LE PORTUGAL DES DÉCOUVERTES, PREMIÈRE PUISSANCE MARITIME DU MONDE…

Par Philippe Estrade- Auteur conférencier

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Quand on évoque les grandes puissances européennes dans l’histoire, le Portugal n’apparait pas à priori comme la nation qui jaillit immédiatement dans la mémoire collective comme l’Angleterre, la France, l’Autriche-Hongrie ou l’Espagne. Pourtant, ce pays fut le maître du monde et des mers entre le 15e et le 17e siècle. Le Portugal, fort de sa flotte innovante et du courage de ses marins, a partout installé des comptoirs, de l’Afrique à l’Asie puis à l’Amérique du Sud avant de connaître un déclin, notamment lors de l’industrialisation du vieux continent au 19e siècle dont il est longtemps resté à l’écart.

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UNE NATION D’ABORD MOTIVÉE PAR LE COMMERCE INTERNATIONAL

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Au tout départ, les Portugais juste sortis de l’épopée de la Reconquista ont souhaité poursuivre et accélérer ces succès au-delà de la Méditerranée, en terre africaine et limiter ainsi l’influence grandissante de l’Empire ottoman particulièrement dynamique et performant dans le commerce international. C’est grâce au Portugais que d’énormes progrès techniques en matière de navigation purent encourager les vocations à sillonner les océans du monde avec succès. Des avancées scientifiques ont permis aussi de mieux appréhender l’astronomie alliée des marins et la généralisation d’une cartographie désormais plus pertinente.

15e et 16e siècle, l’apogée du royaume

Un souverain a dominé avec brio ce début du 15e siècle, Jean 1er qui a promu l’autorité et l’hégémonie portugaise sur toutes les mers du monde malgré la concurrence et la menace espagnole. C’est sous son règne que la volonté de conduire une politique ambitieuse et expansionniste fut impulsée et confiée à la gouvernance de l’Ordre du Christ, héritage portugais des Templiers, sous l’autorité de son fils Henri le Navigateur qui chercha un accord avec les nations de l’Est africain pour fragiliser les ambitieux Turcs ottomans.

Le Portugal impose des comptoirs autour du continent africain

Le 15e siècle est un siècle d’or pour le Portugal à l’abri des conflits qui pouvaient toucher l’Europe du Nord. Il mit ainsi à profit son relatif éloignement du cœur de l’Europe et de son agitation politique pour avancer ses pions autour du monde. Les premiers comptoirs africains apparurent autour de 1445, au Cap-Vert et au Sénégal avec une méthode ferme, l’aménagement d’un port protégé par un fort. Pedro Escobar accompagné de Santarém atteignit la Cote de l’Or, c’est-à-dire tout le littoral africain de la Guinée à l’actuel Ghana et fixa partout des comptoirs pour commercer et alimenter Lisbonne et les ports portugais. Parallèlement, les vaisseaux portugais sillonnaient l’autre bout du monde du Groenland à Terre-Neuve, porte du Canada où ils renoncèrent à se fixer face aux ambitions françaises. À partir de 1483, toute la côte ouest-africaine était sous contrôle du Portugal jusqu’en Namibie atteinte en 1486, en passant par l’Angola, le Gabon et le Congo. Alphonse V qui a régné sur le Portugal fut d’ailleurs appelé l’africain, car c’est sous son règne que le Cap-Vert, Madère, les Açores et l’ile de Gorée au Sénégal sont tombés sous l’autorité portugaise avec également la prise de Tanger.

Bartolomeu Dias au Cap de Bonne Espérance

En franchissant le cap de Bonne Espérance en 1488 et en contournant le continent africain, Dias ouvrit la voie aux conquêtes portugaises sur une grande partie de la côte est. Cette expédition fut capitale pour Dias et le royaume du Portugal, car elle permit la perspective d’un débouché vers les Indes dont les richesses insoupçonnées attisaient bien des ambitions. Le Mozambique, mais aussi le Kenya d’aujourd’hui, atteste de la vitalité portugaise, notamment à Mombassa sur la côte de l’océan Indien qui abrite un fort Portugais et de nombreux vestiges lusitaniens.

L’objectif des Indes avec Vasco de Gama

Alors que Christophe Colomb fut rentré d’Amérique ou plutôt des Grandes Antilles en 1493 et eut remis les terres découvertes au roi du Portugal en vertu du traité d’Alcáçovas qui partageait les territoires d’outre-mer entre la Castille et le Portugal, Vasco de Gama entreprenait lui sa découverte des Indes en 1498 et revint l’année suivante chargé d’une cargaison de poivre précise la chronique, des épices sous contrôle des redoutables Vénitiens alors maîtres du commerce.

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DES SOUVERAINS PUISSANTS POUR UN PORTUGAL INÉGALÉ EN EUROPE

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Le royaume portugais affichait alors une boulimie de découvertes générant les soumissions des autochtones et un appétit considérable à dominer l’outre-mer. Seule l’Espagne parvint à l’époque à entraver les ambitions du Portugal et déjouer son hégémonie mondiale sur les mers du monde entre le15ème siècle et 16e siècle. Alors que Français et Anglais notamment commençaient à peine l’aventure sur les océans, le royaume du Portugal avait déjà ficelé un solide empire colonial impulsé par des souverains particulièrement ambitieux. Oppression des populations autochtones et esclavage par l’intermédiaire des marchands arabes devinrent une terrible perspective pour les peuples soumis.

Le partage du monde au traité d’Alcáçovas

Espagnols et Portugais se livrèrent une redoutable compétition pour la conquête du monde. C’est en 1479 qu’est signé le traité d’Alcáçovas entre les Rois Catholiques d’Espagne et les émissaires du souverain portugais. Le traité qui partageait le monde entre les deux puissances du sud de l’Europe a résolu également une question politique majeure, l’arrêt du conflit entre les deux nations relatives à la succession au trône de Castille qui impliquait Portugais et Espagnols entre Isabelle la catholique, épouse du roi d’Aragon et sa demi-sœur Jeanne, mariée à Alphonse V roi du Portugal. En renonçant aux iles Canaries au profit des Castillans, les Portugais obtinrent Madère, le Cap-Vert, les Açores et la côte africaine jusqu’à la Guinée, s’engageant cependant à ne plus naviguer au sud du 27e parallèle. Des bulles du pape Clément V avaient stipulé que le Portugal d’Alphonse V pouvait soumettre et réduire en esclavage les gens du désert et les noirs des territoires conquis, ce qui déroute terriblement pour un homme d’Église.

Jean II et Manuel 1er, l’apogée portugais

Le règne de Jean II est principalement marqué par la pénétration portugaise dans le bassin du Congo et la colonisation de Sao Tomé-et-Principe, un état insulaire africain proche de l’équateur. C’est en revanche l’aventure du Cap de Bonne Espérance en 1488 par Bartolomeu Dias ouvrant la navigation vers l’océan Indien et les Indes plus tard qui a marqué le prestige du roi Jean II. Mais c’est surtout sous Manuel 1er qui a succédé à son cousin Jean II que la route des Indes se révéla la voie du commerce par excellence pour le Portugal alors que le Brésil devenait portugais après que les Français partiellement présents eurent été chassés de ce nouveau territoire lusitanien dans la baie de Rio, qu’ils avaient baptisé France Antarctique. Ce début du 16e siècle sous Manuel 1er fut éclatant pour l’architecture portugaise qui développa alors un style magistral et solennel en prolongement du style gothique flamboyant tardif au Portugal. L’architecture manuéline était née et marqua l’apogée du pays.

Le Portugal et l’Espagne se partagent le monde à Tordesillas

Le traité de Tordesillas signé en 1494 sous l’autorité du pape Alexandre VI a partagé le monde entre une zone réservée au Portugal et une autre zone affectée à l’Espagne, précisément à l’union des dynasties d’Aragon et de Castille dans le cadre des grandes découvertes. Les terres vierges qualifiées de « terra nullius » en latin, territoires nouveaux devinrent des possessions pour l’un ou l’autre de ces deux grands pays européens, les seules puissances coloniales à cette époque, selon l’accord de Tordesillas.

L’Extrême-Orient avec Jean II le Pieux

Avec Jean II le Pieux, second fils de Manuel 1er, le 16e siècle marqua l’acquisition de nouvelles colonies en Asie, précisément en Extrême-Orient où les colons portugais s’installèrent, notamment aux Indes à Bombay et Macao sur la côte chinoise, un comptoir restitué récemment à la Chine en 1999 marquant la fin d’une présence coloniale de plus de 442 ans.

Le style manuélin, l’éblouissante architecture gothique portugaise

À Tomar, à Batalha ou encore à Belém, le quartier lisboète sur les bords du Tage, on découvre une exceptionnelle architecture gothique au particularisme portugais liée aux grandes découvertes et impulsée par le roi Manuel 1er. Nervures, piliers en spirales époustouflantes, cordages et ancres, notamment les sculptures de la célébrissime fenêtre manuéline de Tomar, nœuds, balustrades éblouissantes, fleurs de lys et pinacles ciselés comme une broderie, constituent un style caractéristique étourdissant.

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L’UNE DES PLUS BELLES HISTOIRES D’AMOUR DE TOUS LES TEMPS

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L’histoire d’amour de Dom Pedro, héritier du trône du Portugal sous Alphonse IV, avec Inès de Castro, dame de compagnie de Constance de Castille, constitue l’une des plus belles histoires d’amour de tous les temps qui a aussi inspiré bien des auteurs, dont Henri de Montherlant dans « la reine morte ».

L’amour caché à Coimbra

Inès de Castro, née en Galice vers 1325, se rendit au Portugal en tant que dame de compagnie de Constance de Castille qui venait épouser l’héritier du trône du Portugal, Pierre de Portugal dit Dom Pedro en 1340 dans la cathédrale de Lisbonne. Dom Pédro tomba amoureux fou de la dame de compagnie. Inès lui rendit bien cet amour avec passion et les amants durent se cacher pour éviter les colères du roi Alphonse IV qui exila la belle Inès au château d’Albuquerque, soucieux d’éviter le courroux espagnol. A la mort de Constance de Castille, Dom Pedro refusa tout nouveau projet de mariage initié par son père le roi Alphonse IV pour rester auprès de sa belle et rejoignit Inès au monastère de Santa Clara à Coimbra où ils vécurent retirés de toute vie officielle. En 1355, Alphonse IV ne s’opposa pas à l’assassinat de la jeune femme, soucieux de préserver ses relations avec l’Espagne. Dom Pedro, fou de douleur, se souleva à Porto puis succéda à son père deux ans plus tard.

La reine morte et Dom Pedro reposent face à face à Alcobaça

Après avoir avoué s’être marié en secret avec Inès de Castro, le nouveau roi Dom Pedro fit exhumer son cadavre et obligea toute la noblesse à venir déposer un baiser sur la main décomposée de la reine morte. Pour cette cérémonie, Pedro ceignit Inès d’une couronne et la vêtit d’un manteau couleur pourpre précise la chronique puis le cortège rejoignit le monastère d’Alcobaça où l’on peut voir aujourd’hui dans le cœur de la délicieuse nef gothique les deux gisants réunis pour l’éternité.

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L’histoire d’amour au romantisme pourtant désespéré d’Inès et de Dom Pedro adoucit un peu ces conquêtes et découvertes du Portugal, géant de l’histoire entre le 14e et le 17e siècle, qui ne feront pas pour autant oublier que cette domination mondiale a aussi conduit avec rudesse à l’esclavage et à la colonisation. Le Portugal de nos jours, après avoir intégré l’Union européenne, est devenu une nation sage dans laquelle il semble faire bon vivre.

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Philippe Estrade – auteur conférencier

Pluton-Magazine

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