Pluton Magazine s’est rendu à Livre Paris, événement littéraire incontournable qui s’est tenu du 24 au 27 Mars à Porte de Versailles à Paris. La rédaction a retenu trois récentes parutions en philosophie qu’elle aimerait tout particulièrement partager.
Jean-Baptiste Brenet, Je fantasme : Averroès et l’espace potentiel, Editions Verdier, 2 Février 2017, 138p
Le mot le plus célèbre de la philosophie est un verbe latin : cogito. C’est celui de Descartes, où l’on retient que se joue l’être même de l’ego. C’est le cogito de la psychanalyse, celui dont elle dénonce l’orgueil, l’incomplétude, et qui, en somme, l’a fait naître. Mais c’est un mot malheureux, que la modernité a perdu. Chez Averroès, jadis, la cogitation avait en arabe ses facultés propres et trouvait dans le fantasme l’espace de sa puissance. Quel espace ? Quelle puissance éminente ? On a fait le livre sur cela.
Dorian Astor (Dir), Dictionnaire Nietzsche, Editions Robert Laffont, Collection « Bouquins », 9 Mars 2017, 1024p
« Les mots et les concepts, écrivait Nietzsche en 1879, nous induisent continuellement à penser les choses plus simples qu’elles ne sont. » Conscients de cette mise en garde et du danger qu’il y a à prendre les mots pour des choses, les auteurs de ce Dictionnaire ont suivi un fil d’Ariane dans le labyrinthe de la pensée nietzschéenne : toute interprétation doit être elle-même interprétée, toute valeur doit à son tour être évaluée, avec ce sens de la nuance et cet « art de bien lire » recommandés par le philosophe-philologue, qui était aussi artiste et médecin.
Ce Dictionnaire Nietzsche, le premier d’une telle ampleur, fait pénétrer le lecteur dans le monde de la volonté de puissance, du surhumain et de l’éternel retour, dans l’univers de la tragédie et du gai savoir, dans la généalogie « humaine, trop humaine » des passions, des croyances, des idéaux et de la vérité elle-même. Il évoque aussi les adversaires et les alliés, les livres et les lieux, les arts et les sciences qui ont inspiré Nietzsche, reconstituant de proche en proche sa vie et son oeuvre. Ce Dictionnaire témoigne de l’inépuisable créativité du philosophe, esprit libre et solitaire, critique sans concession du passé et du présent, penseur intempestif d’une philosophie de l’avenir dont les remèdes, parfois radicaux mais le plus souvent extrêmement subtils, n’ont pas fini de nous solliciter et de mettre à l’épreuve nos manières de penser.
Plus de trente spécialistes de Nietzsche, français et internationaux, ont contribué à ce Dictionnaire qui non seulement cristallise l’état présent des recherches mais indique aussi des directions pour leur évolution future. Accessible à différents niveaux, il s’adresse à tout lecteur curieux, qu’il soit familier ou non de Nietzsche et de la philosophie, en lui offrant des points de repère et des analyses approfondies pour découvrir l’une des pensées les plus déterminantes de l’époque moderne et contemporaine.
Benjamin Boudon, Politique de l’hospitalité, CNRS Editions, 2 Mars 2017, 248p
L’hospitalité est une pratique en apparence simple et universellement partagée. Il serait donc tentant d’en fournir une définition générique : l’hospitalité est l’institution qui règle l’interaction entre un accueillant (chez lui) et un accueilli (nouveau venu), consistant en un processus de familiarisation réciproque (faire connaissance, entretenir une relation, etc.). Elle a comme fonctions la dispensation de bienfaits, l’amorçage de la socialité, l’identification de l’étranger, ou l’intégration temporaire de l’invité.
L’hospitalité ne saurait néanmoins être réduite à une vertu privée. Elle est au contraire une pratique politique : elle institue des règles, des frontières, et des dispositifs d’intégration ou d’exclusion. Cet ouvrage expose les différentes formes qu’elle a pu revêtir, des sociétés traditionnelles à nos jours en explicitant les relations de pouvoir qui se jouent dans le langage vertueux de l’hospitalité. Une telle généalogie permet de retrouver les moments et les lieux clés qui ont façonné ce concept en le transformant, le déplaçant et le recomposant selon sa fonction politique.
Cet ouvrage, tout en répondant à une actualité brûlante et souvent tragique ouvre à une réflexion distanciée mais active afin de démocratiser les frontières.
En quelques mots
Dans les études philosophiques, ces trois publications nous apparaissent assez originales. L’ouvrage de Jean-Baptiste Brenet, Je fantasme : Averroès et l’espace potentiel, ouvre une nouvelle perspective dans les études sur Averroès, représentant de la philosophie arabe trop longtemps mésinterprété. Brenet insiste sur la question du fantasme en tant que préparation à l’activité intellectuelle comme espace potentiel (concept repris au psychanalyste Donald Winnicott). Le fantasme chez Averroès renvoie à la réception des images dans le corps, c’est cela même qui constitue l’immense champ de potentialités intellectuelles en vue de l’accomplissement humain véritable, celui de la rationalité intégrale.
Le Dictionnaire Nietzsche, sous la direction de Dorian Astor, repose sur un travail collectif tout à fait colossal. Il réunit une trentaine de spécialistes de Nietzsche à travers le monde. Il constitue une voie d’accès intéressante pour l’étudiant désireux de se familiariser avec l’oeuvre du philosophe allemand. C’est aussi un outil de travail formidable pour le spécialiste qui souhaiterait travailler sur des points extrêmement précis. A cet égard, dans les études universitaires, on ne saurait trop souligner l’importance de cette publication pour l’avenir des études nietzschéennes.
Politique de l’hospitalité de Benjamin Boudou revient sur une notion dont l’actualité est riche. Le clin d’oeil fait à l’oeuvre de Jacques Derrida, Politiques de l’amitié, n’est pas anodin. Derrida a laissé un immense travail sur les questions de l’hospitalité, du don et du pardon.Les tensions identitaires, la crise des réfugiés, la montée des populismes ouvrent la voie à une réflexion à la fois contemporaine et pratique sur cette notion dont nous espérons que le politique saura se saisir pour permettre une coexistence internationale.