Travailler plus pour gagner plus ou travailler moins pour gagner plus !

 

 

Voilà un choix difficile puisque la finalité est la même.

Le choix n’est pourtant pas si difficile que cela, parce que nous recherchons tous la meilleure façon d’optimiser ce que nous faisons et cela dans tous les domaines de notre vie. Alors dans ce cas, si en travaillant moins on peut gagner plus, pourquoi nous traiter de tire-au-flanc si nous ne suivons pas la cadence ? Si nous considérions l’origine du mot travail, nous serions surpris de constater que, de façon habile, on a soigneusement gardé le secret de ce mot pendu à nos  lèvres car nous courons tous après le travail. Nous voulons tous un travail pour nous nourrir, nous loger, nous accomplir… travailler est devenu essentiel pour exister. Mais le mot travail vient du latin ‘tripalium’ qui désigne un instrument de torture à trois pieux utilisé notamment au Moyen Âge chez les romains.

 

Apparu au XIIe siècle, selon Alain Rey, le mot « travail » est un déverbal de « travailler », issu du latin populaire « tripaliare », signifiant « tourmenter, torturer avec le trepalium ». Au XIIe siècle, le mot désigne aussi un tourment (psychologique) ou une souffrance physique (le travail d’accouchement).

 

Il existe aussi le verbe latin tribulare « presser avec la herse, écraser (le blé) », qui signifie au figuré en latin chrétien « tourmenter ; torturer l’âme pour éprouver sa foi ». Charles du Fresnes dit Du Cange signale le mot tribulagium qui désigne une corvée due au seigneur et consistant à écraser le blé pour faire de la farine où à broyer des pommes pour faire du cidre. Le mot vient du mot latin tribulum qui désigne une herse destinée à cet effet.

Les représentations marquent davantage la distinction entre « le Labor » (travail châtiment, peine au travail, conséquence du péché) et « l’Opus » (travail création, activité naturelle).

 

Cependant, en ouvrant le dictionnaire, on peut trouver la définition suivante du mot travail comme étant une  activité de l’homme appliquée à la production, à la création, à l’entretien de quelque chose : Travail manuel, intellectuel.
Et plus loin, on trouve une autre définition qui nous rapproche du sujet : activité laborieuse de l’homme considérée comme un facteur essentiel de la production et de l’activité économique : Le capital et le travail.

Dans la première définition, nous étions dans l’Opus et pour la dernière, dans le Labor.

Du fait que la plus grande partie des ouvriers et des salariés aujourd’hui se situent dans le Labor, de nombreuses questions se posent et font débat autour du travail : quand seulement 9 % des gens disent aller au travail parce qu’ils ont la pêche pour y aller, 80 % disent s’ennuyer, et 75 % déclarent ne pas savoir l’utilité de ce qu’ils produisent. Le travail serait devenu une taylorisation contraignante ou l’acte de travail serait dicté et non volontaire. Certains métiers vous obligent à sourire même si vous n’en avez pas envie, ou à dire bonjour, sachant qu’on ne vous écoute même pas.

 

Paul Aries, politologue, disait que l’homme a été dépouillé de ses outils, de son profit, de sa culture et aujourd’hui, du sens même de son travail. Le résultat est qu’il existe une grande souffrance au travail, si bien qu’on vient gagner sa vie mais qu’on peut la perdre, au contraire,  ou la détériorer à jamais. La majorité des humains à qui on demande de travailler plus se situent dans le « Labor » : le fait de leur retirer l’Opus leur ôte également l’imagination, la création. Ils n’ont plus à penser, tout est dicté comme par un robot.  C’est cette conception du travail qui ramène le travail au trépalium dans sa forme mentale la plus élargie aujourd’hui. L’homme est fait pour communiquer, échanger, partager… et ces grandes capacités sont considérées comme des freins par l’employeur. Des freins qu’on ne veut pas lever et qui entraînent la destruction de l’humain.

La consommation à outrance couplée à la production de masse contribue à infléchir l’épanouissement au travail. L’homme a un droit au loisir, à la paresse. Cela est bon pour son état psychologique. D’ailleurs, l’auteur haïtien Dany Laferrière, membre de l’Académie française, dans son livre  l‘art presque perdu de ne rien faire,  confirme qu’il faut décoloniser notre façon de voir le travail comme il nous a été imposé par la société moderne, et réapprendre à vivre. Nous n’avons jamais assez de temps libre. Le temps libre ne se gaspille pas, contrairement à ce qu’on veut nous  faire croire. On ne dort jamais trop, car on ne peut pas obliger son corps à dormir. Nous ne dormons que lorsque nous en éprouvons le besoin. Cela dérange parce que cela ne cadre pas avec le concept du travail tel qu’il est défini aujourd’hui et qui exclut tout droit à la paresse.

 

Le revenu minimum garanti

Donner à tous un salaire minimum n’est pas au goût de tout le monde. Il faut travailler plus pour gagner plus comme si nous étions déjà catalogués de fainéants. C’est la voie ouverte,  selon certains opposants, à plus de paresse, de délinquance et cela occulterait l’envie de travailler chez ceux qui travaillent déjà.

C’est la fin de la croissance, pensent les grands patrons qui ne voient pas cela d’un bon œil. Mais les défenseurs de cette nouvelle forme de revenu voient en elle un développement de l’Opus, pour redonner de la valeur à l’individu, à sa créativité et contrairement à ce que l’on pense, ce revenu créera du travail, un travail sain, utile à la société au lieu que le salarié soit un forçat du travail. Combien d’entre nous n’avons-nous pas le temps de faire ce que nous avons envie de faire, coudre, peindre, sculpter… ? Et qu’est-ce qui prend ce temps-là ? N’est-ce pas le travail ?

Le revenu garanti serait la fin du travail aliéné, c’est une alternative, c’est possible, nous dit-on, c’est travailler moins avec la capacité de fixer son seuil de revenu pour gagner plus, non pas en argent, mais en qualité de vie. Avoir plus de temps pour s’occuper de ses enfants, de ses parents âgés, et s’occuper de soi avant tout, avec tous les bienfaits que cela pourrait apporter à la reconstruction d’une société meilleure et plus humaine.

 

Travailler plus pour gagner plus est un slogan intégriste. Le contraire permet de créer plus de liens et moins de biens car, pour répondre à un besoin, nous avons plus d’une centaine de propositions qui contribuent sournoisement à créer et creuser l’inégalité entre les classes. Le capitalisme est l’outil habilement efficace pour astreindre au travail car il sait susciter le désir et proposer en contrepartie la marchandise qui va nous contraindre à  travailler davantage pour pouvoir l’acheter. Il casse les identités collectives et individuelles, insécurise, et développe la précarité et la flexibilité. L’argent et la banque se présentent comme ses deux complices.

On demande aujourd’hui au salarié d’être polyvalent donc de travailler plus, d’effectuer plus de tâches. Pourquoi ne réduit-on pas le nombre de députés et de ministres pour qu’ils deviennent eux aussi polyvalents et puissent travailler plus ? Le gouvernement va même jusqu’à créer des postes supplémentaires au sein des ministères, ceux-là même qui légifèrent en édictant des lois antisociales vis-à-vis du salarié. Il est urgent de sortir de ce modèle capitaliste  avant que le système ne s’effondre. Certaines entreprises libèrent déjà le travail des contraintes qui pourrissent la vie des salariés et qui les rendent moins productifs, plus malades, en créant plus d’absentéisme et de façon insidieuse, en finissant par détruire leur foyer. Un salarié victime d’un burn-out va de facto créer chez lui une tension, laquelle, si elle n’est pas contrôlée, va favoriser la désintégration de la cellule familiale.

 

 »L’esclavage humain a atteint son point culminant à notre époque sous forme de travail librement salarié.  »  ( George Bernard Shaw )

 

Le travail n’est pas une nécessité dans la nature, disait Albert Jacquard, politologue ; c’est un concept qui n’existe pas. La civilisation prend forme quand on s’aperçoit qu’on a du temps devant soi.

Aller à la chasse n’est pas un travail, cueillir des fruits n’est pas un travail… se sont des activités qui découlent d’une nécessité fondamentale. L’enseignant ne travaille pas, il a une activité de partage, d’édification. Il faut revenir à la nécessité qui est le fruit de l’autosuffisance. Aujourd’hui, il y a une surcharge de travail excédentaire à l’échelle mondiale qui couvre largement le temps libre de tous ceux qui ne travaillent pas, qu’on qualifie de façon dénigrante de chômeurs – pourtant, on nous fait croire qu’il faut encore travailler d’avantage. C’est comme la nourriture, il y en a suffisamment pour nourrir tout le monde et pourtant, un enfant meurt de faim toutes les 6 secondes.  Ne pas donner du travail à tout le monde a transformé le travail en torture du point de vue du capitalisme.

Nous travaillons tous pour de l’argent parce qu’on nous fait croire que c’est la clé de la réussite. L’argent ne crée pas de lien, au contraire, il divise, il crée des clans… Il est à l’origine d’une pyramide dont la base est constituée des salariés qui n’atteindront jamais le sommet, ce doux rêve qu’on leur vend. Le travail et l’argent sont la plus grande arnaque de l’histoire de l’homme.  Les échelons hiérarchiques du travail mettent en compétition l’intelligence alors qu’il n’y a pas de personne plus intelligente que d’autres. Si le chef se croit plus intelligent que ses subordonnés, on devrait attendre de lui qu’il mette en place un processus pour se débarrasser de ses subordonnés et trouver une autre solution plus efficace pour réaliser le travail. Il ne peut pas le faire tout simplement : il n’est donc pas plus intelligent. Cela montre que nous avons besoin des uns et des autres et que le fait de rémunérer les hommes de façon différente entretient le trépalium qui crée une lutte et une compétition malsaines. L’homme justifie son intelligence par des opérations et des concepts purement inconcevables, à tel point qu’il court à la conquête d’une nouvelle forme d’intelligence artificielle qu’il va introduire au travail, et qui va rendre le travail encore plus esclavagiste. La compétition est une aberration pour la survie de l’homme.

On gagne de l’argent à travailler plus mais il n’est pas si sûr qu’on sera plus heureux en ayant plus. Alors, travailler plus pour gagner plus ou travailler moins pour gagner plus ? À chacun sa maxime en attendant de voir quelle sera la note du nouvel Opus qui sera joué sur le marché du travail dans les prochaines années.

Georges COCKS est originaire de l’île de Saint-Martin et vit en Guadeloupe. Ecrivain, il a plusieurs romans à son actif.

 

 

Sources :

Arte : « Sommes-nous fait pour travailler ? », Invité : Paul Aries

 

« L’avenir du travail », Albert Jacquard, Interview https://www.youtube.com/watch?v=oyYzeJ_Pf6o

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