter haut les valeurs du Made in France ; les frontières s’ouvrent – Thuillier Paris est pour la première fois de son histoire distribué à l’étranger, au Japon, au sein du prestigieux concept-store BEAMS ; la direction artistique s’affirme, grâce à Bram Stults, avec une perception dominante « l’objectif n’est pas seulement de revisiter le métier de la chemise artisanale, mais bien de rénover et de sublimer l’art qui y dort ».
« C’est un très long travail qui nous occupera pour les prochaines années, il faut s’armer de courage et de patience, en œuvrant toujours avec passion et conviction », conclut Chadi Srour.
Propos recueillis par Pluton-Magazine/2018
Secrétaire de rédaction: Colette FOURNIER
Crédit photos: Thuillier, Paris