Par Philippe Estrade-Auteur Conférencier
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La dynastie Qin a bouleversé l’histoire de la Chine pour en faire une nation centralisée, conduite par de hauts fonctionnaires chargés d’unir les territoires grâce à l’écriture, ciment de l’union des peuples de la Chine ancienne. Ce système unique à l’époque du premier empereur Ying Zheng qui prit le nom de Qin Shi Huangdi, plus de deux siècles avant J.-C., a permis de fédérer et même de fusionner les différentes cultures du nouvel empire et d’assurer ainsi sa pérennité et sa cohésion politique mais aussi sa grandeur culturelle. Qin Shi Huangdi a su soumettre les territoires voisins et s’imposer dans la trouble et douloureuse période des Royaumes combattants pour devenir l’homme fort du nouvel empire chinois qui prit son nom, l’empire Qin. Immédiatement, l’empereur unifia les premières murailles érigées ici et là pour en faire une ligne continue de défense de la Chine nouvelle. Organisateur politique lumineux et inspiré, l’empereur Qin s’est appuyé sur des fonctionnaires qui jouissaient d’un statut et d’une position sociale élevés pour assurer l’administration impériale dans un état remarquablement bureaucratisé. Après une période éclairée et brillante pour l’empire, la mégalomanie et la tyrannie s’emparèrent alors de Qin Shi Huangdi qui élimina systématiquement tous ceux qui ne partageait pas sa vision de l’état. Sur la montagne Li, Qin se fit construire son mausolée impérial, protégé par des milliers de soldats en terre cuite enterrés dans des fosses voisines. Ces cavités, aujourd’hui ouvertes au public près de Xi’an, constituent un exceptionnel et singulier témoignage de cette prodigieuse période et figurent bien sûr parmi les merveilles historiques et archéologiques du monde.
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DES ROYAUMES COMBATTANTS À L’UNIFICATION DES ÉTATS
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Jusqu’à l’arrivée de Qin sur la scène politique chinoise, le pays vivait en permanence en état de guerre. Pendant près de trois siècles entre le 5° et le 3° siècle avant J.-C., cette période instable vit s’affronter sept États belligérants. L’ancienne aristocratie était totalement dépassée, et ce sont de nouvelles administrations puissantes dotées de pouvoirs sans cesse croissants qui percevaient l’impôt et fixaient le cap au profit des souverains. À partir de 316 avant J.-C., c’est au cœur de la période des royaumes combattants que le royaume de Qin lança ses premières conquêtes sur les autres territoires chinois. Ce contexte de conflits et de désordres permit à Qin, à la tête d’un territoire tout à l’ouest de la Chine, d’afficher ses ambitions et son potentiel militaire.
Le jeune Zeng devient l’empereur Qin, le plus puissant de l’histoire de la Chine
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C’est sur un vaste territoire autour de Xi’an dans l’ouest de la Chine, alors qu’il avait à peine treize ans, que le jeune Zeng monta sur le trône en 221 avant J.-C. Durant les vingt ans qui ont suivi, Zeng qui devint le grand Qin Shi Huangdi, parvint à s’émanciper et à soumettre sous son autorité nouvelle l’ensemble des conseillers qui l’encadraient au palais. Immédiatement, beaucoup furent purement et simplement écartés du pouvoir impérial. Habile et visionnaire, Qin s’efforça d’intégrer les étrangers et élabora une administration ouverte et étatique. Shang Yang devint le principal conseiller du nouveau grand souverain et offrit à cet empire inédit un code pénal et des règles publiques musclées et absolutistes qui renforcèrent l’autorité de l’État. Qin sut aussi attirer des légistes brillants et des intellectuels flamboyants, dont Han Feizi, véritable monument de la littérature chinoise et Li Si qui l’inspira durablement. Li Si fut aussi l’homme qui incontestablement façonna l’organisation de l’empire pour lui donner sa grandeur et son prestige.
La terreur avant l’unification
Qin est parvenu à conquérir tous les royaumes de Chine en établissant la terreur comme religion d’État par des massacres systématiques de masse qu’il infligeait à tous ses ennemis. La finalité de ses campagnes de guerre a consisté à créer un puissant État centralisateur, ce qu’il parvint à faire à partir de 221 avant J.-C. en se déclarant le Premier auguste, souverain du nouvel empire. Sans attendre, Qin imposa une réforme administrative et politique destinée à faire disparaître les fiefs et les provinces indépendants au profit du nouveau pouvoir centralisateur. Tous les territoires soumis dans cette Chine unique et indivisible furent démilitarisés au profit d’une nouvelle armée d’État.
L’empire Qin, puissance économique
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Outre une puissante machine administrative centralisée et gérée par tous les fonctionnaires et légistes, l’empire renforça les réseaux routiers et ouvrit des canaux pour impulser une économie dynamique et performante dans les riches régions clefs du pays, notamment le Sichuan et le bassin du Yangzi. Il fallut aussi maîtriser et réguler les importantes dépenses liées à tous ces travaux d’infrastructure en unifiant les monnaies et en fixant de nouvelles règles en matière de mesures et de poids. L’unification de l’écriture a servi les échanges commerciaux et limité la diversité des écritures et des dialectes au profit de l’uniformité culturelle. Les anciennes murailles qui protégeaient les frontières des états défunts devinrent obsolètes et durent être réaménagées au profit de nouvelles fortifications impériales vers 215 avant J.-C. Le rattachement entre elles de ces différentes fortifications a jeté les bases de ce que l’on appellera plus tard la Grande Muraille.
La résistance terriblement réprimée
L’empereur Qin Shi Huangdi a fait preuve d’une redoutable répression qui ne laissait que peu de place à toute forme d’expression hors du cadre officiel. Déjà, les grandes familles aristocrates privées de leurs compétences et de leurs anciens privilèges furent très vite matées par la police impériale et envoyées illico servir dans la nouvelle capitale Xianyang qui concentrait tous les pouvoirs. Les intellectuels ont également fait les frais de la tyrannie de Qin qui se méfiait beaucoup de leur culture, de leur tradition et de leur sagesse confucéenne héritée depuis déjà trois siècles. La rébellion régulière des intellectuels a conduit Qin à une mesure qui affectera son prestige, un autodafé en 213 avant J.-C. En effet, à l’exception de quelques ouvrages de médecine et d’agriculture pour l’essentiel, tous les livres classiques furent brûlés sur ordre de l’empereur. Ce fut une façon pour Qin de mettre en quelque sorte un terme à la littérature et aux valeurs de l’ancien régime des états indépendants. Mais le pire était à venir. En effet, en 212 avant J.-C., lassé par les oppositions et les critiques sur son pouvoir personnel et autoritaire dont il était régulièrement l’objet, Qin donna l’ordre d’exécuter 460 lettrés. L’impact de cette décision fut un désastre pour le souverain et son image. Les confucéens, meurtris et accablés, ne lui pardonneront jamais.
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LA CHUTE DE LA DYNASTIE QIN
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Parmi les grands travaux lancés, la nouvelle capitale de Qin Shi Huangdi et son mausolée ont nécessité une main-d’œuvre colossale. Soumis au travail obligatoire dès l’âge de quinze ans, l’ensemble de la population fut asservi aux rigueurs de ces deux chantiers magistraux ainsi que des condamnés aux travaux forcés que la chronique évalue à plus de deux millions. Comme tous les despotes, et même s’il a marqué l’histoire par son génie et sa vision, Qin dut affronter le peuple, les puissants et les misérables, unis contre le tyran. Après sa mort en 210 avant J.-C., l’empire affaibli et brisé par tant d’efforts humains et de privations s’effondrera quatre ans plus tard en 206 avant J.-C., après qu’une crise sociale majeure l’eut terriblement affaibli.
L’État fragilisé à la mort de Qin
Épuisé mais allié avec une certaine bourgeoisie, le peuple se dressa, et une crise sévère affecta l’empire alors que Qin trépassait lors d’une visite dans ses provinces de l’Est. Son incontournable conseiller Li Si, associé au terrifiant système répressif de l’empire, fut arrêté et exécuté sans perte de temps. Le successeur de Qin, son fils Er Shi, n’avait pas le niveau et le charisme de son illustre père, et son règne relativement court s’acheva quatre ans plus tard en 206 avant J.-C. dans la confusion, sonnant ainsi le glas de la dynastie Qin. Alors, un certain Liu Bang, un petit fonctionnaire de Qin, parvint à s’imposer en écartant ses rivaux et fonda une nouvelle dynastie, celle des Han. Ce nouvel empire Han de la prestigieuse Chine allait durer quatre siècles.
Le destin de la Chine changé à jamais
L’empire de Qin s’est structuré à partir de 221 avant J.-C. autour du plateau de Loess, du sud du pays, du Sichuan et du bassin du Yang Tsé Qiang. Qin Shi Huangdi a changé à jamais le destin de la Chine en attirant les meilleurs légistes et en impulsant un modèle de fonctionnaires étatiques et centralisateurs à la base de la transformation structurelle du pays et de son éblouissant développement économique. Malgré la disparition du grand empereur et la rudesse du système qu’il imprima, le curseur du futur destin chinois puisera désormais sa source dans l’héritage de l’organisation politique de Qin. Les Han allégèrent toutefois le redoutable étau politique qui étouffait le peuple mais conservèrent l’essentiel de l’organisation sociétale de Qin qui devint ainsi la colonne vertébrale de toutes les dynasties qui suivront. Plus de deux mille ans plus tard, l’héritage de Qin Shi Huangdi imprègne toujours la politique chinoise.
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LE MAUSOLÉE ET LES FOSSES DES GUERRIERS DE TERRE CUITE A XI’AN
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C’est une délicieuse colline couverte d’arbres et de végétaux divers qui forme le vert écrin du tombeau de l’empereur Qin Shi Huangdi près de la ville de Xi’an, par ailleurs destinale finale en Chine de la fameuse route de la soie. Le tumulus qui abrite le mausolée traduit parfaitement la vie d’outre-tombe et reproduit l’organisation politique et sociétale de l’empire selon la chronique de Sima Qian, puisque le complexe n’a pas encore été fouillé. Dans l’éternité, Qin est accompagné par une armée invincible de soldats en terre cuite enfouie dans plusieurs fosses situées à quelques encablures de là. Cette éclatante armée composée de plusieurs milliers de soldats imprime parfaitement bien le gigantisme à la mesure du souverain.
Un tombeau toujours vierge en attente de fouilles
Depuis la fin du 20° siècle, les chercheurs et archéologues chinois se sont prioritairement mobilisés pour fouiller les fosses de l’armée de terre cuite alors que le tumulus du complexe funéraire demeure pour l’instant toujours muet. Les spécialistes craignent des détériorations fatales et semblent pour l’instant privilégier le statut quo, en attendant d’expérimenter peut-être de nouvelles technologies capables demain de percer les secrets des sous-sols sans avoir à les creuser. Selon Sima Qian, des arbalètes pointées vers les issues décocheraient automatiquement une salve de flèches sur les intrus et violeurs du mausolée. Les artisans qui ont construit le tombeau ont été enterrés vivants lorsque furent fermés tous les accès du mausolée. Comme pour les pharaons d’Égypte, de nombreuses pièces exceptionnelles et des objets précieux, familiers de l’empereur de son vivant, ont également été enfouis pour constituer le trésor funéraire de Qin. Toujours selon les écrits incontestables de Sima Qian, qui font référence, le sarcophage qui abrite le corps de Qin est ceinturé des fleuves de Chine reconstitués par du mercure. Les analyses des spécialistes et des archéologues ont constaté que le taux de mercure sur le tumulus est précisément dix fois supérieur à la normale et à celui observé dans les environs.
Des paysans découvrent les fosses en creusant un puits
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C’est en 1974 que des paysans du Shaanxi creusant un puits, les frères Yang, firent la découverte la plus prodigieuse depuis celle du trésor de Toutankhamon par Howard Carter en 1922. J’ai eu la chance d’échanger quelques mots sur place en 2001 avec Yang Zhifa, le principal découvreur des fosses de l’armée de terre cuite. Sa vie a été bouleversée, et je l’ai vu officier dans le musée attenant aux fosses, se prêtant bien volontiers aux crépitements des appareils de photos d’une armée de visiteurs, bien pacifique celle-là. Il a d’ailleurs signé son nom en caractère chinois sur le premier feuillet d’un ouvrage du musée de l’Armée en terre cuite, que je conserve et protège précieusement. C’est au printemps 1974 que les frères Yang et leurs voisins sont tombés sur une couche extrêmement dure et résistante en forant un puits. Ils venaient de découvrir un mur qui séparait les galeries abritant l’armée de terre cuite de l’empereur Qin Shin Huangdi. Après qu’ils eurent creusé une galerie pour extraire un premier soldat, ils décidèrent de saisir les autorités qui ouvrirent immédiatement un programme de prospection archéologique.
Les fosses des soldats, découverte archéologique majeure du 20+ siècle
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Cet ensemble de fosses découvertes en 1974 constitue l’attraction majeure archéologique et historique du tourisme chinois et planétaire. Cette découverte fut en effet d’autant plus extraordinaire et déroutante que nuls écrits ne mentionnaient l’enfouissement de milliers de soldats pour protéger Qin dans l’éternité. Dans « Mémoires historiques », l’incontournable Sima Qia, contemporain de Qin, a consacré un chapitre à la description particulièrement fouillée de la tombe de l’empereur mais n’évoque pas une seule fois l’armée de terre cuite, située à moins de 1500 mètres du tumulus. Quatre fosses sur une surface de plus de 30 000 m2 contiennent environ 8000 soldats, plus de 500 chevaux attelés à leurs chars, 130 chars en bois et des armes à profusion, lances et arbalètes. La fosse principale, attraction majeure du site, est la plus étourdissante pour le voyageur de passage ou l’esthète, avec près de 2000 guerriers, tous avec des traits différents, en formation sur neuf couloirs, prêts à passer à l’offensive pour protéger l’empereur. La Fosse de la Garde présente des forces de cavalerie, des chars de combat et des archers alors que la troisième, la Fosse de l’État-Major, offre un char de combat vide, peut-être celui de Qin, entouré d’un état-major constitué de 68 officiers de haut rang. Dans l’armée de terre cuite, les fantassins revêtus de leur tenue de combat, à l’origine entièrement colorée, arborent tous des traits distincts comme les chignons noués au-dessus de la tête, la moustache ou encore la forme du visage et des yeux.
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Les découvertes archéologiques de Xi’an ont rappelé à l’humanité que la Chine et sa civilisation millénaire ont régulièrement légué, notamment avec le premier empire de Qin Shi Huangdi deux siècles avant J.-C., des références en matière d’organisation politique centralisée. Bien qu’il fût un despote tyrannique, l’empereur Qin a façonné la Chine qui s’inspira alors de sa marque durant toute son histoire jusqu’à nos jours. Avec un bilan considérable, Il est parvenu à unifier les États belligérants, standardiser sur tout le territoire le système des poids et mesures et enfin unifier les pratiques linguistiques pour instaurer une langue officielle parlée et écrite. Le commerce a par ailleurs été renforcé par d’immenses travaux d’aménagement des territoires, grâce à un maillage époustouflant de routes nouvelles et de canaux. S’appuyant sur l’héritage de la civilisation Qin, toutes les dynasties impériales et autoritaires qui suivirent, jusqu’à la dictature communiste qui perdure au 21° siècle, ont orienté le destin du pays avec les acquis du premier empire chinois. L’empereur Qin Shi Huangdi a changé pour toujours la culture profonde de l’âme politique du pays et le destin de la Chine.
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Philippe Estrade. Auteur-Conférencier
Pluton-Magazine/Grandes Civilisations/ Janvier 2021
