Si la région a connu une véritable ferveur historique sous l’Ancien Régime, son territoire de nos jours se partage entre les régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie. Le nom de Gascogne, ce triangle aquitain du Sud-Ouest de la France qui s’est partiellement également appelé Guyenne, n’a pas survécu au dessein capétien et à la chute de la monarchie, comme d’autres régions d’ailleurs, l’Anjou ou la Flandre notamment. En revanche, des territoires ou duchés historiques ont maintenu leurs anciennes identités administratives, en particulier la Bretagne, la Normandie ou encore la Bourgogne. La Gascogne relève la tête et redevient même étonnamment à la mode. Ce Sud-Ouest atlantique offre une forte identité occitane dans son parler gascon précisément, dont beaucoup de mots sont utilisés tous les jours par les locuteurs du pays, du Bordelais aux Pyrénées, sans pour autant qu’ils mesurent que de nombreuses expressions utilisées au quotidien sont issues précisément de ce patois occitan. Outre la générosité du climat, d’ailleurs souvent rude l’été, la région offre aussi une palette naturelle unique. À l’ouest, les plages de sable blond du Médoc à l’Adour avec le bassin d’Arcachon, seule échancrure sur la côte gasconne, se conjuguent avec la haute barrière pyrénéenne tout au sud, frontière naturelle de ce territoire comme l’est la fougueuse Garonne à l’est de la région. Avec la plus grande forêt artificielle d’Europe, formée de pins, plantée sous l’impulsion de Napoléon III pour assécher les marais proches de la côte atlantique, la vigne abondante et les douces collines plantées de bastides, la Gascogne est riche de territoires divers, parfois rivaux mais toujours complices pour défendre un pays, un parler et un art de vivre culinaire unique.
INCONTOURNABLE RÉGION FRONDEUSE DANS NOTRE HISTOIRE
Le pays gascon est né autour des actuels départements des Landes et du Gers, cœur historique de la région, pour s’étendre au nord jusqu’au Médoc en Gironde et au sud dans le massif des Pyrénées. Peuplée de Vascons, la Vasconie est devenue avec les Francs le duché de Gascogne qui fit briller Auch, Eauze ou Saint-Sever. Plus tard, le mariage d’Aliénor d’Aquitaine, seule héritière de la province, provoquera un désastre politique pour le royaume de France. En effet, en épousant Henri de Plantagenêt, duc de Normandie, du Maine, d’Anjou, et futur souverain d’Angleterre, en 1152, elle offrit sa Gascogne natale, l’Aquitaine et ses territoires annexes à la couronne d’Angleterre.
Des Aquitains aux Vascons
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La pénétration romaine se heurta au-delà de la Garonne, vers l’ouest, à de redoutables guerriers qui s’appelaient eux-mêmes des Aquitains, peuple différent des Gaulois, donc des Celtes. Les conquêtes et occupations successives avec les romains d’abord, puis les Visigoths, les Vascons et enfin les Francs, parvinrent à stabiliser une région déjà fortement agitée et rebelle. En métissant leur langue d’origine avec le latin, adopté des romains, les Vascons firent naître la langue gasconne, dérivée d’un occitan usité dans tout le Sud de la France, de l’Atlantique à la Méditerranée. Au 2°siècle, sous l’occupation de Rome, le Sud-Ouest se divisa, et ainsi apparut la Novempopulanie qui fixa sa capitale à Eauze dans le Gers actuel. Les autres pays aquitains se divisèrent avec Bordeaux, Bordèu en gascon, capitale de l’Aquitaine seconde au nord de la région.
Les Francs et le duché de Vasconie
Les Vascons s’opposèrent farouchement aux conquêtes franques du 6° siècle. À la mort de Clotaire II, en 629, unique roi mérovingien sur tous les territoires francs, Caribert reçut de son frère Dagobert Ier cette Vasconie intégrée au voisin royaume de Toulouse. Dagobert lui-même, devenu roi des Francs, et nouveau maître de la Vasconie, dut mater les Vascons, déjà marqués par un tempérament farouche et indépendant. À l’arrivée des musulmans en Espagne, le pays vascon, qui va devenir le pays gascon, fut le premier exposé aux ambitions arabes. En 732, une invasion soudaine et brutale des musulmans détruisit la région et Bordeaux, principale ville du Sud-Ouest, avant que Charles Martel eût battu l’armée arabe la même année près de Poitiers. Avec les carolingiens qui succédèrent aux mérovingiens, Pépin le Bref, le premier d’entre eux et père du grand Charlemagne, divisa la région avec un duché de Vasconie du Bordelais aux Pyrénées et un duché d’Aquitaine au nord, du pays saintongeais à la Loire.
Avec Aliénor en 1152, la Gascogne sous domination anglo-normande
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L’entité administrative historique de la Gascogne a disparu au 11° siècle, au début de l’ère capétienne. Si la chronologie est un peu confuse, les premiers grands noms des ducs et comtes de Gascogne sont apparus vers le 9° siècle, notamment Guillaume Sanche qui vainquit les vikings ou encore le comte de Bordeaux Bernard Guillaume, duc de Gascogne. Tout bascula en 1152 lorsque Eléonore d’Aquitaine, née à Bordeaux ou peut-être à Belin-Béliet dans les landes girondines, mieux connue sous le nom d’Aliénor, épousa le duc de Normandie et d’Anjou Henri de Plantagenêt qui devint roi d’Angleterre sous le nom d’Henri II. Les duchés d’Aquitaine et de Gascogne formés d’une compilation archaïque de seigneuries passèrent alors sous autorité anglo-normande. Si l’entité politique de la Gascogne s’achevait, son histoire médiévale en revanche ne cessa de grandir et de s’imposer. Ainsi, il y eut en quelque sorte « plusieurs Gascogne ». Une Gascogne occidentale orientée autour de Bordeaux, de Mont-de-Marsan et Dax, vers le littoral et l’Adour, liée à l’Angleterre jusqu’à la bataille de Castillon qui vit enfin le succès français en 1453, et une Gascogne orientale attachée au royaume de France en Armagnac et en Chalosse dans l’est des Landes, et l’actuel Gers jusqu’à la Bigorre et l’Ariège dans les Pyrénées.
Les Gascons pendant la guerre de Cent Ans
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La guerre de Cent Ans opposa durant exactement 116 ans, de 1337 à 1453, deux dynasties françaises, celle des Plantagenêt au pouvoir en Angleterre et celle des Valois, la branche capétienne installée sur le trône du royaume de France. Coincés entre une « Gascogne anglaise » à l’ouest, de Bordeaux à l’Adour et une « Gascogne française » à l’est de la région, les Gascons se retrouvèrent ainsi divisés dans les deux camps. Avec la victoire française de Castillon la Bataille près de Bordeaux, en 1453, qui mit un terme au conflit, Bordeaux et la « Gascogne anglaise » tombèrent définitivement sous l’autorité du roi de France Charles VII. C’est grâce à l’utilisation massive de l’artillerie qui surprit et submergea les armées anglo-normandes de Talbot que tout bascula au profit des Français. Cependant, dans le sud de la région, les fougueux Gascons du Béarn maintinrent leur indépendance jusqu’au début du 17° siècle, au point de se considérer toujours de nos jours d’abord comme des Béarnais, bien que depuis toujours, ils fussent gascons.
Un nouveau duché, celui de Guyenne et Gascogne
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Auparavant, le traité de Brétigny en 1360 a fixé une Guyenne anglaise qui incluait l’Ouest de la Gascogne, Landes et Gironde, et au-delà jusqu’à la Charente. C’est à partir du 16° siècle que le pays de Gascogne se mêla dans la nouvelle grande province du duché d’Aquitaine, encore appelé duché de Guyenne et Gascogne, la Guyenne au nord de la Gironde jusqu’au Poitou et au Rouergue et la Gascogne historique, du Bordelais aux Pyrénées. Duchés, généralités, notamment celui d’Auch et circonscriptions administratives de l’Ancien Régime, disparurent à la Révolution avec la création des départements en 1790. Les cadets de Gascogne, souvent gentilshommes, ont également marqué l’Ancien Régime. Ces militaires peu fortunés qui ne pouvaient pas intégrer une académie prestigieuse, reçurent toutefois une solide formation d’officier acquise dans le rang. Alexandre Dumas et Edmond Rostand ont popularisé la fougue et l’audace gasconne au service du roi avec D’Artagnan ou encore la compagnie hardie et redoutable des Cadets de Gascogne dans Cyrano de Bergerac. De nos jours, l’historique Gascogne est composée de la totalité des départements des Landes et du Gers, cœur historique de la région, puis des Hautes-Pyrénées et de la Gironde, enfin plus partiellement du Tarn-et-Garonne, du Lot-et-Garonne, des Pyrénées Atlantiques séparées de la poche du pays basque, du Sud de la Haute-Garonne et de l’Ouest de l’Ariège.
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LA NOUVELLE VITALITÉ DE LA GASCOGNE
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Particulièrement vifs et à la farouche indépendance véhiculée durant des siècles de conflits, les Gascons ont associé leur nom à un tempérament, somme toute plutôt flatteur, indépendant, vif, malicieux, rebelle et espiègle, même si d’autres expressions sont moins complaisantes comme le mot « gasconnade » associé à fanfaron ou encore une « promesse de gascon », c’est-à-dire une manœuvre ou un engagement non tenu. « Gourmand, ivrogne et assuré menteur, pipeur, larron, jureur, blasphémateur, sentant la hart de cent pas à la ronde, au demeurant le meilleur fils du monde » écrira probablement avec caricature Clément Marot… La langue du pays est toujours bien vive ici. Cet occitan du Sud-Ouest atlantique connaît un nouvel intérêt et une saisissante renaissance. Bref, les Gascons sont désormais fiers de leur patrimoine et de leur histoire.
Redéfinir aujourd’hui le territoire gascon historique
Ce territoire fascine tellement que même des régions voisines s’octroient parfois hâtivement le titre de gasconnes sans pour autant l’être totalement ni même partiellement. Pourtant, il n’est pas difficile de fixer l’espace gascon, même si celui-ci au cours de l’histoire a englobé des terres tout de même éloignées d’une quelconque empreinte culturelle, linguistique ou identitaire. Globalement, ces pays gascons naissent dans les Landes, puis dans le Gers avant de s’étendre vers le nord en Gironde et les rives de la Garonne à l’est vers le Lot-et-Garonne, puis au sud jusqu’aux Pyrénées et même au Val d’Aran, côté espagnol. Mais pour mettre un terme à l’éternel débat des frontières de la Gascogne, il faut tout simplement regarder, comme d’ailleurs cela est vrai pour toutes les autres régions de France, la territorialité de la langue. Là où l’on parle la langue, on est dans le pays. C’est en effet une évidence qui clôture les éternels débats sur les espaces culturels et linguistiques des régions.
« Adishatz, quésaco », la vitalité du gascon, langue occitane
Les langues régionales furent pourtant persécutées dans la période révolutionnaire et le gascon, variante de l’occitan, n’y échappa pas. Dès le 17 juin 1789, alors que le Tiers-État venait de se déclarer Assemblée nationale, l’unité politique favorisant le français comme unique langue officielle porta un coup au régionalisme linguistique, symbole de l’Ancien Régime. Il fallait « anéantir les patois et universaliser l’usage de la langue française » selon Henri Grégoire, l’évêque de Blois, qui haïssait les patois et les langues de pays. L’occitan, langue régionale du grand Sud, présente des variantes selon les régions de ce midi de la France. Le limousin, le provençal, le languedocien, le gascon notamment mais aussi l’auvergnat en constituent les principaux dialectes. Appelés péjorativement patois, ces parlers régionaux, comme d’ailleurs la langue d’oïl dans la moitié nord de la France, ont souvent conduit les différents locuteurs locaux à éviter justement d’utiliser le patois du pays, souvent considéré comme archaïque et honteux, voire même d’essayer de cacher leur accent. C’est avec la domination romaine que les populations locales introduisirent le latin qui, sur plusieurs siècles, romanisera la langue. Avec les barbares qui ont envahi l’Europe de l’Ouest, les langues se sont métissées pour aboutir à l’occitan dans ce Sud faiblement celtisé mais très fortement romanisé. Dans le Sud-Ouest, beaucoup de locuteurs utilisent au quotidien des mots ou des expressions directement tirés du gascon, parfois appelé aquitain, sans pour autant le savoir. Si « adishatz », qui signifie à la fois « bonjour » et « au revoir » ou « quésaco », que l’on traduit par « qu’est-ce que c’est » ne laissent aucun doute sur l’identité du Midi, d’autres mots passés dans le français courant de ces terres du Sud sont aussi d’origine occitane. Cependant, ce dialecte occitan connaît quelques variantes à l’intérieur même de la Gascogne. Comme dans tout l’espace roman, il constitue un ensemble linguistique relativement complexe qui offre quelques différences d’un territoire à un autre. Ainsi, le gascon occidental qui s’étend au Médoc, au Bordelais et aux Landes, le gascon intérieur parfois appelé oriental, localisé dans le Gers, ou encore le gascon méridional dans les Pyrénées se combinent bien sûr tout en offrant parfois quelques subtilités et nuances.
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LA GASCOGNE DE NOS JOURS, À NOUVEAU AU PREMIER PLAN
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Beaucoup se sont battus pour essayer de faire revivre la Gascogne comme entité régionale administrative, à l’instar de la Bourgogne ou de la Bretagne. À l’évidence, cette entreprise est trop complexe, car le pays gascon est partagé entre les régions actuelles de Nouvelle-Aquitaine et d’Occitanie. Toute la difficulté provient de certains départements partiellement gascons comme la Haute-Garonne, gasconne dans le sud et à l’ouest de Toulouse en s’approchant du Gers, l’Ariège, gasconne à l’ouest autour de Saint-Girons mais d’influence languedocienne et catalane à Foix, Tarascon et Ax-les-Thermes ou encore les Pyrénées-Atlantiques, desquels il aurait fallu extraire le Pays basque. Cette entreprise de « reterritorialisation » de certains départements, constitue une initiative improbable et même impossible. Les paysages de la région sont si divers que l’on pourrait en effet évoquer plusieurs « Gascogne », du nord au sud, la forêt et les vignes du Médoc, le Bordelais, les landes de Gascogne que se partagent la Gironde et les Landes, les coteaux de Chalosse et du Gers, cœur historique de la région, et enfin les Pyrénées. Ses atouts culturels, naturels et touristiques sont considérables, et l’Aquitaine, notamment avec ses plages de la côte d’Argent, attire de nombreux Européens.
Le parc naturel régional des Landes de Gascogne
Destinée à assécher les marais, cette forêt est essentiellement plantée de pins maritimes, et se répartit pour l’essentiel entre les Landes et la Gironde. Ces deux départements se partagent d’ailleurs un territoire classé, le parc naturel régional des Landes de Gascogne. Le folklore local présente dans le cadre des fêtes de pays les échassiers, ces bergers gardiens de troupeaux, bien arrimés en hauteur sur leurs échasses, et les gemmeurs ou encore résiniers qui récoltent l’oléorésine sur un pin naturellement vivant. Au-delà de cette réserve naturelle, les Landes de Gascogne s’étendent des forêts du Médoc à l’Adour au sud.
La vitalité du tourisme balnéaire et culturel
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Des plages du Médoc à celles des Landes, en passant par le bassin d’Arcachon, l’offre balnéaire de plus de 200 kilomètres de plages de sable blond et de dunes de l’Atlantique est tout simplement époustouflante. Soulac, Lacanau ou Montalivet sont admirables dans le Médoc alors que le bassin d’Arcachon, avec le Cap-Ferret et la dune du Pilat, est célébrissime dans le monde. Plus au sud, les grands lacs landais et l’immensité de l’océan atlantique complètent cette incroyable palette de loisirs à la haute saison, sans omettre l’époustouflante et préservée haute montagne pyrénéenne. L’histoire particulièrement riche de la Gascogne propose aussi des sites remarquables, notamment les bastides de la Gironde et des Landes, des pays de Garonne et de l’Albret à l’arrière-pays gersois. Ces villes furent construites en plan carré régulier, parfois circulaire, aux 13° et 14° siècles, souvent à l’issue des croisades contre les Cathares. La vitalité gastronomique des pays gascons est exceptionnelle, du nord au sud de la région avec les huîtres du bassin d’Arcachon, les cèpes de Bordeaux, le foie gras des Landes et du Gers, arrosés des crus bordelais prestigieux, mais aussi de vins de pays surprenants, comme le Tursan, le Madiran ou le Buzet. Et comme le dit ce proverbe gascon inspiré, « Orage d’août, grosses grappes et bon moût »…
Redevenue à la mode, la Gascogne suscite de nos jours un nouvel engouement sans précédent, pour l’essentiel lié à la richesse de son histoire frondeuse, à sa qualité de vie, à la diversité de ses paysages et à son climat généreux. Il y a désormais une prise de conscience et une volonté pour les gens du Sud-Ouest d’exprimer et d’afficher leur « gasconitude ». Ici et là, des initiatives ambitieuses sont impulsées pour encourager et renforcer la connaissance de l’occitan, sans oublier de toujours promouvoir les fêtes de pays, fortement imprégnées de l’identité et de la culture gasconne. Mais plus que jamais, au son des bandas et « avé l’assent ».
Philippe Estrade auteur-conférencier
Pluton-Magazine/2020
Je ne suis jamais la même après avoir reçu tes cours d’Histoire cher Maître !!!
Merci pour celui qui te touche plus fort encore !
Marie July
Un grand bravo pour cet article qui reflète les grandes connaissances de l’auteur Philippe Estrade, et de l’intêret qu’il porte à cette région dont il dévoile tous les secrets avec une verve enchanteresse,
Ce sera probablement une question inattendue. Je sais qu’on a traduit en gascon Le Petit Prince et je me demandais si quelqu’un songe à en faire une version audio. Je suis votre premier acheteur.