GRANDES CIVILISATIONS : LA CULTURE MINOENNE, BERCEAU DES CIVILISATIONS ÉGÉENNES ET GRECQUES.

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Par Philippe ESTRADE auteur-conférencier.

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C’est l’une des plus prestigieuses cultures de la Haute Antiquité, le berceau même de la civilisation grecque, localisé au départ en Crète puis en Égée à Santorin et probablement dans de nombreuses îles des Cyclades au cours de l’Âge du bronze ancien. C’est précisément au début de l’Âge du bronze qu’apparaissent les Minoens entre 2700 et 1200 avant J.-C. jusqu’à la domination des Mycéniens, un peuple grec issu du continent. Mais vers 1450 avant notre ère, la Crète fut alors ravagée par les conséquences de l’explosion de l’île de Santorin au cœur de la mer Égée.

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SIR ARTHUR EVANS, LE PÈRE DE L’ARCHÉOLOGIE MINOENNE

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Sir Arthur Evans a longtemps fouillé Cnossos en Crète et put ainsi dater avec rigueur les grandes étapes de l’histoire minoenne en comparant les objets égyptiens découverts sur les sites d’excavation. Il définit alors l’histoire de cette culture en trois grandes périodes, le minoen ancien, le minoen moyen et le minoen récent, en précisant toutefois que cette brillante civilisation a atteint son apogée entre la fin du minoen moyen et le minoen récent, entre 1700 et 1450 avant J.-C. Les Mycéniens un peu plus tard, vers 1200 avant J.-C, sonneront le glas de cette exceptionnelle culture.

De la période prépalatiale à la grandeur et la gloire de la Crète

Selon Evans, l’introduction des métaux en Crète venait des émigrés d’Égypte mais aujourd’hui sa théorie est remise en cause au profit d’une colonisation issue d’Afrique du Nord, et d’Anatolie en Asie occidentale. Les échanges commerciaux et culturels depuis l’Anatolie ont plus tard diffusé l’usage du bronze en Crète. Alors que la marine crétoise devenait prédominante en mer Égée, les Crétois s’enrichirent et importèrent le cuivre de Chypre ou encore l’argent des Cyclades, des îles dans leur espace d’influence. Vers 2000 avant J.-C., les bâtiments prirent des allures de palais dans une période qualifiée par Evans de protopalatiale. Ils étaient situés dans un premier temps au cœur des plaines fertiles de l’île à Cnossos et à Phaistos. Le rayonnement de la civilisation crétoise se fit sentir dans tout le bassin égéen et méditerranéen, et les importations de céramique, notamment, ont illustré les liens commerciaux étroits avec l’Égypte et la Syrie. Les Minoens constituent bien la première civilisation européenne.

Evans découvre Cnossos

Les Minoens de Crète connaissaient bien sûr l’écriture et une douceur de vie unique marquée par l’art des fresques délicieuses et raffinées. En mettant au jour les vestiges de Cnossos vers 1900, une découverte majeure comme la Troie de Schliemann ou le Machu Picchu de Bingham, Evans éclaire définitivement l’humanité sur la civilisation minoenne, avec en figure de proue le légendaire Minos. Le palais de Cnossos commandé par le roi Minos, situé à quelques kilomètres d’Héraklion, a été édifié selon la mythologie grecque par Dédale qui fut par ailleurs emprisonné afin qu’il ne révélât pas les secrets de la construction du bâtiment. Une cour centrale orientait vers un

labyrinthe de bâtiments à étages. Le palais semblait avoir une vocation plus religieuse que résidentielle bien qu’il disposât d’une salle du trône.

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MINOS, MYTHOLOGIE MINOENNE ET RELIGION

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La riche mythologie minoenne abonde en héros dont l’incontournable roi Minos, fils de Zeus et d’Europe, qui donna son nom à la civilisation minoenne. Il écarta ses frères du pouvoir et fit de Pasiphaé son épouse. Minos est un personnage immense, identifié à Dédale, le palais de Cnossos ou encore au Minotaure.

Le taureau blanc de Poséidon

Minos est souvent représenté comme le prêtre de Zeus, issu du mont Ida. Soucieux d’afficher sa puissance auprès du peuple et du prestige dont il disposait chez les dieux, Minos parvint à convaincre Poséidon, le dieu de la mer et des océans, de faire surgir un taureau qu’il s’engagea à sacrifier immédiatement. Le dieu Poséidon fit alors apparaître un magnifique taureau blanc que Minos décida d’épargner, suscitant la colère de Poséidon qui transforma le taureau en animal dévastateur des terres crétoises. Poséidon ne s’arrêta pas là, et il inspira à Pasiphaé, l’épouse de Minos, le désir de vivre un amour passionné avec l’animal. C’est précisément de cette union que naquit le Minotaure, mi-homme et mi-animal, un être doté d’une tête de taureau et d’un corps d’homme.

Thésée tue le Minotaure grâce à Ariane

Se référant aux oracles, Minos fit enfermer le monstre dans les profondeurs de son palais grâce à l’aide de Dédale, chargé de construire le Labyrinthe. Après qu’il eut assiégé et vaincu Athènes, le roi Minos exigea un tribut chaque année de sept jeunes garçons et sept jeunes filles destinés à l’appétit du Minotaure. C’est alors que Thésée, fils du roi d’Athènes, fut à son tour tiré au sort pour intégrer le tribut annuel. Mais Thésée parvint à remonter à la surface grâce au « fil d’Ariane » déposé pour le guider. En colère face à cette issue et à l’évasion de Thésée, Minos fit alors enfermer Dédale dans le labyrinthe qu’il put cependant fuir à son tour avec Icare, à l’aide d’ailes qu’il parvint à fabriquer. Dédale débarqua en Sicile pour se réfugier chez le roi Camicos, qui fit ébouillanter Minos par ses propres filles, alors qu’il se trouvait dans son bain.

Religion polythéiste ou monothéiste ?

Le débat est toujours d’actualité entre les chercheurs, les archéologues et les historiens des civilisations grecques. Les spécialistes disposent de peu d’éléments pour afficher clairement une ligne de croyances au demeurant limitées par les découvertes archéologiques, dont les fresques. Hogarth et ses partisans, inspirateurs du monothéisme minoen, mettent l’accent sur une « déesse mère », de source proche-orientale qui aurait inspiré les canons de la création, face à un dieu chasseur qualifié de « jeune dieu ». En revanche, une ligne polythéiste animée par Nilsson suggère que les Minoens, influencés par la culture d’Asie Mineure, disposaient d’un véritable panthéon de dieux. Parmi ceux-ci, Nilsson évoque une déesse de la fertilité

comparable à Ishtar, la déesse de Mésopotamie, en particulier vénérée par les Babyloniens, puis d’une déesse dite « à la barque », probablement une prêtresse, ou encore une déesse guerrière comparable à la grande Athéna. Par ailleurs, les fouilles réalisées à Cnossos semblent indiquer que des enfants aient été sacrifiés aux dieux.

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UN MONDE DE COMMERÇANTS

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Toutes les cultures progressent naturellement par les échanges commerciaux, et de ce point de vue, les Crétois furent des experts. Comme toujours dans ces premières civilisations antiques, c’est la maîtrise de l’agriculture qui a impulsé le développement harmonieux des populations et des cités, et d’ailleurs les Minoens connaissaient déjà et maîtrisaient parfaitement la viticulture. De la laine était également produite sur les plateaux et la montagne crétoise.

Oléiculture et viticulture en abondance

La population ne souffrait pas d’un manque de nourriture car les terres fertiles offraient du blé en abondance. Le vin et l’huile d’olive produits dépassaient largement les besoins de la population, ce qui offrit des débouchés à l’exportation. D’ailleurs les Minoens échangeaient nourriture et vin contre des matières premières, au premier rang desquelles on trouvait le cuivre issu du continent. Un vrai système de troc parrainait donc les échanges commerciaux. Il est par ailleurs bien admis aujourd’hui que les Minoens avaient noué des relations riches et intenses avec l’Égypte antique et y exportaient un tissu de grande qualité issu de la laine.

Des entrepôts au rang de structures de valeur

Il est même suggéré que le palais de Cnossos aurait aussi servi d’entrepôt, ce qui démontre l’importance portée par les Minoens aux questions de ravitaillement pour le bien-être des élites et du peuple. Les palais minoens, dont Cnossos, abritaient des pithos, en quelque sorte des jarres, dont certaines étaient géantes, stockées dans des magasins. Destinées à abriter vin ou huile d’olive, ces jarres pouvaient contenir plusieurs milliers de litres. Ces produits étaient assimilés à l’impôt payé au souverain qui, en retour, en affectait une partie pour nourrir le peuple, notamment ceux qui ne parvenaient pas à vivre de leur production. Autour de 2000 avant J.-C., les pays minoens affichaient donc dans leur souci d’équilibre social une grande prospérité.

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UNE SOCIÉTÉ PLUTÔT BIEN ORGANISÉE ET PACIFIQUE

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À Milia ou Gournia, placettes, ruelles et petites maisons de deux pièces ont été mises en évidence, traduisant un équilibre urbanistique ou peut-être un souci d’équité. L’absence de fortifications semble impulser la thèse d’une société sereine et pacifique. Cela est probablement dû à l’isolement de la Crête tout au sud des Cyclades et à la richesse des élites qui pouvaient peut-être aussi monnayer la paix avec des voisins belliqueux ou hostiles. Par ailleurs, la puissance de leur flotte pouvait aussi dissuader les autres peuples de l’Égée ou de l’Asie Mineure. Cependant, les Minoens entretenaient quand même des hommes en armes avec boucliers et casques, ainsi qu’en témoignent de nombreuses fresques.

Une langue d’origine inconnue

L’origine de la langue que parlaient les Minoens demeure obscure et mystérieuse. Les tablettes d’argile découvertes par les archéologues reproduisent un système d’écriture qualifié de « linéaire A » décrit par Évans, en fait une combinaison d’idéogrammes, des symboles graphiques suggérant une idée ou un mot. Puis le « linéaire B » apparut alors vers 1475 avant J.-C., véritable syllabaire à l’origine de l’écriture mycénienne de la Grèce archaïque.

Fresques sur la vie quotidienne

Des représentations iconographiques et des fresques découvertes en Crète ou à Santorin et dans les îles voisines, toutes de culture minoenne, retrouvées dans les maisons et palais, demeurent remarquablement conservées. Des scènes de la vie quotidienne y sont fréquemment représentées, comme des athlètes défiant des taureaux, symbole religieux issu de l’incontournable Minotaure. La mer et la nature sont également célébrées à Akrotiri notamment sur l’île de Santorin avec la célébrissime fresque du pêcheur aux coryphènes, datée du 17e siècle avant J.-C.

Des céramiques raffinées

Déjà, dès 2000 avant J.-C. les céramiques offraient un style « à aspérités » dominé par du relief décoratif et un décor polychrome peint. Mais les vases de Kamares, issus d’une grotte du même nom et découverts surtout à Phaistos et à Cnossos, dévoilent l’abandon progressif du relief et de la polychromie au profit de la peinture à vocation naturaliste, annonçant la période néo palatiale. Les styles floraux et marins vont alors s’épanouir, offrant des peintures colorées et raffinées de tritons, d’algues, de coraux mais aussi de rameaux d’olivier, de papyrus ou de roseaux.

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LA DISPARITION DES MINOENS, PROBABLEMENT LIÉE À L’EXPLOSION DE SANTORIN 

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L’Atlantide aura fait couler beaucoup d’encre. Le débat passionné se poursuit mais de nos jours, il semble assez probable que Théra, Santorin désormais, corresponde en tous points pour un grand nombre de chercheurs, à l’Atlantide décrite par Platon. Quoi qu’il en soit, vers 1500 avant J.-C., une catastrophe gigantesque et cataclysmique frappa la Crête et les Cyclades, provenant de l’explosion volcanique et sismique justement de Théra. Certains géologues et chercheurs estiment que ce bouleversement aurait généré un tsunami sans précédent de plus de 40 mètres de haut frappant de plein fouet la civilisation crétoise et minoenne en Égée. Après le déluge et malgré la reconstruction, d’immenses difficultés économiques ont marqué la société crétoise alors épuisée et affaiblie, selon certains historiens. Le déclin amplifia face aux conquêtes de Mycènes, la nouvelle cité phare sur le continent de la Grèce archaïque. Mais les Minoens avaient de toute façon déjà marqué l’histoire de la Grèce en devenir, des Cyclades et des civilisations majeures de l’Antiquité.

Philippe Estrade.

Pluton-Magazine 2023

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