ENTRE LES LIGNES -G1- : L’Appel des odeurs de Ryoko Sekiguchi

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Par Dominique LANCASTRE

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Publié au premier semestre de cette année, L’Appel des odeurs a tout à fait sa place en cette rentrée littéraire 2024. Ryoko Sekiguchi nous invite à prendre conscience de l’importance de l’odorat à travers cette œuvre présentée sous forme de nouvelles, mais des nouvelles un peu particulières qui font penser à des carnets de voyage. En effet, les premiers écrits de L’Appel des odeurs ont pour origine un feuilleton publié durant l’été 2022 dans le journal La Croix.

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[…] La solitude était aussi apaisante et délicieuse que le parfum léger et doux du printemps précoce qui se dégageait de la marmite […]

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Nous apprenons beaucoup de choses sur l’odorat à travers les siècles, car chaque nouvelle histoire nous renvoie à des références historiques et littéraires d’une grande utilité. Alors que nous accordons peu d’importance à l’odorat, les références historiques soulignent comment les odeurs ont toujours été un sujet de préoccupation pour les humains depuis la nuit des temps.

L’odorat comme les autres sens tient une place importante dans notre vie. Mais, il n’est pas aussi visible que les autres sens. La peur de plus entendre et de ne plus voir peut entraîner une certaine panique chez nous. Mais avons-nous déjà pensé à une vie sans odeur ? Ne plus sentir les mets que nous préparons, ne plus sentir l’odeur des autres qui nous entourent, ne plus sentir notre odeur corporelle. L’anosmie est aussi inquiétante que la surdité, la cécité, l’agueusie ou l’hypoesthésie.

C’est donc ce grand travail de recherches que l’autrice partage avec nous, d’une façon extraordinaire d’ailleurs. Des recherches qui ne nous laissent pas, nous les lecteurs, indifférents. Les annotations ne sont pas toujours répertoriées, mais la structure du carnet nous guide. Il est plus important pour le lecteur de les assimiler que de se référer à leurs origines.

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[…] Parfois, on tombe sur de vieux livres qui sentent la terre, le moisi, ou le papier en décomposition, parce qu’ils ont été longtemps délaissés, dans une maison de campagne ou au fond d’un carton. Pourtant, ce n’est pas le destin de tous les vieux livres que de sentir mauvais, ils peuvent connaître un sort différent. […]

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Ryoko Sekiguchi nous parle de choses que nous connaissons tous. Des petites scènes, des anecdotes, des situations bien réelles, de livres, tout est lié aux odeurs. De la terre mouillée en passant par les plantes, les fleurs, les odeurs corporelles et bien d’autres, Ryoko Sekiguchi ensorcelle le lecteur avec l’Appel des odeurs. Il est facile de tomber dans l’obsession des odeurs en lisant ces histoires, car l’autrice réveille en nous ce sens bien caché.

Les personnages ne sont pas nommés même si nous en sommes en présence d’un personnage féminin qui n’est pas le même dans chaque histoire. On pourrait même se demander si les femmes sont plus sensibles aux odeurs que les hommes. Une technique qui permet aux lecteurs de s’approprier les personnages énigmatiques.

Ryoko Sekiguchi raconte les odeurs en nous invitant à des questionnements. Des questions rhétoriques, mais aussi des questions que seul le lecteur peut avoir les réponses. Ces questions arrivent en fin de chaque histoire et laissent une grande liberté aux lecteurs.

L’autrice qui d’habitude nous enchante avec ses ouvrages sur la cuisine et de belles recettes en perspectives signe un texte complétement différent dans un style bien à elle et où la poésie n’est jamais très loin. On perçoit même un peu de Soseki, auteur japonais incontournable, dans sa façon de présenter certaines nouvelles. Elle touche donc la sensibilité du grand lecteur qui savoure à chaque page les informations qu’elle distille.

Ryoko Sekiguchi est aussi enseignante et il y a donc cette volonté d’étayer ce qu’elle nous transmet par des précisions et des annotations abondantes qui n’alourdissent pas les textes. Bien au contraire, le lecteur est comblé par cet enrichissement littéraire et ce voyage littéraire. L’autrice passe d’une ville à l’autre, car chaque pays, chaque ville à une odeur. Genève, Los Angeles, Helsinki, New York, à Grenade ou au Japon, les odeurs sont omniprésentes.

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[…] Dans cette chambre blanche où elle ne sentait rien, elle observait tout ce qui aurait dû diffuser une odeur. Les fleurs et les plantes sur le balcon, les aliments dans le réfrigérateur. Les catalogues de natures mortes, avec gibiers, poissons, homards, légumes et autres fleurs, qui, eux aussi, devaient dégager des odeurs. […]

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Si l’odorat n’a jamais suscité en vous un intérêt particulier, l’Appel des odeurs est l’ouvrage pour vous guider. C’est un livre que nous avons envie de garder dans notre bibliothèque, de le ressortir de temps en temps pour une relecture. En faisant l’éloge des odeurs, l’autrice nous invite à nous réconcilier, à découvrir ou redécouvrir nos sens qui tous sont indissociables. Lorsque l’odeur disparait, c’est tout un monde qui disparait avec. L’odeur des êtres chers disparait avec eux, laissant en nous un grand vide. Si seulement nous pouvions garder ce souvenir, alors notre chagrin serait atténué. Ce merveilleux carnet de voyage olfactif aux allures de nouvelles enchantera tout un chacun. Bravo à l’autrice !

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Dominique Lancastre

Pluton Magazine. Entre les lignes 2024.

Résumé

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« Elle était emportée par cette extase particulière à ceux qui hument, les odeurs emplissaient son corps entier, au point qu’elle aurait voulu devenir flacon pour renfermer ce parfum qu’elle composait avec son corps. Elle ne s’était pas rendu compte qu’elle écrivait dans une langue olfactive. » L’odeur du lait caillé. L’odeur de la peau humide. L’odeur de foin en décomposition. L’odeur des vagues. L’odeur indigo de l’encre. L’odeur du fenugrec. L’odeur de la faim. L’odeur d’une voix. L’odeur d’une histoire. L’odeur du mensonge. L’odeur d’une ombre. L’odeur d’un enfant. L’odeur du pressentiment. L’odeur d’un amour. L’odeur d’un tableau. L’odeur d’une séparation. L’odeur de la disparition. L’odeur du premier mot.

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ISBN 9782818060117 Editions P.O.L 20 euros

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