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Selon Kandinsky, un art qui ne recèle pas en lui des forces d’avenir, c’est-à-dire un enfant de son époque et rien de plus, est un art castré et qui ne dure pas. L’art véritable recèle en lui une « force prophétique d’éveil ». Il participerait ainsi de la vie spirituelle orientée vers la connaissance. L’artiste serait « le voyant », lequel, grâce à la force mystérieuse implantée en lui, tire « en avant et vers les hauteurs le lourd et inerte chariot de l’humanité entravé par les pierres ».
Le Divin a créé l’univers, avec ses planètes, sa nature et ses êtres vivants. Parmi ces derniers, il a créé l’Homme à son image : « l’âme est le souffle du Divin dans le corps humain. » Et notamment, l’âme de l’artiste est un réceptacle de la lumière créatrice, énergie motrice de la force créatrice. Inconsciemment, dans sa création plastique, l’artiste puise dans cette lumière créatrice éternelle…
Il arrive quelquefois que l’on réagisse de façon émotionnelle intense à l’écoute d’une mélodie musicale. La raison en est que l’âme a été touchée au plus profond de son secret tant cette mélodie a réussi à atteindre un degré très élevé d’équilibre et d’harmonie. L’âme est très sensible au langage de l’harmonie et de l’équilibre, raison pour laquelle on dit : “ L’art est un langage de l’âme, il ne peut être compris que par l’âme”. Si la musique classique ou instrumentale fait réagir nos émotions, c’est parce que, tout d’abord, elle constitue la forme artistique la plus abstraite. Elle a le pouvoir de mettre nos âmes en contact avec une esthétique sonore invisible. En outre, l’absence de la matière consolide son caractère spirituel ; or, seul le son des instruments nous parvient. La peinture abstraite, quant à elle, est une musique picturale qui rend visible, par le biais de la matière, cette relation spirituelle avec l’irrationnel et l’invisible.
Depuis la nuit des temps, la création s’est toujours faite à partir du néant et de l’invisible. Étant donné que l’Homme fait partie intégrante de la nature et de l’univers. L’artiste ne peut créer que selon ce principe : réaliser à partir du néant et du plus profond de sa pensée. C’est ainsi que l’artiste peut comprendre le mystère de la création et s’élever vers l’idéal de la lumière créatrice dans laquelle il puise. À ce titre, l’art abstrait pourra mener à la compréhension de la loi générale de l’univers et la rendra évidente. Ce que Wassily Kandinsky appelle « La nécessité intérieure », c’est un leitmotiv dans la création de l’artiste selon lequel l’apparition d’une œuvre d’art ne doit plus dépendre des conditions extérieures comme le modèle naturel.
Le cercle est la forme la plus appropriée pour schématiser la notion de “la nécessité intérieure”. Le point central du cercle évolue vers l’extérieur à travers ses nombreux rayons auxquels il doit son rayonnement, son développement, son agrandissement et sa réalisation. Le cercle et ses rayons naissent à partir du point central, ce qui nous amène au constat suivant : la forme du cercle trouve son origine dans son point central, dans son intérieur, la véritable création se fait selon le sens intérieur-extérieur, de l’invisible vers le visible, du néant vers l’existence.
En revanche, à partir du contour du cercle, les rayons convergent vers le centre et vers un seul point, c’est un cheminement de l’extérieur vers l’intérieur, du visible vers l’invisible, du matériel vers l’immatériel. Si l’on considère que le point central est le début de la création du cercle, on peut dire aussi qu’avant l’existence de ce point, il n’y avait rien, c’est le vide et l’invisible. Ainsi, et de façon naturelle, dans la création de l’Homme, le fœtus se crée, se développe à l’intérieur du ventre de celle qui le porte pour évoluer vers l’extérieur et non le contraire…
Ulrike Becks-Malorny déclare à ce propos : « Ce qui est déterminant dans la genèse d’un tableau, c’est la voix intérieure de l’artiste ». Or, tout ce qui existe commence par germer dans l’obscurité avant d’apparaître à la lumière, nous dit Nietzsche…
L’âme de l’artiste est réceptrice des rayons de la lumière créatrice qui détient le secret de l’harmonie et de l’équilibre, éléments fondamentaux de toute création artistique. C’est par le biais de cette dernière que le Divin transmet le secret de l’esthétique absolue ; c’est le souffle de la création artistique à travers l’âme qui en est dépositaire. Les formes et les couleurs y sont immatérielles et invisibles, elles parviennent à la pensée créatrice de l’artiste censé les traduire de l’invisible au visible, de l’immatériel au matériel, de l’irréel au réel. Sa mission consiste donc à rendre visible l’invisible, à réaliser ce que la lumière créatrice révèle à son âme comme compositions harmonieuses ; raison pour laquelle, dans la réalisation de sa création, l’artiste a le devoir d’obéir à ce pouvoir du spirituel. Les lois de la nécessité intérieure sont appelées spirituelles. On retrouve la même théorie dans le suprématisme qui fut formulé par le peintre Kasimir Malevitch (1878-1935), lequel réalisa en 1913 sa première composition suprématiste, Carré noir sur fond blanc (Musée d’État russe, Saint-Pétersbourg). Il souhaitait exprimer «le sentiment artistique pur!», au-delà du monde des apparences. Pour lui, le suprématisme devait rompre non seulement avec toute représentation de la réalité extérieure, mais avec tout art visant à exprimer les sentiments de son créateur. À l’instar d’autres adeptes de l’abstraction géométrique, tel Mondrian, Malevitch fut vivement intéressé par l’expression d’une réalité spirituelle au-delà de la réalité physique. De ce point de vue, le carré noir de sa première œuvre suprématiste n’était pas vide, comme le prétendirent les critiques, mais «rempli de l’esprit de la sensation non-objective».
L’œuvre véritable naît de l’artiste se construit au plus profond de sa pensée dans la dimension invisible de son âme, elle fait son cheminement à partir de l’infiniment invisible jusqu’au seuil du visible.
Dans son livre Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier, Kandinsky déclare que l’œuvre d’art doit servir le développement et l’affinement de l’âme humaine, car l’art est le pain quotidien de l’âme. L’artiste, poursuit Kandinsky, sait que « Le travail qu’il doit accomplir devient souvent sa croix. Il doit savoir que chacun de ses actes, chacun de ses sentiments et de ses pensées, constitue le matériau subtil et impalpable, mais cependant solide, à partir duquel naissent ses œuvres, et que s’il n’est pas libre dans sa vie, il l’est seul dans son art. »
La peinture abstraite est une écriture dont l’alphabet se compose d’une infinité de formes et de couleurs. Contrairement à l’alphabet littéraire qui, lui, avec ses voyelles et ses consonnes, s’adresse à l’intellect, au compréhensible, ce qui lui vaut une tâche rationnelle, la peinture abstraite, quant à elle, avec ses formes et ses couleurs, s’adresse à l’âme. Elle n’est pas lue et encore moins comprise, elle est sentie, elle a pour tâche de rendre visibles des formes et des couleurs incomprises et irrationnelles, son langage, uniquement intelligible par l’âme, est susceptible de renforcer son caractère transcendant.
Mais l’on peut cependant se poser quelques questions : la forme sphérique représente-t- elle une certaine suprématie par rapport aux autres formes, en l’occurrence le cube et la pyramide ? Etant donné que cette dernière a été privilégiée dans la création du monde, n’est-elle pas le symbole de l’équilibre, de l’harmonie, du mouvement et de la vie ? Et de ce fait, peut-elle être le trait d’union entre la création et l’âme ? Autrement, peut- on dire que la forme sphérique est plus proche du divin, que la forme cubique est plus proche de l’humain et que la forme pyramidale est une liaison « assomptionnelle » entre les deux ?
L’âme ne serait- elle pas présente dans toutes les étapes de la création du monde, du mouvement réel des planètes et, en l’occurrence de la terre, jusqu’au mouvement figé de l’œuvre d’art, souffle de l’Homme – l’artiste créateur dans la matière ?
Rédacteur Nadim Rachiq
Coucher sur le silence
Envouter par les cercles
Mais surtout par son centre
Je me lève pour écouter encore plus
Le pluriel du silence
Les pulsations des battements
Les blessures sans pansement
Je me gifle par souvenir
Que j’encercle avec passion
Il ne me reste qu’à y étendre
L’essence noire et son froid
Qui inonde les couleurs
Qui efface sans décibel
Et sans appel
Ces formes
Dans une seule
Un point
Sans point de vue
Un point final
Qui dictera la fuite
La suite
Je peux maintenant parler
Et même tout dire
M’étourdir
Vous entourer d’apparence
De transparence
De tempête
Et de tout
Les tourments qui tournent
Et se remplissent
Réjean Desrosiers ( Réj Rosiers ) © 2016 04 09 001