LES BERBERES ET LA MARCHE VERTE (2ème volet)

De l’Histoire à l’histoire: un puzzle en quelques dates

Par Michele Jullian

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Qui se souvient de la « Marche Verte » et du Sahara espagnol – aujourd’hui Sahara occidental – ce désert entre Algérie, Mauritanie et Océan Atlantique ?  C’était il y a un peu plus de quarante-cinq ans. C’était en 1975. Mais un petit retour en arrière s’impose.

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Le Sahara, il y a dix-mille ans

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Il y a dix mille ans, le Sahara était une savane recouverte de forêts et comptait de nombreux lacs et rivières. Des changements de température dans l’hémisphère nord et des bouleversements dans l’activité du soleil seraient responsables de sa désertification. (Selon les travaux de Thibaut Caley, paléo-climatologiste et d’une équipe internationale du laboratoire EPOC (CNRS et université de Bordeaux).

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Le Sahara et les Berbères

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Depuis des millénaires, les tribus nomades berbères sillonnent les territoires sans frontières du Sahara. Leur islamisation commence vers le VIIIe siècle. D’abord superficielle – la majorité des Berbères gardent leurs pratiques animistes – elle s’étend peu à peu à presque toute la région jusqu’au XVe siècle, époque à partir de laquelle les peuples berbères et arabes commencent à se mélanger, à l’exception des Touaregs qui conservent leur alphabet « tifinagh » et leur langue, le « tamasheq ».  Touaregs appelés souvent « hommes bleus » d’après la couleur de leur chèche couleur indigo. Une société féodale et guerrière basée sur le matriarcat et dont le nomadisme est assimilé à « liberté ».

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L’Espagne, du VIIIe au XVe siècle (711 à 1492)

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Le 30 avril 711, le gouverneur de Tanger, un Berbère vassal d’une tribu musulmane, débarque dans la baie d’Algésiras avec une armée composée en grande partie de Berbères à peine islamisés. De là commence le pillage des zones et des villes du sud de l’Andalousie. « Al Andalus » est le terme qui désigne l’ensemble des territoires de la péninsule Ibérique qui furent à un moment ou un autre sous domination musulmane. De campagnes en campagnes, de califats en califats, de batailles en conversions, de rivalités en occupations, de siècle en siècle, la prise de Grenade, le 2 janvier 1492, par les forces réunies des couronnes d’Aragon ((Ferdinand d’Aragon) et de Castille (Isabelle de Castille) mettra un point final à la « Reconquista » et à la présence musulmane en Espagne. Le roi Ferdinand s’adressait ainsi au pape Innocent VIII : « Plût à notre seigneur de nous donner complète victoire sur le roi et les Mores de Grenade, ennemis de notre Sainte Foi Catholique. Le royaume de Grenade, qui, durant 780 ans, a été occupé par les infidèles, sous votre règne et avec votre aide, a été gagné ».

Isabelle et Ferdinand recevront plus tard le titre émérite de « Rois catholiques » par le pape Alexandre VI Borgia.

La même année, de nombreux juifs sont expulsés, Christophe Colomb découvre l’Amérique au nom de la Castille, et des musulmans – main d’œuvre nécessaire – peuvent rester sur le continent, à la condition de se convertir au catholicisme.

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Clin d’œil de l’histoire : 1884 à 1975

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Après une colonisation de huit siècles par les « Maures », les Espagnols tentent, dès la fin de la « Reconquista » – sans toutefois y parvenir – de coloniser le Sahara occidental. Ils le coloniseront cependant plus tard, de 1884 à 1975, pour en faire le Sahara espagnol.

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1975, une « Marche verte » aux couleurs de l’Islam

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Indépendance du Maroc en 1956.  Hassan II est proclamé roi en 1961. Les premières années de son règne sont marquées par un climat politique très tendu : disparition en France de Mehdi Ben Barka, chef de l’opposition de gauche. Émeutes, violemment réprimées, à Casablanca. Instauration d’un régime d’exception jusqu’en 1970, période appelée « les années de plomb ».  Tentative de coup d’état militaire contre le palais à Skhirat en 1971. Attaque par le général Oufkir contre le Boeing royal d’Hassan II en 1972. En 1973, le roi procède à la « marocanisation » des entreprises et des terres encore détenues par des colons français. Il envoie aussi un corps expéditionnaire marocain durant la guerre du Kippour, contre Israël.

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En 1975, Hassan II annonce sa volonté de reprendre le Sahara espagnol : « Le monde entier a reconnu qu’il existait des liens entre le Maroc et le Sahara, des liens qui n’ont été altérés que par le colonisateur, il ne lui reste qu’à entreprendre une marche pacifique du Nord au Sud pour nous rendre au Sahara et renouer avec nos frères ».

Pour le roi, pas question que les terres que l’Espagne contrôle depuis 1884 et s’apprête d’ailleurs à quitter, échappent au Maroc. Mais l’Espagne décolonise déjà le Sahara alors que Franco est en train de mourir.

Le 5 novembre 1975, Hassan II donne le signal de la « Marche verte » :

    « Demain, tu franchiras la frontière

« Demain, tu fouleras une terre qui est tienne

« Tu palperas des sables qui sont tiens

« Demain, tu embrasseras un sol qui fait partie intégrante de notre cher pays

Le soir, dès minuit… les premiers marcheurs….

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2019 – Conversation avec Youssef, petit fils de marcheur.

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Moi : « Pour Hassan II, la Marche verte pour la reconquête coloniale du Sahara occidental fut un vrai coup de poker. Le roi voulait rétablir ainsi ce qu’il croyait être la souveraineté du Maroc. Par cette Marche, il a voulu montrer aux Espagnols la détermination de son peuple à reprendre leurs « territoires du sud », afin de les contraindre à négocier, sous peine de confrontation avec des civils non armés et un risque de guerre inutile pour des territoires dont l’Espagne elle-même ne voulait plus de toute façon ».

 Youssef : « Le roi a demandé à son peuple de se mobiliser, Coran en main, pour marcher vers le sud. Et 350 000 Marocains volontaires, entourés de soldats des « forces armées royales », de délégations des Émirats arabes unis, du Qatar, et de la Jordanie, se sont mis en route.

Le roi établit ce chiffre de 350 000 parce qu’il représentait le nombre de naissances au Maroc cette année-là. Un joli symbole. L’Espagne a tout de suite capitulé et a signé plus tard, avec la Mauritanie, les « Accords de Madrid ».

Youssef connait bien son Histoire, celle que l’on enseigne dans les écoles, « mais », car il y a un « mais » de taille que l’on n’enseigne pas dans les écoles, et que Youssef tient à me raconter :

« À l’appel du roi, mon grand-père Bassou quitte aussitôt son village de Aït Slilou pour participer à cette Marche verte. Presque toute ma famille l’accompagne. En fait, chaque famille envoie un de ses représentants. Tu comprends, on voulait tendre la main, ouvrir une nouvelle page avec le régime alaouite qui avait tendance à nous oublier, nous, les Berbères, surtout sur le plan éducation et médical. Ils sont partis dans des camions Berliet prêtés par le gouvernement dans lesquels s’amassent tous les volontaires à la Marche. Le gouvernement avait fourni huile et farine pour que tous les marcheurs puissent manger en route. Les Berbères nomades comme ceux de ma famille, habitués à faire la cuisine dans le désert, prennent les choses en main, ce sont eux qui cuisent le pain et font à manger pour leurs frères marocains. Il y a des femmes aussi dans les camions et même une femme enceinte qui accouche sur la route, à Tarfaya. Après des jours de voyage, ils arrivent dans le désert. Les camions ne peuvent plus rouler dans le sable, alors ils continuent à pied. Tu comprends, les nomades sont habitués, alors ce sont eux qui mènent la marche. Ils sont arrivés les premiers à Tah. Cinquante à soixante-dix kilomètres à pied. Pour eux, ce n’était pas un problème. Chaque nuit, les Berbères jouent du tam-tam et font la fête autour de feux de camp pour remonter le moral de leurs frères. Tu vois, ça, on ne le raconte pas dans les livres d’histoire. Le Sahara, il est vraiment berbère marocain. Tu comprends maintenant ? Mais attends, ce n’est pas fini. Mon grand père Bassou était artiste peintre, c’est lui qui a peint le plafond de la Kasbah. Une peinture qui représente tout le Maroc : les tentes blanches , les gens, les chevaux, les dromadaires, la vie dans le désert, la Marche Verte. Bassou a fait entrer le Sahara dans la tente. La tente, c’est le Makhzen, le pouvoir, un mot arabe qui veut dire « magasin ». Tu comprends pourquoi je dis Sahara berbère marocain et non Sahara marocain ou occidental ».

Moi : « Est-ce que le gouvernement s’est occupé du développement économique de votre région après ces actes de bonne volonté » ?

Youssef : « On est toujours les abandonnés de l’économie, pourtant le sud du pays, c’est le miroir du Maroc ».

AUJOURD’HUI

Après la « Marche verte » de 1975, l’Espagne se désengage et abandonne ce territoire sans procéder au référendum auprès du peuple sahraoui. Aujourd’hui, c’est un territoire non autonome selon l’ONU, revendiqué par le royaume du Maroc et par la République arabe sahraouie démocratique (RASD), proclamée en 1976 par le front Polisario et soutenu par l’Algérie.

Son statut est toujours en suspens.

merci à Youssef de www.Easysahara.com

Rédactrice Michèle JULLIAN

                                      

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