L’Autobus : roman discret mais explosif

Autobus-Eugenia-Almeida

                          « Cela fait trois soirs que l’autobus passe sans ouvrir ses portes » C’est avec cette phrase sibylline qu’Eugenia El Meida, poétesse, professeur et journaliste argentine, commence son premier roman El Colectivo paru en France en 2007 sous le titre l’Autobus et qui a reçu le Prix Literatur en 2004 et le Prix Las Dos Orillas en 2005. C’est un huis-clos en ce sens que l’incident, qui de prime abord paraît sans conséquence aucune, se déroule dans un petit village isolé de la Pampa, coupé du monde. Pas de bus ; ce qui génère beaucoup de dialogues. Les personnages s’interrogent sur cette situation inhabituelle qui dégénère dans le pays où un couple de voyageurs attendant le bus est fusillé. D’après la radio ce sont des personnes subversives.

                                  En dépit de sa brièveté, ce roman minimaliste au style sobre, sec et nerveux réussit la gageure de dénoncer le régime totalitaire et ses conséquences les plus perverses et tout ce qui fait la société argentine de Péron en particulier et les sociétés lalino-américaines en général. Par petites touches suggestives et puissantes, l’auteure révèle l’horreur de la dictature militaire des années 1977 à 1983. Elle distille en finesse une atmosphère de terreur, oppressante jouant entre autres des conditions de météo ; un orage qui gronde sans jamais éclater. Le village est sous une chape de plomb. L’intrigue devient de plus en plus pesante et évidente au fil des pages. Outre l’orage, Eugenia El Meida utilise une série de symboles et de leitmotivs qui orientent la fiction comme le passage à niveau qui est fermé et le train qui ne passe pas ou la voie ferrée séparant parias et notables ; des livres disparaissent ; la brûlure des mains du commissaire de police. Elle parvient ainsi à rendre le roman angoissant et fébrile.

                                Grâce à sa sobriété et à son détachement, L’Autobus réussit à placer un regard décalé sur les drames de l’histoire latino-américaine . Malgré son apparence inoffensive, ce petit roman dense et sans concession dissimule une puissante critique politique.

L’Autobus est un texte qui évoque autant le passé dictatorial de l’Argentine qu’il démonte le fonctionnement de tout pouvoir à visée totalitaire

Fatima Chbibane Bennaçar : conférencière, critique littéraire, traductrice et poétesse

Crédit photo: Eugenia Almeida (Foto: Ramiro Pereyra)

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