Elles viennent d’horizons très différents mais une passion commune les a réunies : le théâtre. Elles nous parlent de leurs parcours, de leurs choix artistiques, de leur vision du métier.
Sylvia Roux : la Bourlingueuse.
L’enflammée Sylvia Roux a pris la direction du Studio Hébertot à l’été 2015. Elle a posé -pour un temps- ses valises de grande baroudeuse à l’abri d’un passage du 17ème arrondissement de Paris. Protégé physiquement par le Théâtre Hébertot, son imposant grand frère, le nouveau petit écrin de la lionne rousse trace sa voie de manière impressionnante et totalement autonome.
La directrice est aidée dans ses fonctions par une équipe hétéroclite. Ses deux associés sont Yvan Varco, comédien et auteur qui a dirigé le Théâtre des Mathurins pendant 5 ans. Et Anne-Marie Roycourt, comédienne, amie intime de la jeune femme.
Comédienne, metteuse en scène, productrice, professeur d’art dramatique au Cours Jean Périmony. Sylvia Roux a dirigé le département français de la Promenade Playhouse & Conservatory de Santa Monica à Los Angeles.
« Lorsque Francis Lombrail a fait l’acquisition du Théâtre Hébertot en 2014, son souhait était d’avoir une programmation aussi exigeante pour le « grand » comme pour le « petit » Hébertot.
Nous sommes des amis très proches et depuis longtemps. Averti de mon goût pour les textes, pour les auteurs contemporains, il savait que j’étais une véritable passionnée de ce métier, une accro à la création, une droguée de spectacle ! En effet, je vois trois à quatre pièces de théâtre par semaine depuis l’âge de 18 ans…
Il m’a donc fait la proposition insensée de diriger cette belle salle. Je n’avais jamais pensé d’une manière concrète prendre possession d’un lieu. Bien sûr, j’avais déjà une vision de ce que je pourrais en faire si cela devenait un jour le cas, mais cela restait dans la sphère de mes rêveries… jusqu’à ce que Francis Lombrail me fasse confiance et me donne l’opportunité de prendre les rênes de ce théâtre.»
Nous n’allons pas choisir une comédie béotienne parce que celle-ci fera plus d’entrées. Ce que l’on s’imagine trop souvent et à tort selon moi.
Quel est le fonctionnement du Studio Hébertot ? Le principe est simple : les productions payent la location de la salle. Ensuite toute la recette revient aux compagnies. Elle n’est pas partagée comme cela peut-être le cas dans la majorité des théâtres.
« Ce postulat se veut transparent et il convient aux deux parties car si le spectacle marche moyennement, le théâtre ne perd pas d’argent mais en revanche, si celui-ci cartonne -et nous faisons tout pour cela- la totalité des bénéfices revient aux artistes et à leur structure de production.
Il y a là un deuxième avantage pour nous : une véritable sélection dans la programmation. Nos choix ne sont gouvernés que par nos goûts car nous aimons défendre de beaux projets exigeants, ceux qui donnent l’image et la ligne artistique au Studio Hébertot. Nous n’allons pas choisir une comédie béotienne parce que celle-ci fera plus d’entrées. Ce que l’on s’imagine trop souvent et à tort selon moi.
Et comme nous avons pléthore de demandes pour jouer dans notre salle, nous ne sommes jamais guidés par l’aspect uniquement commercial. Seuls comptent la qualité du texte, l’originalité, la proposition artistique. »
Ses projets futurs :
Avec son partenaire de scène Thomas Lempire, Sylvia Roux se prépare à jouer dans « Stavanger », une création d’Olivier Sourisse, mise en scène par Quentin Defalt au Théâtre de l’Arrache-Cœur pour le festival d’Avignon 2016 et une programmation au Studio Hébertot dans le courant de l’année.
Le parcours très atypique de cette directrice de théâtre n’est pas pour en dérouter certains…
Physicienne, elle a été directrice de l’enseignement de l’ESPCI (Ecole Supérieur de Physique et Chimie Industriel de la ville de Paris) jusqu’à cette année. Membre du commissariat à l’énergie atomique, spécialiste de la rupture des matériaux hétérogènes, la scientifique a été distinguée par plusieurs grands prix de l’académie des sciences. Bien qu’elle continue toujours la recherche dans le domaine, il en est un autre qui l’excite tout autant: le théâtre!
Il n’y a pas besoin d’avoir fait Maths sup pour être touché par une histoire, par des destins, par de l’humanité. L’art en général et le théâtre spécialement, est pour moi, le lieu de l’émotion partagée.
Comédienne et auteur, la charismatique Élisabeth, au sourire plein de soleil, s’est donnée au théâtre depuis de nombreuses années. A Londres où elle a monté et joué sa pièce musicale « A Contre-voix » ensuite repris, il y a peu dans son théâtre, et qui a remporté un joli succès.
C’est en avril 2014 qu’elle a un coup de cœur immédiat pour ce lieu très particulier, au potentiel exponentiel indéniable qu’est La Reine Blanche. Encore en poste à l’ESPCI, la passation artistique entre les anciens propriétaires et son équipe se fait petit à petit. Mais au bout d’un an, l’envie de passer à la vitesse supérieure la dévore ! N’y tenant plus, son envie de vivre cette aventure sans réserve l’emporte sur le reste. Elle délaisse l’enseignement supérieur et prend définitivement possession de son lieu, de sa direction générale et artistique avec une idée en tête: mettre la science sur les planches. Mais empreint d’une démarche ludique, littéraire, émotionnelle.
« Il y a une vraie attente du public, je dirais même une nécessité pour celui-ci. D’une part, pour réparer les traumatismes que la plupart ont vécu à l’école. On leur a dit : tu es nul, tu n’es pas légitime pour écouter de la science…
Moi, je pense que tout le monde est légitime à écouter de la science. Cela ne veut pas dire qu’il faut absolument devenir scientifique, non. Je peux apprécier les tableaux de Gauguin ou les ouvrages de Kant sans être peintre ou philosophe. Cela fait partie de la culture . Et la culture, c’est s’ouvrir au monde pour pouvoir le décrypter. La science fait partie d’elle de la même manière, sauf qu’elle n’est pas divulguée au plus grand nombre. C’est
Parce que l’esprit de déduction mathématique, il faut l’avoir cultivé un peu, l’avoir quelque peu expérimenté. Mais la sensibilité ? Tout le monde en a une… Il n’y a pas besoin d’avoir fait Maths sup pour être touché par une histoire, par des destins, par de l’humanité. L’art en général et le théâtre spécialement, est pour moi, le lieu de l’émotion partagée.
Je déteste l’art ou le théâtre imperméable et prétentieux. Cela m’ennuie prodigieusement.
Et puis mon ambition pour ce lieu est de donner à voir des choses exigeantes, de grandes qualités artistiques mais qui ne soient jamais hermétiques. Je veux m’adresser à l’intelligence des gens.
J’ai envie de leur dire : « c’est intelligent, c’est exigeant, c’est pour vous ! » Et il ne s ‘agit pas là de faire des œuvres que seule une élite pourrait apprécier. Cela ne m’intéresse aucunement. Je déteste l’art ou le théâtre imperméable et prétentieux. Cela m’ennuie prodigieusement.
Je voudrais que « la Reine Blanche » soit un lieu de vie, de convivialité, de rapprochement et de partage. Car ici, il n’y a pas que du théâtre. Il y a aussi des rencontres littéraires avec de grands auteurs très connus et populaires. Il y a également du cinéma avec notre événement Cinema e Pastasciutta. Un dimanche par mois, nous projetons les meilleurs films du grand cinéma italien. Après la projection, nous organisons un dîner autour de la cuisine italienne. Nous installons de grandes tables sur lesquelles sont disposées de larges plâtrées de Pasta, cuisinées avec amour, comme le ferait la mamma !
Stéphanie Fagadau-Mercier : la force douce.
Lorsque l’on plonge dans le regard profond et intelligent de Stéphanie Fagadau-Mercier, il vous renvoie immédiatement l’image d’une grande sérénité mêlée à une grande force de caractère, comparable aux grands fonds marins : à la fois paisible et mystérieux.
La directrice de la Comédie et Studio des Champs-Élysées, nous reçoit dans la bulle chaleureuse de son bureau de l’avenue Montaigne à Paris.
C’est en 2006 que la jeune femme prend la direction du Studio des Champs-Élysées qui s’abîme alors dans la torpeur. En effet, depuis plusieurs années, le succès est loin d’être au rendez-vous. Comme dans un vieux tailleur Chanel, le quartier, trop engoncé dans sa vision d’un théâtre bourgeois, un brin poussiéreux, ne goûte guère l’ alternative des petites salles. Elles qui ne peuvent s’offrir les têtes d’affiches et autres maestri du théâtre à gros moyens. C’est avec patience, à côté de Michel Fagadau, son illustre père et grand metteur en scène qui dirigea l’institution de 1994 à 2011 que Stéphanie Fagadau-Mercier impose son style tourné vers les auteurs anglo-saxons. (Les chiens ne font pas des chats…)
Le Studio commence alors à enchaîner les succès grâce à sa programmation plus pointue, plus moderne, en phase avec son temps. Cassant les codes, faisant découvrir la nouvelle génération à l’ancienne, c’est une autre catégorie de spectateurs qui est drainée en ces lieux. Et la recette fonctionne…
Puis en 2009, la jeune directrice franchit une étape supplémentaire en co-dirigeant La Comédie des Champs-Élysées avec son père. A la disparition de celui-ci en 2011, Stéphanie, pourtant très sollicitée, refuse de vendre et prend définitivement la tête du lieu. Forte de l’enthousiasme suscité par son travail sur le Studio, il lui semble tout naturel de continuer sur cette voie et d’unifier la programmation des deux salles. C’est ce qu’elle fait en ce moment même en ayant eu la très bonne idée de reprendre l’excellent spectacle « Le Portrait de Dorian Gray », mis en scène par Thomas Le Douerec qui fît, précédemment, les beaux jours du Théâtre Le Lucernaire.
Effectivement, la pièce « La Rivière » de Jez Butterworth interprétée entre autre par Emma De Caunes, Nicolas Briançon et Anne Charrier, n’a pas trouvé son public et a dû s’arrêter brutalement. (Telle est la dure loi du théâtre…) Mais Stéphanie Fagadau-Mercier ayant vu et adoré l’adaptation d’Oscar Wilde quelques jours auparavant, tente sa chance et propose à la compagnie de venir jouer chez elle. Étant libre et emballée par la proposition, celle-ci commencera trois jours plus tard dans la salle de 600 places ; et ne désemplit pas depuis ! Justice est faite…
C’est Mme Christiane Taubira qui, surprise de voir que j’étais la jeune directrice des lieux, m’a dit un jour: «Soyez fière de vous! Vous en avez le droit!» Cela a marqué mon esprit et m’a aidé à assumer pleinement mon statut et mes choix. Surtout devant des artistes aux carrières parfois très prestigieuses et qui le savent!
Pour la rentrée de septembre 2016, la directrice, qui avait offert cinq ans plus tôt la scène de sa maison à l’artiste Gaspard Proust, le fait revenir à la Comédie des Champs-Élysées pour son nouveau spectacle intitulé « Nouveau Spectacle ».
En janvier 2017, elle accueillera avec une joie non-dissimulée, la nouvelle pièce de l’omniprésent Florian Zeller. Mais cette fois-ci dans un registre dramatique, doté d’un texte qui ne provient pas d’une énième commande commerciale. Et c’est tant mieux, car c’est là où le jeune auteur est le meilleur. Ressortant un manuscrit de la pénombre de son tiroir, il n’osait le proposer aux théâtres par crainte d’un refus net. Stéphanie Fagadau-Mercier à été la première à le lire…. et l’a signé sur-le- champ!
Voilà des filles qui comptent!
Reportage Angelo Corda