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Par Marie-andrée CIPRUT
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Quelle gageure en effet !
Assise dans un tram, j’aperçus une amie qui attendait le sien de l’autre côté de la rue, un masque sur le visage. « Mais c’est Unetelle ! » me suis-je dit en m’apprêtant à lui faire un signe amical. J’ai brusquement arrêté mon geste, en proie à un terrible doute :
La taille et la carrure, c’était elle,
Le style d’habillement, c’était elle,
Les couleurs pastel, c’était elle,
La coiffure, c’était peut-être elle,
Mais, derrière son masque, était-ce vraiment elle ?…
J’ai dû alors affronter cette brutale réalité : le coronavirus allait désormais s’immiscer dans nos vies pour les influencer, les contrôler, les diriger, les changer…
Quelle histoire, ces masques !
Dès les premiers signes de tarissement, les pharmacies sont prises d’assaut même avant le confinement : commande, coût, 10 CHF pièce. Pareil pour le gel hydroalcoolique, qui atteint également le prix exorbitant de 10 CHF le flacon de 100 ml. Qu’à cela ne tienne, tout le monde en achète !…
À vrai dire, les pays européens se trouvant devant une pénurie de masques, en ont déconseillé l’usage, tout en faisant secrètement des commandes massives en Chine, ce qui alimenta un marché très lucratif, une économie parallèle florissante, un commerce officiel ou non, provoqua des vols de cargaisons dans les aéroports, des détours de destination, des mensonges d’État. Une occasion rêvée pour la mafia de redorer son blason en offrant ce précieux sésame aux Italiens les plus démunis, alors que la Chine apparaissait comme la super puissance dont dépendait la santé mondiale, grâce à sa fabrication par millions, pour ne pas dire par milliards, de l’objet tant convoité. Un conflit mondial venait de naître.
La guerre des masques était déclarée !
Il faut distinguer plusieurs catégories de masques selon l’efficacité de leurs filtres. Les FFP 1, 2 et 3, appareils de protection respiratoire sous différentes formes : coque, 2 plis, 3 plis, becs de canard. Les FFP2 sont uniquement réservés aux soignants et agents des services publics. Les masques chirurgicaux à plis destinés à une protection individuelle, aujourd’hui quasi universellement obligatoires, sont distribués gratuitement par certaines communes et dans quelques transports urbains. J’ai même vu des quidams qui se promenaient avec un modèle de masque de plongée adapté pour la circonstance, faute de mieux ! Les lavables « AFNOR » en tissus filtrants « alternatifs », masques grand public, ne protègent que les personnes alentour. Ces derniers laissent libre cours à l’imagination créatrice et se transforment peu à peu en accessoires de mode assortis aux tenues vestimentaires…
Pour les gants en plastique, on nous a assuré de leur inutilité, que leur port était même déconseillé puisqu’ils transportaient le virus. Ensuite, on nous a dit : « oui dans certaines situations, mais pas dans d’autres ! » … Enfin, ils furent interdits aux clients de quelques commerces, chez les coiffeurs, par exemple. Ordre, contrordre, désordre !
Aux deux mois de temps suspendu succède le temps de la méfiance et de l’angoisse du futur. Nous avons appris de nouvelles expressions : gestes barrières, distanciation sociale de 1 m, 1 m 150, 2 mètres : au choix ! … Plus question de se toucher, se donner l’accolade, se prendre dans les bras, se serrer la main, encore moins s’embrasser, donner des baisers : interdit ! … Des mots nouveaux ont enrichi notre vocabulaire. Covid-19, quatorzaine, perte du goût : agueusie, perte de l’odorat : anosmie, hydroxychloroquine…
Bas les masques !
De nos cinq sens, la vue se place aux premières loges de nos relations humaines. Derrière les masques, notre visage cache ses mimiques, laissant à notre regard seul, moyen d’échange capital avec nos semblables, le soin de communiquer. Comment partager alors une émotion, une colère, un rictus, le mépris, le doute, la peur, le désaveu, la résignation, la connivence, l’étonnement, la complicité, ou simplement un sourire ?…
Notre œil doit transmettre toutes ces choses. Après le temps du toucher, après les sulfureux débats sur le port du foulard islamique dans l’administration, voici venu le temps du regard ! Le décliner à tous les temps : regard sombre, mystérieux, indifférent, courroucé, compassionnel, fusiller du regard, toucher avec les yeux… J’ai pour but désormais de m’entraîner à lui faire exprimer tout cela, et commencer par :
Sourire avec les yeux !
Marie-Andrée Ciprut, psychologue-écrivaine
Pluton-Magazine/2020
Photo: Orna Wachman