PORTRAIT : OLYMPE DE GOUGES, DES LUMIÈRES À L’ÉCHAFAUD DE LA TERREUR

Par Philippe Estrade auteur-conférencier

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Peu connue du grand public, Olympe de Gouges a marqué le siècle des Lumières et la Révolution par son engagement opiniâtre et intraitable pour libérer les femmes étouffées par des siècles de domination patriarcale. Rebelle, journaliste, femme politique, dramaturge et philosophe, elle fut une pionnière en matière de lutte pour les droits des femmes. En publiant la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en réponse à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Olympe de Gouges a marqué l’histoire de l’émancipation des femmes. Elle fut aussi une ardente défenseuse des droits de l’homme et devint une figure publique majeure en dénonçant l’esclavage et plaidant son abolition avec passion et brio. Associée aux Girondins modérés, elle n’hésita pas à s’opposer à l’exécution de Louis XVI et a même fermement réprouvé la dictature sanguinaire de Robespierre en personne et l’ensemble des Montagnards jugés radicaux. De Gouges ainsi s’était condamnée inéluctablement à la perspective de la guillotine. Le gouvernement de la Terreur fit exécuter en 1793 cette femme admirable, cette guide et égérie de la liberté.

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 DE LA PETITE BOURGEOISIE DU SUD-OUEST À LA FEMME LIBRE DE PARIS

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Avec un père maître boucher et une mère fille d’avocat, Olympe qui naquit à Montauban en 1748 disposait de tout pour se nourrir d’une vie de la petite bourgeoisie paisible des bords du Tarn, toutefois sans aisance notoire. Cette femme des Lumières devint en revanche un phare lors de la Révolution en inspirant avec audace et détermination des idées de liberté pour tous. Mariée dès l’âge de dix-sept ans, la jeune Marie de son vrai nom deviendra Olympe lors de sa fuite à Paris en 1770 chez sa sœur ainée, « forcée de fuir un époux qui m’était odieux, je m’enfuis à Paris avec mon fils » dira-t-elle désabusée.

Une jeunesse occitane

Finalement peu aisée, Olympe a vécu une enfance plutôt modeste et sans éducation notable, elle qui parlait l’occitan, la langue des pays du sud. Elle serait issue selon ses propos, d’une liaison illégitime entre le marquis Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, homme de lettres et magistrat et d’Anne-Olympe Mouisset, fille d’un avocat local.  D’ailleurs le député Poncet-Delpech a indiqué que « Tout Montauban sait que Lefranc de Pompignan est l’amant d’Anne-Olympe » et donc le père supposé de la future Olympe de Gouges.

Une vie de courtisane à Paris

Selon les chroniques, les premières années d’Olympe à Paris demeurent obscures. Certains observateurs et « la correspondance de Grimm » notamment, un périodique destiné à l’aristocratie, diront même que « son joli visage était son unique patrimoine », jugement plutôt sévère pour celle qui va marquer le siècle et maniera le verbe avec désinvolture et éclat. Poncet-Delpech a alors déclaré « qu’elle était entretenue par des négociants, des ministres et des princes ». Femme libre et indépendante, Olympe a aimé la vie et a même refusé un mariage qui lui aurait assurée une sécurité financière, mariage qu’elle a défini comme « le tombeau de la confiance et de l’amour ». À cette époque où une femme se devait d’être soumise à la protection financière d’un mari, les déclarations d’Olympe l’assujettissaient hâtivement à la réputation d’une femme galante.

Le théâtre et les salons littéraires à Paris

Olympe était Occitane et la bêtise collective l’a souvent jugée comme une femme illettrée bien qu’en effet elle disposât d’une éducation limitée. Autodidacte et grande travailleuse, la jeune Olympe parvint à se hisser au niveau des plus grands, à l’évidence douée par le verbe et l’écriture, et fréquenta les salons littéraires et politiques pour s’intéresser avec ardeur aux idées nouvelles des Lumières. Olympe, entourée aussi d’artistes, se mit à écrire des œuvres dramatiques dont elle assura la mise en scène. Elle y joua d’ailleurs avec un talent manifeste. Alors que le théâtre pouvait apparaitre comme un support des idées nouvelles et qu’il fut étroitement contrôlé, Olympe de Gouges a été capable de monter sa troupe et créer décors et costumes. Elle parvint à réussir toutes les entreprises qu’elles engageaient, fussent-elles audacieuses et déroutantes pour le système établi.

Premiers engagements contre le colonialisme et l’esclavage

Olympe de Gouges fut systématiquement attaquée pour ses publications jugées contraire aux bonnes mœurs et à l’ordre établi. La première cause qu’elle défendit avec courage fut la lutte contre l’esclavage. Vers 1784, elle a alors 35 ans, Olympe publie une pièce en trois actes « Zamore et Mirza » qui dénonce l’esclavage et la douleur de l’asservissement. Produite à la Comédie française en 1789 sous le titre de « l’esclavage des nègres », la pièce se déroula sous le chahut et l’hostilité des anti-abolitionistes particulièrement agités et virulents, puis finalement retirée après seulement trois représentations. Sans se décourager, Olympe revint un an plus tard et offrit une nouvelle pièce abolitionniste qui ne sera pas jouée « Le Marché des Noirs ». Olympe de Gouges fut citée en 1808 comme la seule femme dans la « Liste des hommes courageux qui ont plaidé ou agi pour l’abolition de la Traite des Noirs ». L’engagement d’Olympe de Gouges ne jamais faibli et elle publia plus tard « Réflexions sur les hommes nègres » en fréquentant assidument la Société des Amis des Noirs.

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L’ENGAGEMENT RÉVOLUTIONNAIRE

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Femme passionnée et déterminée, Olympe me rappelle sous certains aspects la démarche de Louise Michel, bien-sûr dans un autre contexte, celui des premières luttes et de l’environnement des Lumières et de la Révolution. En effet dès 1788, elle fait paraître des travaux audacieux et pertinents sur la justice sociale et le changement sociétal. En défendant une monarchie constitutionnelle selon le modèle libéral anglais fondé sur le système de Westminster, de Gouges afficha alors une approche dite « monarchienne », l’égalité parfaite entre le pouvoir législatif et les prérogatives du roi. D’ailleurs la constitution de 1791, première véritable expérience libérale depuis la Révolution, fut contestée par Olympe de Gouges qui lui reprochait sa démarche censitaire et masculine. « Fuyez cette horde confuse, ce mélange effroyable de feuillants, d’aristocrates, d’émissaires de Coblence, des brigands de tout genre, de tout état, de toute espèce qui ne fondent leur fortune que sur celle de citoyens propriétaires. »  Avec le sens de la formule et un verbe pittoresque, Olympe n’y allait pas de main morte.

Lettre au peuple et impôt patriotique

C’est en 1788, dans la seconde partie des Lumières, qu’Olympe de Gouges a publié ses cahiers de propositions, deux brochures où elle esquisse un programme ambitieux de réformes sociales dont le dessein d’un impôt qualifié de patriotique sur les signes extérieurs de richesse et sur le volontariat à la proportion des revenus. Plus tard, Olympe de Gouges impulsera le principe de la libération des détenus pour dettes, des pauvres gens, dans deux nouvelles pièces de théâtre dont « Le mariage inattendu de chérubin » et « l’homme généreux. » puis l’abaissement du prix du pain pour les miséreux. Les plus grandes personnalités du moment mais aussi les différents clubs de patriotes ont périodiquement reçu ses publications et propositions. Rebelle, déterminée, le verbe et la plume bien assurés mais aussi la formule expressive et illustrée, de Gouges a déclaré « La femme a le droit de monter à l’échafaud, alors elle doit avoir également celui de monter à la tribune. »

L’engagement avec les Girondins

Active et fermement impliquée dans les débats politiques, elle sera dans un premier temps proche des Montagnards qui se sont opposés à la perspective des préparatifs de guerre contre les monarchies européennes menaçantes plaidés par les Girondins, notamment Vergnaud et Brissot. Mais dès 1792, elle s’est rapprochée des Girondins, et c’est à leurs contacts, en particulier les marquis de Condorcet et de Villette qu’elle devint définitivement républicaine dans le camp des Girondins s’opposant avec eux à l’exécution du roi Louis XVI. Olympe de Gouges, fidèle à ses convictions, proposa le 16 décembre 1792 d’assister Malesherbes dans la défense du roi, une initiative rejetée avec une certaine arrogance et un réel mépris selon les observateurs.

La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne

Pétrie par tous les idéaux des Lumières, elle ne se contenta pas de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui se limitait à appliquer de nouveaux principes qu’aux hommes mais rédigea en revanche une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne considérée à juste titre comme le texte fondateur du féminisme moderne. « La femme nait libre et demeure égale en droits à l’homme » constitue l’article 1er de sa proclamation. Olympe de Gouges a poursuivi son combat pour les femmes dans une nouvelle pièce de théâtre « Le couvent ou les vœux forcés » et fit aussi un nombre considérable de propositions en matière de réformes sociétales. L’instauration du divorce dès 1790, la suppression du mariage religieux au profit d’une forme de contrat civil et égalitaire, précisa-t-elle, la reconnaissance des enfants nés hors de l’institution du mariage ou encore la création de foyers pour les mendiants et les misérables et d’ateliers nationaux pour les nombreux chômeurs ont caractérisé l’essentiel de sa trame sociale et humaniste. Puis Olympe de Gouges vit un début de résultats relatifs à l’abolition de l’esclavage, l’un de ses fils rouges de vie avec la lutte contre la misère.  C’est en effet sous la présidence de Danton qu’elle a d’ailleurs ménagé et sur la requête de l’abbé Grégoire qu’ont été suspendus les versements de primes aux négriers. Enfin, elle eut pu aussi se réjouir de voir enfin en septembre 1792 le droit des femmes au divorce légalisé, un de ses combats et principes défendus avec courage et énergie.

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LA TERREUR CONDAMNE OLYMPE DE GOUGES

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La fin d’Olympe de Gouges était prévisible. En s’attaquant de front à Maximilien Robespierre, elle signa son arrêt de mort. Pour la Terreur et sa dictature de la soumission par la guillotine et le sang, cette femme intrépide et brillante dans ses combats généreux et justes gênait bien-sûr Robespierre et tous les autocrates et oppresseurs du régime en publiant justement des pamphlets contre Robespierre et Marat. « Le sang, même des coupables, versé avec cruauté et profusion, souille éternellement les révolutions. » écrivit-elle

Opposée de front à Maximilien Robespierre

En s’en prenant avec énergie à Marat, qualifié « d’avorton de l’humanité », responsable des massacres sommaires de septembre 1792 et soupçonnant Robespierre, « l’opprobre et l’exécration de la Révolution » dira-t-elle, de promouvoir une dictature, elle écrivait au printemps 1793 s’inquiéter de la montée en puissance des députés Montagnards et de la mise en place du Comité du salut public en dénonçant les atteintes systématiques aux principes démocratiques.

Condamnée pour atteinte à l’indivisibilité de la République

En dénonçant la loi de mars 1793 relative à l’interdiction de toute publication jugée remettre en cause les principes de la République, Olympe de Gouges fut arrêtée après avoir composé une affiche « Les trois urnes ou le Salut de la patrie » suggérant le choix libre pour le peuple entre une république une et indivisible, le retour d’une monarchie constitutionnelle ou encore une République fédéraliste. Les Montagnards l’ont arrêtée le 20 juillet 1793 pour avoir osé proposer la seconde hypothèse, c’est-à-dire la démocratie par la monarchie constitutionnelle, puis déférée le 6 aout 1793 devant le Tribunal révolutionnaire. Malade et néanmoins envoyée à l’infirmerie, elle déposa ses bijoux en gage au mont-de-piété dans la perspective d’un transfert dans un établissement pour gens aisés où le régime carcéral semblait moins rude, ce qu’elle obtint sans trop de difficultés. Olympe parvint à rédiger et faire sortir de l’établissement deux affiches « Olympe de Gouges devant le Tribunal révolutionnaire » et « Une patriote persécutée » qui ont alors recouvert abondamment les murs de Paris.

La fin d’Olympe de Gouges, l’échafaud le 3 novembre 1793

Traduite devant le tribunal le 2 novembre et privée d’avocat, elle se défendit avec intelligence et grande adresse précisent les chroniques. Olympe de Gouges est condamnée à son tour à la peine de mort, quelques heures après l’exécution de ses amis Girondins. Elle tenta de sauver sa tête en se déclarant enceinte mais Fouquier-Tinville, principal accusateur du Tribunal révolutionnaire et surnommé après sa mort « le pourvoyeur de la guillotine », se basant sur l’horloge biologique confirma qu’il n’y avait pas de grossesse. Le journaliste contre révolutionnaire Perlet s’est ému de la dignité et du courage d’Olympe devant son bourreau. S’adressant au peuple, elle déclara « Enfants de la Patrie, vous vengerez ma mort. » Même son fils, l’adjudant général Pierre Aubry de Gouges, à l’évidence soucieux de ne pas être inquiété par le régime de la Terreur, la reniera dans une déclaration publique.

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Militante féministe, déterminée, courageuse, résolue et opiniâtre, Olympe de Gouges est morte pour ses valeurs, ses passions et ses combats, en priorité l’abolition de l’esclavage, le droit des femmes, l’aide aux misérables et les réformes sociétales, elle qui avait dédié à Marie-Antoinette sa déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Elle fut d’ailleurs la deuxième femme guillotinée après la reine. Favorable à la Révolution, elle est devenue en revanche une farouche et intransigeante opposante à Robespierre et à la dictature révolutionnaire. C’est à l’issue de la seconde guerre mondiale qu’Olympe de Gouges, dramaturge, philosophe, journaliste et femme politique, sort des méandres de la petite histoire pour intégrer enfin, à juste titre, la reconnaissance en France et à l’étranger, notamment au Japon, aux Etats-Unis ou encore en Allemagne, des états où ses travaux sont étudiés régulièrement. L’immense Olympe de Gouges est depuis quelques temps enfin régulièrement citée pour entrer au Panthéon.

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Philippe Estrade rédacteur Pluton-Magazine.

Pluton-Magazine.

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