“ Paul Klee, un des peintres abstraits, disait dans son livre la Pensée Créatrice :<< La fonction de l’art n’est pas de reproduire le visible, mais de rendre visible l’invisible.>> Ce qui signifie que l’œuvre d’art est sensée être détachée du spectacle de la nature et de l’objet, elle a le devoir de s’ inspirer de l’irréel et de l’irrationnel , ne pas reproduire ce que le spectacle du monde offre comme image, mais, plutôt, créer des formes et des couleurs à partir de l’invisible. Cependant, cet écart des réalités observées et la disparition totale de l’image laissent place à l’irrationnel et l’ incompréhensible – éléments qui occupent une place prépondérante dans l’abstraction ; ce qui pose, automatiquement, l’inévitable et fréquente question : “ l’artiste abstrait peut-il donner une signification à son œuvre ?”
La non représentation est la pierre fondatrice de l’abstraction. C’est la volonté délibérée de ne rien reproduire du spectacle du monde, le détachement de la peinture figurative ou, en d’autres termes, de la peinture représentative. La naissance de la peinture abstraite est un fruit du hasard, un élément qui ne cessera jamais, de conditionner le processus de la création dans l’art abstrait. Ainsi, en témoigne l’histoire à travers l’artiste Wassily Kandinsky, fondateur de la peinture abstraite quand il dit: << C’était à l’approche du crépuscule, je revenais chez moi dans mon atelier de Munich avec ma boîte à couleurs, après une étude, encore tout plongé dans mon rêve et dans le souvenir du travail accompli, lorsque j’aperçus soudain au mur un tableau d’une extraordinaire beauté, brillant d’un rayon intérieur, je restais interdit, puis m’approchai de ce tableau-rébus, je ne voyais que des formes et des couleurs, et dont la teneur me restait incompréhensible. Je trouvai vite la clé du rébus: c’était un tableau à moi qui avait été accroché à l’envers..>>
C’est incident qui, se situe en 1908, est particulièrement significatif, au niveau du rapport de l’artiste et l’œuvre non représentative. Il met en évidence le rôle principal de l’élément du hasard et de l’accidentel dans la réalisation de l’œuvre non figurative.
Cependant, on se pose la question suivante : Un artiste abstrait est-il capable de préméditer la signification de son œuvre ? cette question revient incessamment quand il s’ agit d’expliquer le sens et la signification d’une réalisation abstraite.
l’artiste-création mystérieuse, énigmatique, mystique. Elle se détache de lui, elle acquiert une vie autonome, devient une personnalité, un sujet indépendant, animé d’un souffle spirituel, le sujet vivant d’une existence réelle – un sujet indépendant, animé d’un souffle spirituel, le sujet vivant d’une existence réelle- un être..
Cet aspect mystérieux de l’œuvre détermine le statut de l’artiste abstrait face à la réalisation de l’œuvre abstraite et sa confrontation avec cette dimension créatrice qui demeure, avant la réalisation de son œuvre, mystérieuse. L’artiste abstrait est comme un voyageur qui, pour la première fois, effectue un voyage vers une destination inconnue, via un certain itinéraire, il sait qu’il est sensé marcher, mais ne sait pas ce que le voyage lui réserve comme paysages. C ‘est seulement, une fois que le voyage est terminé qu’il peut décrire ce qu’il a fait et ce qu’il a découvert durant son itinéraire.
Il ne peut justifier que de sa démarche artistique et le choix de sa recherche plastique, par contre il ne peut pas justifier ce que cette dernière lui a fait découvrir. Ainsi, est le mystère de la création abstraite, plus l’artiste avance dans sa réalisation plus cette dernière lui dévoile ses secrets, ses mystères, l’esthétique des formes et des couleurs, elle lui impose un certain itinéraire, elle le guide, dans sa recherche de l’équilibre, condition, sine quoi non, dans la réalisation et la réussite d’une œuvre non représentative.
Dans cette tâche difficile, l’artiste n’est pas maître de la situation, il doit commencer par reconnaître les devoirs qu’il a à l’égard de l’art, qu’il est au service d’un idéal particulièrement élevé, qui lui impose des devoirs précis et sacrés, une grande tâche, raison pour laquelle il ne peut prétendre exprimer quoi que ce soit à travers sa création. L’œuvre abstraite a le pouvoir de parler d’elle même étant donné qu’elle ne renvoi qu’à elle même, il s’agit d’un dialogue entre elle et celui qui l’a regarde. Wassily Kandinsky dit
Celui qui regarde une œuvre d’art converse en quelque sorte avec l’artiste au moyen du langage de l’âme ; mais alors il ne le comprend plus, il lui tourne le dos et finit par le considérer comme un jongleur intellectuel dont il admire l’adresse tout extérieure.
L’autonomie et l’indépendance de l’œuvre permettent à l’artiste de s’ exprimer indépendamment de lui. L’ouvre e raconte l’histoire de sa création, de sa naissance et de sa réalisation, elle confirme sa provenance de l’invisible et de l’irréel, dans un langage autre que celui de l’image où la signification trouve, amplement, sa place. De même que dans l’écriture, les lettres de l’alphabet constituent un outil de communication avec l’intellect, dans une composition abstraite, ce sont les formes et les couleurs. Cette composition a le pouvoir de parler à l’âme de celui qui la regarde en silence et sans l’intervention inutile de l’artiste. Elle porte en elle la signification authentique ; il suffit à celui qui la regarde de comprendre cette vérité. Au cours de la réalisation de l’oeuvre, la seule préoccupation de l’artiste est la recherche de l’équilibre. Ce qui représente une tâche très difficile, étant donné que c’est le mystère de la création qui en détient le secret, elle le dévoile selon sa propre volonté et non selon le bon vouloir de l’artiste qui n’est pas maître de la situation.
En effet, l’artiste ne reçoit de la création que ce que cette dernière veut lui dévoiler, ce qu’il en découvre n’est qu’une goûte mais ce qu’il en ignore est un océan. La force créatrice se manifeste à travers lui, il est au service de cet idéal, il est le trait d’union entre l’invisible et le visible, l’immatériel et le matériel. En fait, l’artiste puise son inspiration dans l’irrationnel, raison pour laquelle, contrairement à la peinture figurative où l’image occupe une place très importante, il ne peut être rationnel au niveau de la signification de son œuvre. Par ailleurs, la peinture abstraite ne s’adresse pas à l’intellect de celui qui la regarde, elle parle à son âme par le biais des formes et des couleurs, que l’on peut, éventuellement, considérer comme un “ alphabet pictural” fonctionnant de la même façon que des notes de musique. En outre, sa particularité réside dans le fait qu’il n’est pas utilisé pour qu’il soit compris mais, plutôt, pour qu’il soit ressenti comme une “mélodie visuelle”.
Une pensée plus approfondie est susceptible de nous amener vers l’hypothèse suivante : la musique a la pouvoir de sonoriser l’œuvre abstraite et cette dernière a la pouvoir de visualiser la musique : d’où la nécessité de regarder l’œuvre abstraite de la même façon qu’on écoute la musique. La musique classique est une peinture qu’on regarde avec l’oreille et la peinture abstraite est une musique qu’on écoute avec les yeux. Il est donc très important de considérer l’œuvre abstraite comme une symphonie visuelle et comprendre qu’elle s’est créée par le biais de l’artiste pour exister en tant que telle, non pour porter en elle un message ou une signification car ce n’est pas là sa fonction. Elle est née de l’âme de l’artiste pour parler à celui qui la regarde dans un langage qui ne peut être compris que par son âme…
Nadim Rachiq