EXPLORATEUR PEU CONNU DU GRAND PUBLIC ET AIMÉ DES POPULATIONS AUTHOCHTONES, HENRI MOUHOT A RÉVÉLÉ ANGKOR A L’OCCIDENT

Par Philippe Estrade- auteur conférencier

.

.

Naturaliste et géant de l’exploration dans la deuxième moitié du 19ème siècle, Henri Mouhot, quasiment inconnu du grand public, a découvert et fait connaitre à l’Occident les temples d’Angkor, noyés dans la jungle épaisse du Cambodge. Humaniste et soucieux de s’intégrer avec les autochtones qui l’ont apprécié, pour les comprendre et décrire leur culture, il a su respecter les différentes populations rencontrées lors de ses explorations dans les jungles du Laos et du Cambodge. Henri Mouhot a incontestablement intégré le panthéon des grands explorateurs du 19ème siècle avec Bingham, Schliemann ou encore Carter mais avec une mention particulière, celle des hommes de courtoisie et de talent, prévenant et respectueux.

.

UN NATURALISTE AUX REMARQUABLES QUALITÉS D’ETHNOLOGUE

.

Né dans le Doubs à Montbéliard en 1826, Henri Mouhot fut un naturaliste performant et un brillant ornithologue bien connu notamment en Angleterre et dans le monde anglosaxon mais curieusement totalement ignoré en France et même absent du dictionnaire, ce qui constitue une aberration probablement parce qu’il disparut très jeune en 1861, à l’âge de 35 ans. Il eut alors fallu qu’il revienne sur le site et qu’il puisse plus tard offrir lui-même ses travaux et ses exposés à Paris. Néanmoins, il est entré dans la postérité grâce à sa prodigieuse découverte des temples d’Angkor en 1859, après avoir démontré d’admirables qualités d’ethnologue constatées dans ses notes et ses dessins. Ce naturaliste et chercheur a découvert une quantité de coléoptères et de nombreuses espèces dans les jungles de l’Asie du Sud-est. Passionné et curieux de tout, il devint finalement plus qu’un précieux savant naturaliste mais un explorateur éblouissant et admirable dans sa conduite, un homme au patriotisme désintéressé.

De Saint-Pétersbourg aux voyages en Europe

Henri Mouhot n’avait pas envie de vivre une existence paisible comme son père horloger ou sa mère institutrice, lui qui exprimait en permanence des vœux de voyages, de découvertes lointaines et aventureuses et de grand large. Le jeune Henri préférait la promenade dans les sous-bois et l’observation des grenouilles. Cependant élève brillant, il obtint un poste d’enseignant de français à l’école militaire de Saint-Pétersbourg. C’était un pur bonheur pour lui de découvrir de nouveaux espaces et la culture russe, en sillonnant la Crimée ou la Pologne, hélas de délicieuses errances brutalement interrompues par la guerre de Crimée. De retour en France, Henri Mouhot qui se passionnait aussi pour la photographie naissante et en pleine expansion, entreprit avec son frère de nombreux voyages à travers l’Europe, doté de son daguerréotype, l’ancêtre de l’appareil photo, mis au point par Daguerre et Niepce. Les Mouhot parvinrent alors à ouvrir à La Haye, après avoir photographié les Pyrénées, l’Allemagne et l’Italie notamment, un studio particulièrement prisé.

Avec la Royal Geographical Society

Etabli à Jersey après avoir épousé une Anglaise, Ann Park, Mouhot travailla beaucoup, et en naturaliste perspicace et avisé il affina ses connaissances en ornithologie et en sciences naturelles. Bien que les Français eussent disposé de comptoirs en Indochine, en particulier avec la prise de Saïgon en 1859, Henri Mouhot fut éconduit par des sociétés savantes qu’il avait sollicitées pour travailler et comprendre le milieu naturel de l’Asie du Sud-est. Cependant très connu en Angleterre pour ses travaux, ses dessins et peintures, il obtint alors une belle revanche avec le parrainage de la prestigieuse Royal Geographical Society et quitta Londres pour Bangkok, un voyage de quatre mois à destination du Siam, l’actuelle Thaïlande, du Laos et du Cambodge.

.

DE NATURALISTE AU STATUT D’EXPLORATEUR

.

« Le 27 avril 1858, je m’embarquai à Londres sur un navire à voiles de très modeste apparence, pour mettre à exécution le projet que je mûrissais depuis quelques temps, celui d’explorer les royaumes de Siam, de Cambodge et de Laos et les tribus qui occupent le bassin du grand fleuve Mékong… » écrit-il, lui le botaniste de talent qui rêvait de découvrir de nouvelles plantes, des animaux et les tribus les plus reculées cachées sous la canopée. Mouhot devint alors un aventurier qui savait savourer la mythologie des autochtones et se délectait des légendes chuchotées par les peuples de la forêt, ici et là sous l’épais manteau luxuriant de la jungle déchirée par le Mékong.

Naturaliste, ami des indigènes

Mouhot était doté d’un bon tempérament, amical, ouvert et respectueux des populations de la jungle qui d’ailleurs appréciaient la gentillesse naturelle et la modestie de cet homme toujours soucieux d’apprendre des peuples indigènes. Ami des plus humbles, il parvint même à devenir le confident des puissants et des souverains, le roi Norodom du Cambodge et Ang Duong roi du Siam.

Premier voyage au royaume du Siam

C’est dans le courant de l’année 1858, d’avril à décembre, qu’Henri Mouhot s’est embarqué pour quatre mois de mer vers le mystérieux et secret royaume du Siam. Accueilli avec enthousiasme par le roi Ang Duong, il obtiendra très vite tous les sauf-conduits et autorisations diverses pour explorer le pays dans ses moindres recoins. Il fut probablement l’un des tous premiers européens à fouler le sol du royaume et à pénétrer au plus profond de la jungle à la rencontre des populations locales dont il fut l’ami et même le compagnon de vie au cœur des villages isolés. Henri Mouhot n’avait alors qu’un seul objectif, renforcer ses connaissances en matière botanique et découvrir les nombreuses espèces animales de la faune asiatique.

En route vers le Cambodge

Henri Mouhot entreprit une première découverte du Cambodge voisin entre décembre 1858 et avril 1859 dans une simple barque et parvint à rejoindre la petite localité de Kampot, dans les conditions étouffantes du climat entre tropique et équateur. Le hasard fit bien les choses pour Mouhot puisque le roi du Cambodge était précisément sur place dans le cadre d’une tournée en province. Enthousiaste et déconcerté devant la volonté du botaniste, le souverain lui offrit alors toute l’assistance nécessaire pour la poursuite de son périple. Une rumeur selon laquelle une cité noyée dans la jungle et étouffée par l’épaisse canopée, une capitale probablement, fut portée à sa connaissance, et il décida alors de remonter le fleuve Tonlé Sap puis le grand lac du même nom à la recherche de la cité perdue.

.

LE CHOC DES TEMPLES D’ANGKOR

.

Après avoir abandonné son embarcation sur les bords du Tonlé Sap, Mouhot a pu progresser dans la jungle à coups de serpe, accompagné des quelques autochtones, et soudain ce fut le choc, le choc d’une vie ! Devant lui, se dressaient d’immenses tours de grés étouffées par des lianes et d’énormes racines. Henri Mouhot avait réveillé Angkor, oubliée et assoupie depuis des siècles. Le botaniste explorateur devint alors un archéologue de circonstance qui offrit au monde la résurrection d’Angkor, la capitale de l’empire Khmer, une civilisation perdue qui a dominé tout le sud-est asiatique cinq siècles avant de s’effondrer au 15ème siècle. Évoquant Angkor Vat, lire ses notes demeure bouleversant, « vers le 14ème degré de latitude et le 102ème de longitude à l’Orient de Paris, se trouvent des ruines si imposantes, fruit d’un travail tellement prodigieux, qu’à leur aspect, on est saisi de la plus profonde admiration et que l’on se demande ce qu’est devenu le peuple puissant, civilisé et éclairé, auquel on pourrait attribuer ces œuvres gigantesques… L’un de ces temples figurerait avec honneur à coté de nos plus belles basiliques : il l’emporte pour le grandiose sur tout ce que l’art des Grecs et des Romains n’a jamais édifié …Un travail de géants ! Travaux prodigieux dont la vue seule peut donner une juste idée, et dans lesquels la patience, la force et le génie de l’homme semblent s’être surpassés afin de confondre l’imagination… Mais quel Michel-Ange de l’Orient a pu concevoir une pareille œuvre ? »

Le lac Tonlé Sap né des caprices du Mékong

Fascinant et incroyable Tonlé Sap à quelques pas d’Angkor qui s’offrit à Mouhaut ! Rarement les superlatifs ont fait autant défaut pour décrire la magie du grand lac d’eau douce, se remplissant et se vidant comme une bassine, selon la volonté du Mékong, le géant d’Asie qui fixe son rythme et régule la vie à chacun. Car ici précisément, le fleuve Mékong dans toute sa générosité, irrigue l’existence même des pêcheurs et des paysans vivant selon ses caprices liés à la mousson dans de misérables embarcations qui se déplacent au gré des eaux ou dans des cabanes de bambous tissés de feuilles de cocotiers ou de bananiers, bien arrimées à l’abri sur de hauts pilotis. La gentillesse spontanée des Cambodgiens et leurs éternels sourires donnent encore de nos jours une leçon de courage et d’humilité. Le Mékong qui coule près de là se déverse lors des fortes pluies dans la rivière Tonlé Sap, en modifie le courant pour remonter en amont vers le lac du même nom qui fait office de déversoir et dont la superficie est multipliée par quatre lors de la mousson. Dans ces villages reclus, les paysannes font toujours commerce de bananes sur de frêles embarcations tandis que les hommes s’enhardissent à la pêche.

Les temples d’Angkor immortalisés par Mouhot

Les travaux de Mouhot relatifs à la découverte d’Angkor, récits et dessins, seront publiés dans la revue « Le tour du monde » en 1863, suscitant immédiatement un formidable enthousiasme en Occident. D’ailleurs deux photographes explorateurs, le français Gsell et le britannique Thomson se rendront à leur tour dans la jungle cambodgienne en 1866. Cela dit, probablement que les premiers missionnaires aventuriers, des années avant Mouhot, avaient atteint les temples sans les mettre en valeur en Europe. L’expansion coloniale française qui suivit dans la région a apporté au Cambodge une paix imposée par les canonnières françaises naviguant sur le Mékong. En neutralisant l’appétit du Siam et du Vietnam qui ambitionnaient de se partager le pays, la France permit au Cambodge de conserver son indépendance.

Angkor conjugue toujours le minéral avec le végétal

Angkor, ce n’est pas seulement l’immensité d’Angkor Vat, le plus grand temple de tous les temps voulu par Suryavarman II au début du 12ème siècle, mais aussi des dizaines de temples répartis sur une vingtaine de kilomètres. Si Angkor Vat est le plus majestueux, d’ailleurs fixé sur le drapeau national, ils sont nombreux étouffés par les racines des fromagers comme le Bantaey Kdei et le Ta Prohm, véritables lieux de magie où le minéral se conjugue tout en volupté avec le végétal. Au crépuscule, lorsque le soleil s’assoupit et irrigue d’un faisceau jaunâtre les temples majestueux et encore fiers, le miracle se produit et la lumière offre une palette de couleurs saisissantes sur les vieux murs usés dont les reflets perturbent les eaux saumâtres des bassins percés de fleurs de lotus.

.

AU LAOS REPOSE HENRI MOUHOT

.

C’est en 1860 qu’Henri Mouhot effectuera son dernier voyage vers le Laos, le tout dernier voyage puisque la maladie l’emporta l’année suivante, frappé par le paludisme et la fièvre jaune le 10 novembre 1861. « Je suis atteint de la fièvre, ayez pitié de moi ô mon Dieu » écrira-t-il le 19 octobre 1861. Mouhot a connu une gloire posthume grâce à ses notes, ses carnets et ses dessins admirables qui traduisaient une qualité de plus, la maitrise parfaite du crayon pour illustrer les sites archéologiques découverts, avec un sens raffiné et élégant de la perspective. Le grand explorateur disparu à trente-cinq ans seulement repose désormais au Laos près du village de Ban Phanom.

Le dernier voyage au Laos

Après six semaines de navigation sur le Mékong, il décida de se rendre à Luang Prabang à dos d’éléphant. A peine arrivé, l’enthousiasme le saisit et il tomba fasciné par cette localité d’environ 6500 habitants qu’il qualifia de « petit paradis » dans ses notes de voyage. Puis, accompagné par deux laotiens, Mouhot installa son bivouac sur le bord de la rivière Nam Khan, un affluent du Mékong, le 15 août 1860. Une grande lassitude s’empara de lui et ses notes se firent de plus en plus rares alors que son journal s’interrompit définitivement le 5 septembre 1860. Dans ces régions chaudes et humides du Laos, la saison des pluies peut être redoutable alors que paludisme, typhus et autres fièvres jaillissent inévitablement et frappent les villages. Malade puis dans le coma, Henri Mouhot s’éteignit de la fièvre jaune le 10 novembre 1861 et fut inhumé dès le lendemain par ses deux compagnons de voyage.

Reconnaissance posthume

Selon certains experts, le corps de l’explorateur aurait été emporté quelques années plus tard par les eaux en crue de la rivière Nam Khan, et la tombe située près de Luang-Prabang ne serait peut-être qu’un cénotaphe, bien que la majorité des spécialistes valident désormais le site comme une tombe. La gloire de Mouhot est donc posthume, lui qui aura fait connaitre au monde la grande civilisation Khmer du Cambodge et les temples d’Angkor et susciter un immense enthousiasme pour l’Indochine et l’Extrême-Orient. Un engouement confirmé par l’exposition universelle de 1878 puis celle de 1889 qui présenta un moulage du temple d’Angkor Vat réalisé par Henri Marchal, un spécialiste de Mouhot et des sites d’Angkor.

.

Naturaliste, explorateur, archéologue, dessinateur, Henri Mouhot était tout cela à la fois, lui le savant humaniste et immensément respectueux des populations locales qui vouaient à cet homme simple et jamais arrogant une solide estime et une authentique sympathie. D’ailleurs, c’est grâce à Mouhot qu’Henri Marchal deviendra, grâce aux carnets et dessins du grand explorateur, le spécialiste architecte de la conservation du site d’Angkor. Élevé plus tard au rang d’incomparable explorateur, pionnier en Asie, Henri Mouhot a rejoint la liste des grands noms des découvreurs et pionniers du 19ème siècle. Justice est faite pour ce géant modeste de l’aventure moderne.

.

Philippe Estrade

Pluton-Magazine 2024

Laisser un commentaire

*