Profond.
La pièce écrite en 1888 par le grand auteur August Strindberg relate comment l’ex-mari d’une femme éprise de liberté, devenue romancière à succès, manœuvre le nouvel époux en lui faisant douter des sentiments et de la fidélité de sa femme. Il s’agit d’un triangle amoureux où il est question de manipulation, de jalousie, de vengeance et de sentiments fondateurs, à savoir la passion et l’amour.
La pièce Les Créanciers suppose que l’amour, tel une monnaie, n’est pas gratuit et laisse des créances dans le cœur des amants.
Le texte du dramaturge suédois est sublime. Tel un métronome avec la précision d’une fine lame, August Strindberg propose des dialogues profonds, pénétrants, d’une poésie et d’une justesse implacables. La mise en scène de Fréderic Fage s’y ajuste parfaitement : l’adaptation est moderne par ses différents choix. D’abord par les costumes(de la marque The Kooples), ainsi que la musique (Roxanne de Police version Moulin Rouge) et des rôles masculins (jeunes éphèbes branchés du Marais) incarnés par Julien Rousseaux et Benjamin Lhommas. Le classicisme est aussi représenté par le rôle féminin qui se pare d’atours façon XIXème siècle. Le subtil mélange des deux est une réelle réussite.
Les trois comédiens ne sont pas en reste : Maroussia Henrich qui interprète Tekla est saisissante de justesse. A la fois dangereuse et fragile, la comédienne incarne son personnage avec majesté, donnant à voir une palette de jeu d’une grande complexité. Une actrice dont la renommée est à venir…
Benjamin Lhommas incarne aussi parfaitement son rôle de stratège cynique. Et Julien Rousseaux, bien qu’un peu plus inconstant dans le jeu, s’en sort plutôt en mari affaibli par cette union toxique mais addictive. La chorégraphie mystérieuse et sensuelle symbolise parfaitement l’atmosphère de la pièce.
André Breton, qui vouait une très forte admiration à la pièce, aurait, gageons-le, fort aimé cette adaptation de Frédéric Fage !
Les Créanciers
d’August Strindberg
Mise en scène Frédéric Fage
du mardi au dimanche à 15h et 21h
Studio Hébertot
72bis Bld des Batignolles
75017 Paris
Note Plutonesque} 🙂 🙂 🙂
Perchés…
Dans la petite salle du théâtre Le Lucernaire, à 19h, il faut monter « au Paradis » pour avoir la chance de voir une merveilleuse pièce de Stanislav Stratiev, un auteur bulgare, déniché par Tchavdar Penchev, l’un des trois comédiens de cette petite folie. N’ayez donc aucune peur m’sieurs-dames. Point d’ennui ici, c’est une pièce excellemment interprétée et intelligemment mise en scène par Sophie Accard.
L’architecte Stilianov a décidé de changer de vie : Il s’opposera dorénavant à l’édification d’immeubles lamentables. Mais en se rendant à la réunion où il exposera son refus, il perd le bouton de son pantalon. Catastrophe ! Le pantalon lui tombe aux chevilles. A demi dévêtu, a-t-il une chance de se faire entendre ?
Ce pitch ne vous éclaire pas ? N’y prenez pas garde, l’aliénation et la loufoquerie sont de mise et l’on ressort de ce spectacle ravi d’avoir acheté sa place. Pourquoi ? C’est très simple :
Pour les performances de Sophie Accard et Tchavdar Penchev, excellents dans les multiples rôles qu’ils coiffent avec une justesse et une drôlerie sans faille. Léonard Prain qui interprète cet architecte intellectuel, confronté à l’enfer de l’absurdité, n’est pas en reste. Il tient son rôle jusqu’au bout et illustre parfaitement la pusillanimité de son personnage.
Pour le décor et la scénographie de Blandine Vieillot, ils paraissent complexes mais sont astucieux et reflètent admirablement l’univers de cette urbanité délirante.
Pour la lumière séduisante, les clairs-obscurs subtils et très réussis de Kévin Hermen et Sébastien Lanque.
Mais aussi pour la musique de Cascadeur, originale et enivrante.
Avec une fausse désinvolture, la pièce pointe le doigt sur les infirmités d’un monde coercitif et dépeint les interrogations d’un intellectuel asphyxié par son environnement.
A voir, vous dis-je !
La vie bien qu’elle soit courte !
De Stanislav Stratiev
Mise en scène Sophie Accard
Du mardi au samedi à 19h
Théâtre Le Lucernaire
53, Rue Notre-Dame Des Champs
75006 Paris
Note Plutonesque} 🙂 🙂 🙂 🙂
Manimal!
Le public est immédiatement plongé au cœur de la torpeur ! La petite salle en pierre de taille du Théâtre de Poche Montparnasse se prête vraiment à l’immersion portée par Alexis Moncorgé. Adaptant la fameuse nouvelle de Stephan Sweig, le comédien, seul en scène, animal prêt à bondir de la cage de votre imaginaire, vous fera d’abord alanguir avant de vous dévorer à grands coups de crocs dramatiques !
Après avoir tout perdu en Europe, un médecin décide de partir en mission en Malaisie. Un jour, une femme blanche voilée vient jusqu’à son domicile pour lui demander assistance. Un jeu se met alors en place entre les deux protagonistes pour savoir lequel prendra le pouvoir sur l’autre et lequel perdra la face en premier.
Le décor et le début du récit d’une sobriété monastique peuvent effrayer au premier abord. Mais après une quinzaine de minutes, l’acteur et son jeu, suivis par la mise en scène de Catherine Darnay s’emballent tout à coup. La lumière et la musique s’enfièvrent. L’interprète exécute une danse ou devrait-on dire une transe. Il donne enfin à percevoir au public ce qu’est l’Amok ! Mimant une course-poursuite, un combat, prenant la voix, le corps de plusieurs personnages, les pulsations du cœur comme le rythme du récit s’accélèrent, mettant son auditoire en suspension. Alexis Moncorgé évolue sur une corde raide. Il s’en faudrait de peu pour chuter. Mais il réussit finalement à gagner de l’équilibre et rendre l’ascension de son adaptation assez captivante.
Pour son intérpétation, Alexis Moncorgé a été nominé aux Molières 2016 dans la catégorie « Révélation masculine ».
Amok
De Stefan Sweig
Mise en scène Caroline Darnay
du mercredi au dimanche à 17h30 et 19h
Théâtre de Poche Montparnasse
75 Bld du Montparnasse
75006 Paris
Note Plutonesque} 🙂 🙂