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Par Danielle Maurel
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Il y a du roman social qui plombe, qui fait chialer, du roman poisseux qui donne envie d’aller se pendre dans un ciel si bas, etc, etc.
Et puis il y a Mobylette, de Frédéric Ploussard, une sacrée étincelle jaillie dans le ciel de la rentrée littéraire. Un roman qui fait rire à gorge déployée alors qu’il pourrait – devrait – faire pleurer.
Ceci ne retire rien à la qualité de romans parus précédemment, on pense bien sûr à « Leurs enfants après eux » de Nicolas Mathieu (Actes Sud, 2018) ou « Ce qu’il faut de nuit » de Laurent Petitmangin (La Manufacture des livres, 2020). Ou le très tendre « Danse avec la foudre » de Jérémy Bracone (Iconoclaste, 2021). Oh, que non ! Respect à ces trois-là, et à d’autres.
Seulement voilà, il y a parfois une certaine joie à se dérouiller les zygomatiques, à désamorcer la morosité ambiante, à rire des misères et des bassesses humaines. À trouver dans la dérision un appel d’air, une bienvenue respiration.
Mobylette dégoupille à chaque tournant de paragraphe une sacrée grenade d’humour qui pète à la gueule du lecteur, et ce dernier en redemande ! Pourtant il n’y aurait en principe pas de quoi rire. Campons le paysage de ce premier roman : une petite ville, ses notables et son improbable Cité radieuse, un pays ravagé par la désindustrialisation, un foyer pour adolescents difficiles (doux euphémisme) dont l’appellation – la Dent du diable – est en soi tout un programme.
Educateur spécialisé à la Dent du diable, Dom est mal dans sa vie, dans sa peau, dans son métier. Trop grand, mal ou trop peu aimé, il traîne sa carcasse entre ses ados déchainés, son épouse désabusée et le métier de père pour lequel il n’a pas trouvé – c’est le moins qu’on puisse dire – de modèle positif auprès de son propre géniteur.
Au début du roman, il est assis sur un de ses « protégés » (lui aurait sans doute autant besoin qu’eux qu’on vole à son secours), seule méthode pour empêcher une explosion de violence. C’est qu’il ne maîtrise pas grand-chose et il tente de s’accrocher au mantra répété par un collègue : de l’écoute et de l’amour, voilà ce qu’il faut. Même si ses ados énervés sont capables de détruire le cinéma où il les emmenés pour une séance qui vire au cauchemar ou s’il faut se coltiner le voisin dont les mêmes ados se plaisent à décapiter les poulets.
Roman social, oui, car il dit la violence à tous les étages, la maltraitance généralisée, les bagages familiaux trop lourds à porter, l’impossible insertion d’enfants passés trop souvent par la case désespoir. Le désamour à la fois sociétal et familial. Une société à côté de ses pompes et des familles qui en rajoutent dans le noir. Dom baigne ainsi dans une ambiance plus que frustre. Reproches, punitions, frustrations… Lui qui rêvait – c’était de son âge – d’une mobylette se voit offrir à Noël un pouf qui traînait à la cave !!!
Tragi-comique, loufoque, déjanté, Mobylette distille pourtant, derrière les péripéties délirantes, son petit message de résistance face à la défaite programmée. Et un penchant pour la tendresse qui pousse vaille que vaille dans le chaos ambiant. Salué par le prix Stanislas, ce premier roman parle aussi, heureusement, de solidarité et d’amitié. Et du courage qu’il faut pour, malgré tout, garder le cap de la vie.
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Par Danielle Maurel
Pluton-Magazine/ 2021/ Paris16.