Denis Kambouchner, spécialiste de la notion de culture nous propose dans son ouvrage L’Ecole, question philosophique [2], la classification suivante qui distingue trois grandes catégories concernant les sens du mot «culture» :
Le concept classique de la culture de l’esprit, en tant que culture personnelle, au sein duquel l’intervention de l’institution scolaire est nécessaire.
Le concept socio-ethnologique de la culture comme ensemble des représentations et des habitudes transmises à l’intérieur d’une population donnée.
Le concept transcendantal de la culture comme sphère de phénomènes et de légalités à distinguer, en rapport notamment avec la nature.
Il s’agit des trois catégories qui englobent les acceptions du mot «culture» qui nous intéressent.
Leo Strauss formulait en 1959, dans une conférence intitulée Qu’est-ce que l’éducation libérale ?, une définition de la culture sous ses deux principaux sens :
L’éducation libérale est une éducation qui cultive ou une éducation qui a pour fin la culture. Le produit fini d’une éducation libérale est un être humain cultivé. «Culture» signifie en premier lieu agriculture ; la culture du sol et de ses produits, le soin et l’amélioration du sol, en conformité avec sa nature. Le mot «culture» signifie deuxièmement aujourd’hui principalement la culture de l’esprit, le soin et l’amélioration des facultés innées de l’esprit en conformité avec la nature de l’esprit [3].
Le concept cicéronien de cultura animi : Origines et fonctions du concept
L’apparition du terme dans son sens figuré remonte au Ier siècle dans la Rome antique ; on trouve pour la première fois l’expression « cultura animi (culture de l’esprit) » dans le livre II des Tusculanes consacré à la maîtrise de la peine et de la douleur écrit par Cicéron suite à une redoutable critique de la philosophie :
Tous les champs qu’on cultive ne donnent pas des moissons, et Attius s’est trompé en disant : «le bon grain croît glorieusement par sa nature propre, si mauvaise que soit la terre où on la sème ». Tout comme un champ, si capable qu’il soit de fertilité, ne peut donner de fruits s’il n’est pas cultivé, l’âme reste stérile quand elle n’a pas été instruite. Or la culture de l’âme, c’est la philosophie. C’est elle qui extirpe radicalement les racines des vices, met les âmes en état de recevoir les semences, et leur confie ce qui, une fois développé, jettera la plus abondante des récoltes [4]
Le concept de cultura animi est celui qui modèle dans une large mesure la culture au sens de la tradition occidentale. Quoi qu’on y fasse, la cultura animi nécessite toujours la médiation de quelque pédagogue, appelé à proposer la matière, les «fruits», à l’élève. Il faudrait écarter les dérives sémantiques du terme «culture» ; en effet, le terme ne correspond pas aux «connaissances». La cultura animi implique un travail rigoureux de l’esprit, qui doit mener à une certaine disposition, à la fois éthique et intellectuelle.
Pour bien comprendre toute la portée de ce concept, il nous faut revenir à une assez ancienne origin, Isocrate, grand rhéteur et ennemi de Platon, écrivait dans l’un de ses dialogues A Nicoclès :
Cette séparation si importante entre la langue et le cœur, séparation véritablement choquante, inutile, condamnable, qui impose deux maîtres différents pour bien vivre et pour bien dire [5]
En effet, la séparation évoquée par Isocrate, c’est celle entre l’éducation morale et l’éducation oratoire. Cette distorsion radicale marque de sa difficulté toute l’histoire de l’éducation. De fait, le concept de cultura animi s’efforce de redonner vie à une unité perdue. Le concept de cultura animi, de même que son concept d’humanitas [6] (à la portée foncièrement éthique), sont des équivalents de ce que les Grecs appelaient « paideia [7] », à savoir «le traitement que l’on doit appliquer aux enfants pour qu’ils deviennent Hommes ». L’éducation cicéronienne est extrêmement exigeante, c’est bien ce que met en évidence son héritier Quintilien, auteur de L’Institution oratoire [8] : former un orateur à la fois homme de bien et habile dans l’art de la parole, n’est pas chose facile. Isocrate, quant à lui, demeure centré sur le discours. Il écrit dans le Panégyrique :
Les discours beaux et biens composés ne sont pas le partage des gens de nulle valeur, mais l’ouvrage des âmes qui pensent bien» ou encore « Nous faisons de la parole convenable le signe le plus sûr de la pensée juste. Une parole vraie, conforme à la loi, juste, est l’image d’une âme saine et loyale [9]
De fait, Isocrate accorde une importance inconditionnelle à l’apprentissage de l’éloquence. La culture de l’âme est l’étude des beaux discours. Il met en place la triple équivalence Bien parler = Bien penser = Bien faire. Cette prépondérance du discours est néanmoins à nuancer, si Cicéron nous dit : «La culture de l’âme, c’est la philosophie ». On remarque que l’éducation qu’il propose se veut assez équilibrée :
Le véritable orateur, puisque la vie humaine tout entière est le domaine où il se meut, la matière sur laquelle il travaille, aura examiné, entendu, lu, discuté, traité, agité toutes les questions qui s’y rattachent [10]
Ou encore :
«L’ensemble des choses, des vertus, des devoirs, de toute cette nature qui contient les mœurs, les esprits et la vie des hommes, voilà ce dont [la véritable éloquence] connaît l’origine, la nature et les modifications [11]
Le modèle de l’orateur cicéronien est celui qui a l’esprit critique, qui fait preuve d’une ouverture totale de l’esprit, d’une exposition de son esprit devant toute chose. Certes, l’éducation cicéronienne porte des finalités proprement rhétoriques, néanmoins, l’éducation que requiert cet orateur est très équilibrée : elle est à la fois rhétorique, littéraire, scientifique, juridique et philosophique. L’éducation cicéronienne est alors un modèle à appliquer pour le moins exigeant, mais il demeure un idéal auquel toute institution scolaire, quelle qu’en soit l’époque, doit aspirer. Il cherche à former des orateurs, certes, mais des orateurs qui soient homme de raison, homme de bien, élevés par leur obéissance à la raison et par leur volonté de se perfectionner éthiquement.
La portée rhétorique et l’importance du discours à la lumière du système éducatif français.
À la lumière de notre contexte, les finalités de l’éducation scolaire sont tout à fait différentes. Certes, si les finalités de l’éducation cicéronienne sont rhétoriques, celles retenues de nos jours sont avant tout cognitives. Si aujourd’hui, nous en sommes arrivés à un point où le discours n’est plus aussi important que dans l’Antiquité, c’est pour plusieurs raisons : la première est que, déjà à l’époque de Platon, il y avait une critique de la culture savante apparue à partir du moment où la paideia rhétorique a commencé à s’implanter. Tout ce qui est appelé à nourrir le discours n’est-il pas en vérité seulement ostentatoire ? Les âmes qui reçoivent un tel enseignement en sont-elles réellement perfectionnées? Or, nombre de penseurs ont critiqué cette portée du discours en avançant que le bon sens en était davantage corrompu, qu’il ne s’agissait que d’artifices et de faux-semblants. On trouve chez Montaigne la critique du pédantisme [12] ou encore chez Platon, dans le Gorgias [13], , la critique de la culture rhétorique et sophistique. Enfin soit ! Peut-être pourra-t-on considérer que certains récepteurs d’une telle éducation en font mauvais usage, mais quoi qu’il en soit, « tous les champs qu’on cultive ne donnent pas des moissons ».
Peut-être il y a-t-il eu démocratisation de l’enseignement, mais, on le sait depuis le XXème siècle, les plus puissantes intelligentes stagnent à l’école, ainsi que le note par exemple la plume d’Edouard Claparède, fondateur de la psychopédagogie, auteur un peu oublié sur lequel nous reviendrons plus loin. L’institution scolaire doit élever les esprits, non pas à un certain niveau, qui supposerait une prédisposition des capacités de l’école, mais au niveau que chacun, par sa propre intelligence, est capable d’atteindre. Il faut garder toute lucidité, et faire en sorte que l’éducation morale demeure malgré tout une éducation assez ouverte, non sclérosée, où chacun puisse se former en lui-même une morale particulière qui sera en cohérence avec lui-même.
Quoi qu’on y fasse, l’importance de la culture orale demeure de nos jours très présente. Et il n’est pas possible, comme le font certains professeurs, de préparer des élèves à une épreuve orale de Baccalauréat sans les exercer à cet effet. Cela témoigne déjà d’un certain manque de maîtrise d’une logique élémentaire dans une société où la communication est présente partout et porte une lourde influence. Pour accéder au marché de l’emploi, on passe par des entretiens d’embauche souvent décisifs. À l’Université, les examens oraux se multiplient et beaucoup d’élèves, en sortant du lycée, ne sont pas tout à fait à l’aise avec les exercices oraux. On peut alors s’interroger : l’institution scolaire prépare-t-elle suffisamment ses élèves à se confronter aux réalités de la vie étudiante ?
Il est clair qu’une telle faille de l’institution scolaire vis-à-vis de la culture orale est un des aspects principaux de la crise de la culture scolaire.
La postérité de l’éducation cicéronienne : l’enseignement des Jésuites et le Ratio Studiorum
Il nous faut considérer l’enseignement des Jésuites, qui prend racine au XVIème siècle, à la période humaniste et qui est en quelque sorte une application des convictions éducatives de Cicéron. Dans le Ratio Studiorum [14] (Plan d’études des collèges jésuites), on trouve une pédagogie très normative, très cadrée, très exigeante, qui dicte à la fois la mission du régent (ou du pédagogue) et celle des élèves, avec précision, beaucoup de précision. On sait par exemple que les Jésuites avaient des devoirs surveillés chaque soir, impliquant un certain niveau d’étude. Prenons par exemple une difficulté qui frappe l’enseignement prodigué au lycée actuellement : l’exercice de la dissertation.
Il s’agit d’un exercice extrêmement exigeant, qui ne peut être maîtrisé que par la répétition régulière. Aujourd’hui, on donne 3 dissertations de philosophie par an aux élèves, et on pense qu’à la fin ils obtiendront 20/20… Concernant l’éducation jésuite, on trouvait en effet une pratique régulière du théâtre, ce qui conférait une certaine maîtrise oratoire, impliquant une maîtrise de la langue.
Car, comme le prétend Erasme : « Les choses ne nous étant connues que par ces signes que sont les mots, celui qui ignore le sens des paroles doit nécessairement aussi errer à l’aveuglette, divaguer, délirer, dans le jugement qu’il porte sur les choses. » [15] Les difficultés rencontrées aujourd’hui à l’égard de la dissertation sont en partie liées à un manque de vocabulaire criant. Peut-être aura-t-on les bonnes pensées, mais encore faudrait-il être capable de mettre des mots pour exprimer ces pensées. Or, dans l’éducation jésuite, l’enseignement de la Philosophie était précédé par un enseignement de Rhétorique, qui pour le coup préparait comme il se devait les élèves à se confronter à cet exercice exigeant.
En définitive, l’on trouve quelques insuffisances par rapport à un exercice qui est décisif pour l’entrée à des concours de la fonction publique, ou des grandes écoles
1) Une langue bien trop juste, pour écrire une dissertation exigeante à la fois sur la forme et sur le fond.
2)Un exercice qui est insuffisamment répété. Cela pose encore une fois le problème des rythmes scolaires. Avant de réformer ces rythmes, il faudrait enfin instaurer une pédagogie d’envergure. Sur ce point là, le Ratio Studiorum enseigne à ses premiers élèves au début du XVIème siècle : « La voix vibrante du maître, voilà votre commentaire ! Plus de dictées, mais des notes que vous relèverez pendant son discours puis, à la place des 8 ou 10 heures stériles qu’il vous faudrait pour tout apprendre par cœur, 2 ou 3 heures de sérieuse méditation personnelle sur le texte ou la leçon. »
À cet égard, il existe plusieurs incohérences dans l’enseignement actuel :
– Des programmes scolaires bien trop chargés, qui ressemblent davantage à un empilement des connaissances, la priorité étant de dispenser un certain nombre de connaissances lesquelles seules importent à titre direct. La réflexion est reléguée au second plan, elle ne peut s’exprimer (encore que partiellement) qu’à la suite d’un nombre de connaissances déjà un tant soit peu excessives en nombre.
– Les élèves ne retiennent que très peu ce qui ne leur plaît pas. Deux solutions semblent se dégager : mettre en place une pédagogie rigoureuse capable de capter l’attention et d’intéresser les élèves à certains égards. Ou, comme évoqué dans le Ratio, «s’exercer soi-même». Le pédagogue transmet alors des pistes de réflexion relatives à ce que l’élève doit nécessairement étudier, puis l’élève, encadré par le pédagogue, fait preuve d’une réelle autonomie en s’exerçant soi-même sur des aspects qui lui plaisent.
Les heures restantes évoquées dans le Ratio doivent être consacrées au développement personnel, aux recherches relatives aux leçons, et à la lecture dans sa dimension la plus noble.
En 1911, dans le Nouveau Dictionnaire de pédagogie et d’Instruction primaire [16] édité sous la direction de Ferdinand Buisson, ce dernier critique l’enseignement jésuite en avançant que la pédagogie très orientée n’est qu’un moyen de propagande religieuse et d’influence politique.
On pourrait y répondre assez allègrement. Avec le respect que je dois à ce grand pédagogue, dans l’enseignement jésuite, beaucoup de considérations sont indépendantes de la dimension proprement catholique. Or, celui qui obéit aux règles de la raison, celui qui est véritablement philosophe, extrait le bien, l’utile, le juste, le meilleur, quelle qu’en soit la provenance, de même que le mineur extrait l’or malgré les dangers sanitaires qui l’entourent. On ne peut en vérité retirer à l’enseignement jésuite une grandeur attachée à certains de ses aspects, tels qu’évoqués précédemment.
On en arrive au cœur de la crise de la culture scolaire, à savoir la négligence de la culture classique.
Un héritage culturel renié : La culture classique
Dans un texte sur la lecture rédigé par Henry David Thoreau, auteur de Walden ou la vie dans les bois, on trouve les considérations suivantes :
Le symbole de la pensée d’un homme de l’antiquité devient les paroles d’un homme moderne. Les livres sont la précieuse sagesse du monde, le digne héritage des générations et des nations. Les livres, les plus vieux et les meilleurs, viennent se placer naturellement et à bon droit sur les étagères de toute humble demeure [17]
Henry David Thoreau s’indigne contre ceux qui parlent d’oublier les classiques, « nous sommes héritiers, dit-il, d’une culture savante qui est classique ». De toute évidence, les penseurs classiques ont marqué de leur influence l’histoire de l’humanité tout entière. Dans cette mesure, il nous faudrait considérer un autre passage :
Cela vaut la dépense de jours de jeunesse et d’heures précieuses d’apprendre rien que quelques mots d’une langue ancienne pour sortir du langage ordinaire de la rue, et pour servir de stimulant perpétuel [18]
En effet, l’importance accordée par Thoreau aux langues anciennes est tout à fait justifiée. À notre époque, en Occident, nous sommes plongés dans les langues vernaculaires, et il nous faut sortir de ces langages, ne serait-ce que pour ouvrir son esprit à l’existence de langages et de cultures très différentes. Faisant partie de la tradition occidentale, et à la source même de la langue française, le latin et le grec permettent, mais non seulement, de mieux identifier certains sens de mots perdus aujourd’hui.
Thoreau va plus loin encore en disant :
Ceux qui n’ont pas appris à lire les classiques de l’antiquité dans la langue où ils furent écrits doivent avoir une connaissance bien imparfaite de l’histoire de la race humaine [19]
On ne peut pas comprendre véritablement tous les aspects de ces textes antiques absolument exceptionnels sans connaissance de la langue dans laquelle ils ont été écrits. Et il y est aussi question de préceptes qui marquent encore notre vie quotidienne de leur influence !
Il est bien difficile de comprendre pourquoi l’écrasante majorité des textes étudiés en Littérature sont des textes datant des Lumières et a posteriori. Les auteurs des Lumières étaient eux-mêmes imbibés de cultu0e gréco-romaine. L’influence d’un auteur comme Plutarque et ses Vies parallèles des hommes illustres [20] est considérable chez des auteurs comme Erasme, Montaigne ou Rousseau [21]. Les plus puissantes intelligences de ces siècles ont indiqué de toute part de ne pas oublier les œuvres des Anciens.
Marc-Aurèle [22] est un empereur romain, stoïcien, philosophe, à la tête d’un empire qui cherche à faire valoir sa puissance. Et il écrit en Grec. À cet égard donc, le siècle des Lumières constitue une sorte de rupture.
Ne nous étonnons pas qu’Alexandre ait emporté l’Iliade avec lui, dans ses expéditions, enfermée dans un précieux coffret. Un mot écrit est la plus précieuse des reliques. C’est quelque chose à la fois de plus intime pour nous et de plus universel que n’importe quelle œuvre d’art [23]
L’œuvre favorite d’Alexandre, plus grand conquérant que l’humanité ait connue, on ne la connaît plus à l’école ! Est-ce que nous nous rendons bien compte de l’égarement de l’institution scolaire ?
Le plus grand conquérant de tous les temps emportait avec lui L’Iliade [24]. Et aujourd’hui, nous méconnaissons cela dans l’institution scolaire.
La plupart des gens ont appris à lire dans des buts frivoles. Mais la lecture, considérée comme un noble exercice intellectuel, ils la connaissent peu ou prou ; cependant il s’agit de lire dans un sens élevé, non pas lire pour nous distraire, ce qui est un luxe, et laisse dormir nos facultés les plus nobles pendant ce temps, mais il faut lire en se tenant la pointe des pieds, ce à quoi nous consacrons nos heures de veille les plus alertes [25]
Les plus grands auteurs ont veillé, consacré un temps considérable à l’écriture des ouvrages, pour que vous puissiez les lire. Il nous faut lire avec l’esprit qui convient, avec une grande concentration, et se montrer dignes de ces auteurs. Nous ne pouvons aujourd’hui manquer de respect à ces personnes qui ont donné leur vie à la connaissance.
Un autre aspect de la crise de la culture scolaire, c’est la disparition de l’éducation morale.
La disparition de l’éducation morale
Tout à l’heure, on évoquait la distorsion radicale entre l’éducation morale et l’éducation oratoire. En effet, cette distorsion a été régulièrement remise en question dans l’histoire de l’éducation. À la lumière de notre contexte, la morale n’existe plus dans l’enseignement.
Rappelons en première approche que les élèves passent aujourd’hui plus de temps à l’école qu’avec leurs parents. Certes, les parents ont à charge de transmettre une éducation morale digne de ce nom à leurs enfants. Mais toute la question est de savoir si les parents sont pleinement en mesure, en considération de leur implication dans la société, d’assurer une morale digne de ce nom à leurs enfants ? Cela est très loin d’être certain.
Quoi qu’on en dise, les difficultés liées à la discipline aujourd’hui sont la conséquence d’une insuffisance morale. Et c’est bien parce qu’on néglige l’éthique, pas seulement à l’école, mais dans la société tout entière. N’exigeons pas une attitude exemplaire des élèves, alors que certains d’entre eux ne savent pas ce qu’est la morale. Ce n’est pas parce que vous proposez, ou que l’école propose un règlement à respecter, que tout le monde va le faire. Si les élèves n’ont pas compris l’objet, le pourquoi de ce règlement, pourquoi s’y tiendraient-ils ? À la vérité, l’enseignement de la morale est nécessaire dans l’enseignement aujourd’hui.
L’évolution de la morale à travers le procès de Socrate : quelle morale pour l’école aujourd’hui ?
Pour prendre un exemple édifiant, au début du Vème siècle av-JC, la cité d’Athènes est au sommet de sa gloire. Dans ce contexte, elle aborde les Guerres du Péloponnèse face à Sparte et connaît une lourde défaite. On attribue cette défaite dévastatrice à une perte des valeurs traditionnelles ; d’où le procès de Socrate [26]. Est-ce qu’à la suite d’une défaite militaire aujourd’hui, l’on remettrait en cause les valeurs traditionnelles ? La question est de savoir pourquoi. Certes, un peuple peut perdre certaines valeurs selon les époques, mais ces valeurs ne disparaissent pas. Des valeurs tout à fait louables existent en l’Homme depuis l’Antiquité. Or, aujourd’hui, l’éthique est résiduelle, à tel point qu’on ne la considère même pas.
Enfin, on a entendu le projet d’un enseignement de «Morale laïque» [27]. Qu’est-ce que cela veut dire, «morale laïque»? Il y a autant de conceptions de la laïcité qu’il y a de français. C’est un mot détourné sémantiquement.
Aujourd’hui, ce dont on a besoin, c’est d’un enseignement de morale. Non pas une morale fixe, qui restreindrait les libertés. Mais un cours de morale qui donne la parole aux élèves, qui stimule la construction d’une morale propre à soi-même. Une morale au service de la réflexion critique sur sa propre existence : voilà ce dont on a besoin dans l’enseignement.
Une crise pédagogique : Psychologie de l’enfant et pédagogie
Il est un aspect de l’institution scolaire qui s’est perdu aujourd’hui, et qui peut-être même n’a jamais réellement pris toute la place qu’il aurait fallu lui accorder. Il s’agit de la psychologie de l’enfant, et avec Edouard Claparède, de la psychopédagogie. Ce psychologue genevois extrêmement exigeant fait un réquisitoire contre l’éducation-gaspillage. Élitiste, il considère que les plus puissantes intelligences stagnent à l’école, qu’elle est bien trop adaptée aux élèves moyens.
En revanche, ses travaux les plus remarquables tiennent à la psychologie de l’enfant. Il écrit dans son ouvrage principal Psychologie de l’enfant et pédagogie expérimentale, ces mots : « Que la pédagogie doive reposer sur la connaissance de l’enfant comme l’horticulture sur la connaissance des plantes, c’est là une vérité qui semble élémentaire. Elle est pourtant méconnue de la plupart des pédagogues et de presque toutes les autorités scolaires.» [28]
Combien donc de pédagogues ont-ils détruit psychologiquement certains élèves ? Quand Claparède parle de gaspillage du «capital intelligence des nations», il pense foncièrement à l’absence de la psychologie de l’enfant. Aujourd’hui, dans la formation des maîtres, tout semble encore un peu trop théorique. Le pédagogue doit allier à la fois des qualités théoriques dans l’enseignement qu’il est appelé à transmettre et des qualités proprement sociales et psychologiques. C’est ce qui permettra de répondre assurément aux besoins du développement intellectuel de l’enfant.
Dans la même dimension, Erasme écrit : « Rien n’est en effet plus néfaste qu’un précepteur dont le caractère amène les enfants à haïr les études avant d’être en mesure de comprendre pourquoi il faut les aimer.» [29] Dans les esprits, le pédagogue a perdu de l’estime. À l’origine, on lui vouait un respect incomparable, et il était une sorte de guide pour ses élèves. Pourquoi en est-on arrivé à un tel point ? Précisément parce que nos pédagogues ne sont plus véritablement pédagogues. Comme l’écrit Leo Strauss : « On ne trouve pas aussi facilement des maîtres que des agriculteurs. Ces maîtres sont les grands esprits ou, pour éviter toute ambigüité dans une situation d’une telle importance, ils sont les plus grands esprits. De tels hommes sont extrêmement rares. Nous avons peu de chances d’en trouver un dans une salle de classe. Nous avons peu de chance d’en trouver un où que ce soit.» [30] Certes, le constat établi par Leo Strauss est très lucide, mais il faut bien des pédagogues pour assumer une fonction aussi importante. Or, les exigences portant sur la sélection de ces pédagogues doivent être drastiques, plus qu’elle ne le sont aujourd’hui. Les futurs enseignants doivent être soumis à des exigences à la fois théoriques, en psychologie de l’enfant, en sciences de l’éducation, et posséder des facilités avec les relations sociales, lesquelles leur permettront de nouer véritablement des liens avec leurs élèves
Éthique de l’enseignant et Triangle pédagogique
Jean Houssaye, professeur en Sciences de l’éducation, a fondé la théorie du triangle pédagogique. Il définit tout acte pédagogique comme l’espace entre trois sommets d’un triangle : l’enseignant, l’étudiant et le savoir. Dans cette théorie, il existe plusieurs postures : Enseigner/Former/Apprendre/Éduquer.
Dans une conférence donnée en 1997 sur les relations entre la pédagogie Freinet [31] et le triangle pédagogique, il dégage quelques affirmations sur sa théorie : toute pédagogie est articulée sur la relation privilégiée entre deux des trois éléments et l’exclusion du troisième, avec qui cependant chaque élu doit maintenir des contacts ; changer de pédagogie revient à changer de relation de base, soit de processus.
Il existe 3 processus : « Enseigner » qui privilégie l’axe professeur-savoir ; «Former» qui privilégie l’axe professeur-élèves et «Apprendre» qui privilégie l’axe élèves-savoir. Sachant qu’on ne peut tenir équivalemment les trois axes, il faut en retenir un et redéfinir les deux exclus en fonction de lui. Les logiques de ces trois processus sont exclusives et non complémentaires.
Il est ici question de l’éthique de l’enseignant. On observe aujourd’hui une sorte de clivage entre les professeurs qui conçoivent l’enseignement comme transmission d’un savoir, lequel seul importe à titre direct. Et d’autres qui conçoivent l’enseignement comme une relation plus personnelle et plus centrée sur l’élève.
À la vérité, ce clivage persistant n’a absolument pas lieu d’être. Pour qu’un pédagogue soit efficace, il faut qu’il se fasse aimer de ses élèves. Erasme écrivait :
Le maître doit pour être aimé de l’élève faire renaître l’enfant qui est en lui [32]
Finalement, le pédagogue doit en fait réfléchir sur lui-même, et sur la formation dont il a bénéficié. Quel aurait été le professeur idéal pour moi quand j’étais élève ? Là est toute la question. Par l’identification de ses propres besoins étant enfant, le pédagogue développe une méthode d’apprentissage bien spécifique. En effet, beaucoup trop de pédagogues se replient sur leur expérience et leur prétendue carrière professionnelle. La pédagogie nécessite toujours à la fois une réforme de l’enseignant et de l’élève. Tout au long de sa carrière professionnelle, l’enseignant doit constamment remettre en cause sa propre pédagogie. La plupart reste dans une pensée encore un peu trop sclérosée. À partir d’un certain moment, il faut se rendre compte qu’à l’école de la République, il est des élèves qui ont des difficultés sociales et qui moralement ne sont pas au meilleur niveau. Ces élèves ont besoin de trouver chez leur professeur une parole de confiance.
La réussite scolaire réside dans un véritable travail relationnel. On écoutera toujours davantage les personnes que nous apprécions plutôt que celles que nous n’apprécions pas. Les élèves ont besoin de trouver en leurs enseignants une parole ouverte, et de pouvoir évoquer des sujets qui ne sont pas même en rapport avec le cours.
Ce n’est que de cette manière qu’on pourra espérer tirer vers le haut et redonner vie à l’union pédagogique à l’école. Cicéron écrivait dans La nature des dieux
L’autorité de ceux qui enseignent nuit souvent à ceux qui veulent apprendre [33]
Personne n’aime se confronter constamment à une autorité, quelconque soit-elle. Et il n’est pas légitime de dire «Adaptez-vous donc à l’autorité, vous serez employé par un patron.» Car le contexte professionnel est tout de même relativement différent du contexte proprement scolaire, et dans le monde professionnel, on conserve malgré tout une certaine liberté par rapport à son travail.
L’autorité de certains professeurs n’est que pernicieuse et éloigne plus qu’elle ne rapproche le professeur de ses élèves. Et en considération de toutes les difficultés rencontrées aujourd’hui, il est clair que la formation des maîtres doit être radicalement remise en cause.
La dimension affective de l’enseignement
On est en vérité tenté de revenir aux finalités rhétoriques de l’éducation cicéronienne. Le pédagogue n’ayant pas une maîtrise de la rhétorique, a-t-il la capacité d’intéresser ses élèves ? Il faut au pédagogue des qualités qu’on ne peut acquérir sans les plus pénibles efforts, de l’Humanitas, une faculté intérieure à comprendre le ressenti des élèves. Un discours, une parole forte, qui intéressent les élèves. La dimension affective est supérieurement importante, car c’est elle qui insuffle la volonté aux élèves, or la volonté est le moteur de la réussite. Dans le Ratio Studiorum, le rôle du maître n’est même pas de dispenser des connaissances, mais d’«exciter les intelligences». Une intelligence bien guidée ira d’elle-même vers la connaissance. Un élève hostile à l’apprentissage n’apprendra que la surface des connaissances, et rien de suffisamment qui pourrait lui être profitable. Le premier travail, c’est l’intérêt des élèves. Si l’élève est intéressé et assoiffé de savoir, il apprendra bien mieux, malgré toutes les difficultés qu’il rencontre.
De telles méthodes éducatives remontent à l’Antiquité, Henri-Irénée Marrou écrit dans Histoire de l’éducation dans l’Antiquité : «L’œuvre pédagogique d’Aristote ne me paraît pas présenter le même caractère d’originalité créatrice que celle d’Isocrate ou de Platon. » [34] Rendez-vous bien compte que la pédagogie aristotélicienne a été négligée parce qu’elle n’était pas originale. La question n’est pas de savoir si elle est originale, mais si elle est efficace. Aristote était le précepteur d’Alexandre, et l’influence qu’il a eue sur son disciple semble prépondérante. Jacob Burckardt écrit:
Aristote, cet homme qui construisit avec ses pensées une demeure si vaste que la science occidentale pourrait y habiter deux mille ans, contribua, par les idées qu’il a inculquées à Alexandre, à créer les conditions nécessaires à la réalisation de ce même occident [35]
Ce que nous souhaitons mettre en évidence, c’est qu’il y a foncièrement un manque de responsabilité envers ce qui se passe dans l’institution scolaire aujourd’hui. Les pédagogues doivent avoir bien à l’esprit qu’ils ont un devoir d’une importance immense.
La paideia d’Aristote s’inscrit dans la finalité de son œuvre éthique. La finalité de l’éducation, c’est la finalité de l’homme, à savoir le bonheur. L’homme éduqué est un homme heureux. Finalité liée étroitement à l’éthique ; il écrit dans Ethique à Nicomaque : «Pour être bon, il faut d’abord être bien élevé, acquérir de bonnes habitudes et vivre ensuite de cette façon, en adoptant des conduites honnêtes sans accepter de faire contre son gré ni d’entreprendre de plein gré de vilaines actions » [36]
Partagées entre les finalités rhétoriques de Cicéron, et la finalité du bonheur dans la paideia d’Aristote, les finalités cognitives de l’enseignement d’aujourd’hui semblent pour le moins timides. En effet, le Ratio Studiorum est extrêmement exigeante quant à la dimension affective de la connaissance. « Celui qui indique à un autre une manière ou un certain “ordre” pour méditer ou contempler, doit raconter fidèlement l’histoire de la contemplation ou de la méditation dont il s’agit. Car, lorsque celui qui contemple part de ce qui est le fondement de l’histoire, la parcourt, et la réfléchit lui-même, il y trouve plus de goût. En effet, ce n’est pas d’en savoir beaucoup qui rassasie et satisfait l’âme, mais de sentir et de goûter les choses intérieurement ». [37] Si j’avais un message à faire passer aux professeurs, je leur dirais :
«Laissez les élèves exprimer leur créativité, laissez-les se servir de leur propre entendement». Certains professeurs pensent que leurs interprétations sont prophétiques, les élèves doivent construire leur propre jugement, leur propre appréciation, leur propre amour des choses, de ces vieilles et belles choses. Une fois l’intérêt de l’élève éveillé, il faut qu’il explore, qu’il développe un attachement aux belles choses. Notre histoire a été traversée par des grandes choses supérieurement importantes, des hauts faits, des grandes œuvres, ne jamais enseigner ces belles choses comme des banalités. Et c’est Leo Strauss qui nous le dit, L’éducation libérale donne l’expérience des belles choses. [38]
Conclusions
- La responsabilité intellectuelle appelle chacun d’entre nous, en tant que citoyen éclairé, à être une force de la proposition éthique. À la suite de mon exposé, je vous propose quelques aspects d’une réforme de l’éducation scolaire.
- La réhabilitation de l’enseignement de la Rhétorique, 2h par semaine a minima, pour toutes les filières, à mettre en place dès l’école primaire.
- La création d’un enseignement de Morale, 3h par semaine a minima, pour toutes les filières, à mettre en place dès l’école primaire également. À charge pour les autorités de s’assurer que cette morale ne soit pas sous influence religieuse. Cet enseignement aura pour objectif la construction autonome d’une morale en conformité avec l’esprit des élèves.
- Un allègement des emplois du temps : aucun enseignement ne pourra excéder 4h hebdomadaires. Davantage de travail personnel à la maison, où l’élève pense par lui-même. Et moins d’heures en classe, où l’élève écrit des choses qu’il ne comprend pas.
- Une communication plus large avec les cultures étrangères. L’enseignement des langues vivantes laisse de côté les plus belles choses d’une langue donnée. De même, les philologues et linguistes apporteront leur contribution pour redessiner les programmes de langues.
- Une culture répartie plus largement sur l’histoire, à considérer prioritairement avant la culture occidentale. À cet effet s’impose la création de commissions éducatives qui rassemblent les représentants majeurs des disciplines enseignées. Pour une éducation d’envergure, il faut que les autorités travaillent mutuellement. Les meilleurs enseignants, les plus grands historiens, philosophes, scientifiques, romanciers, sociologues, économistes seront appelés à travailler avec les autorités pour déterminer ce qui a sa place dans la culture scolaire.
- Une formation des maîtres à élargir, avec pour les futurs professeurs des cours en Sciences de l’éducation et en Psychologie de l’enfant, pour tous les enseignants du primaire et du secondaire. Il s’agira d’évaluer les professeurs à la fois théoriquement avec les examens traditionnels du CAPES et de l’agrégation et sur un plan pratique, moyennant des examens portant sur les compétences évoquées précédemment.
- La suppression d’un socle commun un tant soit peu restrictif, remplacé par une communication de l’esprit illimité de la connaissance. Il va s’agir de mettre les élèves dans un état d’esprit où ils développent une ambition de tout connaître.
- Enseigner les hauts faits de l’histoire. Plutarque communiquait avec ses Vies parallèles des hommes illustres des destins d’hommes remarquables, donc des faits remarquables. Il faut plonger les élèves dans de grandes civilisations, de grandes cultures. L’élève doit rencontrer des choses qui le marquent de leur influence, il faut susciter son émerveillement. Évoquer des faits marquants de l’histoire et insister sur toute l’importance de ces faits. Cela stimulera dans une large mesure l’ambition d’accomplir des faits héroïques.
- L’institution scolaire devra accorder à la lecture davantage d’importance. La lecture est un exercice d’une incomparable noblesse, il nécessite la capacité de concentration profonde. Passivité du corps, activité de l’esprit dans le livre. C’est la lecture qui accorde une intimité propre, un univers dans lequel personne ne peut entrer. La lecture est le premier exercice intellectuel.
Que le sacrifice de nos générations ne soit pas vain. C’est à nous qu’incombe aujourd’hui la responsabilité de la construction d’un modèle éducatif résolument exigeant. Et, il s’agira de penser avec nos contemporains quelle éthique il faut choisir pour impulser ce changement. Dans la rigoureuse introspection se trouve les réponses de ces dysfonctionnements. Dans notre propre nature, nous reconnaissons les besoins nécessaires à notre subsistance et à notre épanouissement. Toute éducation est, de fait, une éducation qui appelle à notre propre responsabilité. Ainsi, le chemin de la révolution éducative est celui d’une éducation introspective.
Yassir Mechelloukh
[1] Jacques Derrida, L’Autre cap, Paris, Editions de Minuit, 1991
[2] Denis Kambouchner, L’école, question philosophique, Chapitre 6 – Eclaircissements sur la culture, p.188, Editions Fayard, 2013
[3] Conférence publiée dans le recueil : Le libéralisme antique et moderne (1968 ; trad. fr. Puf 1990, p. 13-21.)
[4] Cicéron, Tusculanes (45 av-JC), II, 13, trad. J.Humbert, Les Belles-Lettres, 1930
[5] Isocrate, A Nicoclés (IVème siècle av-JC), II, 7, in Discours, vol.00, trad G.Mathieu et E.Bremond, Les Belles-Lettres, 1938
[6] Voir François PROST, Humanitas : originalité d’un concept cicéronien, in Philosophies de l’Humanisme, L’Art du Comprendre, 2006 – n°15 – Deuxième série, p.31. «Au bout du compte, c’est donc en synthèse, complexe, de quatre perspectives que va se constituer l’humanitas cicéronienne : une facilité de rapports interpersonnels, prisée dans la haute société raffinée du temps ; une idée de l’homme comme genre d’êtres naturels, porteurs de valeurs dont la « monstruosité » sous toutes ses formes consacre la négation ; un sentiment d’attachement et de devoir de solidarité envers les autres membres de l’espèce ; enfin, une définition de l’humain par ses œuvres formant une culture. »
[7] La paideia est le terme utilisé par les Grecs pour déterminer «le traitement à appliquer aux enfants pour qu’ils deviennent hommes». Voir l’ouvrage de Werner Jaeger, Paideia : La formation de l’homme grec, Gallimard, Collection Tel, 1988
[8] L’héritier de Cicéron dans la pensée rhétorique latine, Quintilien (42-95 ap. J.- C.), auteur de l’Institution oratoire, après avoir donné sa définition de l’orateur comme « homme de bien, habile en l’art de parler » (XII, 1, 1), écrit quant à lui (XII, 11, 9) : «Je crains cependant qu’on ne m’accuse, ou de demander de trop grandes choses, eu voulant que l’orateur soit à lafois homme de bien et habile dans l’art de parler, ou d’en exiger de trop nombreuses, en voulant qu’à tant d’autres arts qu’il lui faut apprendre dans son enfance, il joigne l’étude de la philosophie et la connaissance du droit civil, sans compter les préceptes qui regardent l’éloquence. Je crains enfin qu’après avoir regardé tout cela comme indispensable pour former l’orateur parfait, on n’y voie plus qu’un obstacle insurmontable, et qu’on ne désespère avant d’avoir essayé. Mais d’abord, que l’on veuille bien considérer la force de l’esprit (ingenium) de l’homme, et jusqu’où s’étend la puissance de sa volonté… ». La suite et fin du livre, le dernier de l’ouvrage, est consacrée à la défense de cette possibilité. 95, Ier siècle), trad. J.Cousin, Les Belles-Lettres, 1980
[9] Isocrate, Panégyrique (380 av-JC), 48, in Discours, trad G.Mathieu, et E.Bremond, Les Belles-lettres, 1938
[10] Cicéron, De l’Orateur (55 av-JC), III, 54, trad. H.Bornecque et E.Courbaud, Les Belles-Lettres, 1922
[11] Cicéron, De l’Orateur (55 av-JC), III, 76, trad. H.Bornecque et E.Courbaud, Les Belles-Lettres, 1922
[12] Montaigne, Essais (1588), Livre I, Chap.XXIV – Du pédantisme trad. Français moderne C.Pinganaud, Editions Arléa, 2002. Le mot « Pédantisme » vient de l’italien pedante, c’est un néologisme conçu par Montaigne.
[13] Platon, Gorgias, trad. Canto-Sperber, Flammarion, Collection GF, 2007
[14] Ratio Studiorum: Plan raisonné et institution des études dans la Compagnie de Jésus (1598),Marie Madeleine Compère (sous la direction de) trad. L.Albrieux, édition bilingue latin-français, Belin 1997
[15] Erasme, De ratione studii, ASD I, 2, p. 113, 1. 7-9. Traduction de J.-C. Margolin, Un maître ouvrage de la pédagogie humaniste : le « Plan des études » d’Érasme (1512), dans Bulletin de l’Association Guillaume Budé, p. 277, Paris, 1976. — Voir aussi De pronuntiatione, ASD I, 4, p. 43, 1. 983-984 : « Scis bonam eruditionis partem esse, scire rerum vocabula ». L’idée vient de Quintilien (Institution oratoire, III, 5, 1-2) : « Omnis autem oratio constat ex iis, quae significantur, aut ex iis, quae significant, id est rébus et verbis ». Elle sera reprise et développée par tous les humanistes, qui considèrent que Véloquentia mène à Veruditio ; voir notamment A. Buck, Die « studia humanitatis » und ihre Méthode, dans Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, t. 21, p. 275-276, Genève, 1959 ; Bot, op. cit., p. 73-101 ; G. Codina Mir, Aux sources de la pédagogie des Jésuites. Le « Modus Parisiensis », p. 84-85, Rome, 1968. Cfr infra, p. 68-69, p. 86-87.
[16] Ferdinand Buisson, Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, Editions Hachette, 1911
[17] Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois (1854), La lecture. Traduction G. Landré-Augier. Aubier, 1967, p 212
[18] Ibid, p.
[19] Ibid,
[20] Plutarque, Vies Parallèles, trad. Anne-Marie Ozanam, Gallimard, collection « Quarto », 2002
[21] Cf. Montaigne, Essais, la référence à Plutarque traverse toute l’oeuvre. Voir la formidable étude de Isabelle Konstantinovich, Montaigne et Plutarque, Librairie Droz, Genève, 1989. Pour Jean-Jacques Rousseau, on relèvera ce passage Les Confessions, Livre I « Les romans finirent avec l’été de 1719. L’hiver suivant, ce fut autre chose. La bibliothèque de ma mère épuisée, on eut recours à la portion de celle de son père qui nous était échue. Heureusement, il s’y trouva de bons livres ; et cela ne pouvait guère être autrement ; cette bibliothèque ayant été formée par un ministre, à la vérité, et savant même, car c’était la mode alors, mais homme de goût et d’esprit. L’Histoire de l’Église et de l’Empire, par Le Sueur ; le Discours de Bossuet sur l’Histoire universelle ; les Hommes illustres de Plutarque ; l’Histoire de Venise par Nani ; les Métamorphoses d’Ovide ; La Bruyère ; les Mondes de Fontenelle ; ses Dialogues des Morts, et quelques tomes de Molière, furent transportés dans le cabinet de mon père, et je les lui lisais tous les jours, durant son travail. J’y pris un goût rare et peut-être unique à cet âge. Plutarque surtout devint ma lecture favorite. Le plaisir que je prenais à le relire sans cesse me guérit un peu des romans ; et je préférai bientôt Agésilas, Brutus, Aristide, à Orondate, Artamène et Juba. De ces intéressantes lectures, des entretiens qu’elles occasionnaient entre mon père et moi, se forma cet esprit libre et républicain, ce caractère indomptable et fier, impatient de joug et de servitude, qui m’a tourmenté tout le temps de ma vie dans les situations les moins propres à lui donner l’essor. Sans cesse occupé de Rome et d’Athènes, vivant pour ainsi dire avec leurs grands hommes, né moi-même citoyen d’une république, et fils d’un père dont l’amour de la patrie était la plus forte passion, je m’en enflammais à son exemple ; je me croyais Grec ou Romain ; je devenais le personnage dont je lisais la vie : le récit des traits de constance et d’intrépidité qui m’avaient frappé me rendait les yeux étincelants et la voix forte. Un jour que je racontais à table l’aventure de Scævola, on fut effrayé de me voir avancer et tenir la main sur un réchaud pour représenter son action. »
[22] Marc-Aurèle est à la fois un philosophe et un Empereur romain (121-180), il est connu pour avoir écrit les Pensées pour moi-même, grand traité stoïcien.
[23] Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois (1854), Flammarion, 1990
[24] Homère, L’Iliade, trad. E. Lasserre, GF-Flammarion, 2013
[25] Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois (1854), Flammarion, 1990
[26] Le procès de Socrate est notamment relaté dans deux dialogues platoniciens, Apologie de Socrate et le Criton.
[27] La « morale laïque » était un projet soutenu par Vincent Peillon, Ministre de l’Education Nationale en 2012, l’expression présente bien des difficultés. Si toute morale relève bien de l’éducation familiale et non de l’instruction alors le statut de cette morale aurait-il vocation à se substituer à celle, intime et personnelle, de chacun ? L’idée que la laïcité relèverait de la morale n’est d’ailleurs pas une évidence.
[28] Edouard Claparède, Psychologie de l’enfant et pédagogie expérimentale (1909), Genève, Librairie Kundig, 1925
[29] Erasme, Traité sur l’éducation(1529), Paris, Gallimard, 2010
[30] Jean Houssaye, Le triangle pédagogique, Peter Lang, 2000
[31] La pédagogie Freinet
[32] Erasme, Eloge de la folie
[33] Cicéron, La nature des dieux (45 av-JC), trad. C.Auvray-Assayas, Les Belles-Lettres, 2002
[34] Henri-Irénée Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, Paris, Editions du Seuil, 1948
[35] Peter Bamm, « Alexander oder die Verwandlung der Welt », Gesammelte Werke, 411.
[36] Aristote, Ethique à Nicomaque, X, 1180 a 15-16, trad. R.Bodéüs, Flammarion, Collection GF, 2004
[37] Ratio Studiorum: Plan raisonné et institution des études dans la Compagnie de Jésus (1598),Marie Madeleine Compère (sous la direction de) trad. L.Albrieux, édition bilingue latin-français, Belin 1997
[38] Leo Strauss, Qu’est-ce que l’éducation libérale ?