« Faisons du Beau émotionnel. De cet art qui enchante notre quotidien et non qui veut transformer notre quotidien en exceptionnel. »
« J’ai touché une autre manière de faire, pas forcément de marteler les outils mais vraiment d’aller à la coupe en forêt, trancher dans le vif justement, ne pas frapper, c’est assez doux à faire au niveau sculpture, même si ça nécessite une certaine force, mais les sensations sont infiniment plus douces que ce mouvement qui est rythmique, qui martèle et dont je sens les vibrations en permanence quand j’utilise le maillet, dans le bras, dans tout le corps ; alors que là, c’est vraiment un mouvement poussé qui part de la plante des pieds pour aller dans l’outil, jusque dans le bois, tandis que dans le sud de l’Europe on martèle plutôt. Et là-haut, parce que le bouleau notamment est un bois assez tendre, ça permet de pousser l’outil justement et de couper différemment. Après, c’est peut-être aussi la culture finlandaise, cette manière de faire. »
C’est ce que l’on appelle une formation sur le terrain, via l’université finlandaise spécialisée dont il garde le meilleur souvenir (il y retourne d’ailleurs), et des amis ; il nourrit une vénération aussi pour ces maîtres qui l’ont marqué, à l’exemple de l’artiste plasticien Mikki Paajanen qui l’a poussé à la sculpture artistique et avec lequel il travaille d’ailleurs de temps en temps, ce qui l’amène aujourd’hui à la sculpture figurative statutaire, dans laquelle l’homme devient son principal sujet d’étude et de création. Auparavant, il y a eu Paris, dans la plus vieille école d’ébénisterie de France (plus ancienne que la réputée école Boulle, puisqu’ouverte en 1866 par l’impératrice Eugénie), conçue à la base pour donner cet enseignement aux enfants du Faubourg Saint-Antoine :
« Ils n’avaient alors cours que le samedi matin. Et puis, c’est devenu l’école Nationale (École de la Bonne Graine) dans les années 50 ; aujourd’hui, nous, on est sur une formation très technique, pour répondre aux impératifs des designers, leur apporter les solutions techniques ; à la base, on n’est pas forcément des créateurs mais on a ce côté très poussé sur le travail du bois. »
Peintures sur papier, peinture sur toiles, sculptures en argile, sculptures en bois, l’artiste est complet même s’il ne parle pas de la pierre qui, dit-il, est froide, comme le fer. Sa préférence va donc au bois, on l’aura compris.
« Ça n’est pas la perfection que je cherche mais le vivant ! »
Et dans cette école de Paris, vous avez dû vous prendre à rêver à tous ces maîtres, ces précurseurs !
« Oui et j’ai eu la chance d’étudier avec Bernard Daudé qui est l’un des grands auteurs de livres sur l’ébénisterie, depuis les années 80 ; il a mis au point des traités à l’intention des apprentis. Il y avait aussi monsieur Baumann, l’un des grands professeurs d’histoire de l’art et d’ébénisterie, ils sont les héritiers de Lucien Chanson, l’ébéniste de référence du début du 20° siècle et auquel on doit « L’Encyclopédie de l’ébénisterie ». De grands maîtres, oui ».
Vous vous souvenez d’un travail en particulier ?
« Bien sûr, le premier meuble que j’ai réalisé, que j’ai encore d’ailleurs, c’est un petit chevet en hêtre et sapelli, un bois africain, ça ressemble un peu à l’acajou, avec une belle erreur sur mon tiroir, mais ça passait quand même bien (il rit). Mais mes bois préférés sont le tilleul et le bouleau, le pin des Landes aussi parce qu’il a ce côté un peu acide au niveau de l’odeur. Et j’ajoute le cèdre. Mais ça, c’est plus parce que je suis sculpteur. Le bouleau, c’est un bois qui vit très bien, en Finlande, par exemple. On le voit moins ici dans le sud de l’Europe où on a plus l’habitude d’avoir du chêne, du hêtre, du tilleul. »
Vos œuvres sont conditionnées par la nature du bois ?
« Oui et non ; je travaille au ressenti, beaucoup ; mais mon dessin précurseur ne fixe pas ma peinture, ça évolue en permanence, je travaille sur l’erreur… plus j’accumule d’erreurs et mieux ma pièce se porte ; c’est-à-dire que je corrige en permanence ce que je fais, ça n’est pas la perfection que je cherche, mais le vivant… donner en quelque sorte ce côté imparfait de l’être humain. Je cherche à rendre quelque chose qui touche, qui est de l’ordre de la sensibilité. Sentiment, émotion, sensations… Avec cette idée de mouvement, d’opposition entre les corps, la matière, au sein de la texture que peut avoir cette matière, le mouvement que peut impliquer l’œuvre aussi, l’émotion que l’on peut avoir avec. Voilà un peu les notions qui se dégagent de mon travail. »
« Scroll séquence », au château du pape gascon, Clément V.
Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux, fut surtout l’un des sept papes – connu, lui, sous le nom de Clément V – qui régnèrent en Avignon. Il est né en 1264 (date présumée) à Uzeste, près de Bazas, et le véritable palais forteresse de Villandraut qu’il a édifié non loin de là rappelle son souvenir ; son nom est aussi associé en particulier à l’un des vins les plus fameux du bordelais « Château Pape Clément ».
Ses pierres racontent une histoire vieille de 700 ans, dans laquelle ce souverain fut très impliqué. En cet été 2016, le lieu était donc tout trouvé pour que l’association culturelle locale, Adichats, propose au visiteur, dans le cadre du festival Les Scènes d’Eté en Gironde, des œuvres d’artistes réalisées sur le thème de la part du rêve… Ainsi peut-on voir jusqu’en septembre le travail de Véronique Matteudi, Camille Gaze, Rouge, Verena Potti et donc de Phil :
« Les peintures, les sculptures, ici, ne sont pas forcément écrasées par ces lieux si chargés d’histoire, au contraire, elles y rentrent en résonnance, « Scroll » est installée sous une arche, « Euryale » sous une clé de voûte, au-dessus d’un puits. Elle est vraiment en position centrale et je trouve qu’elle se marie harmoniquement avec toutes les œuvres autour. Les unes répondent aux autres, sans être aplaties par ces lieux impressionnants. On est aussi dans une demi-pénombre qui permet de voir tout le travail effectué à la feuille d’or, le travail de couleur, en fait, les œuvres répondent au lieu… »
Je m’arrête devant la sculpture de Scroll dont j’avais fait la connaissance dans l’atelier bordelais, mais ici, il est encore plus impressionnant. Il suggère des commentaires aux enfants qui y voient un super héros, un samouraï, un sumo, pour d’autres, c’est un homme qui sort de l’eau, ou quelqu’un qui lutte, c’est en soi, me dit encore Phil, une représentation de l’esprit masculin. Et lui, son créateur, comment le voit-il ?
C’est lui qui vous a tiré en quelque sorte vers ce qu’il est aujourd’hui ?
« Les deux ! Pour moi, c’est un coup de foudre sur une image, plus exactement sur une danse chinoise pendant les JO de Pékin et qui m’a vraiment marqué, ce mouvement du jeté en avant prêt à rebondir, j’en ai d’abord fait une peinture et j’ai sculpté ensuite et la sculpture est arrivée tellement plus puissante que la peinture, que les danseurs même, que j’y ai vu la quintessence même de l’esprit masculin, l’essence masculine…. D’arriver ancré, de se jeter et de s’élever avec ses épaules très larges et en même temps cette douceur dans le regard, celui-ci pouvant aussi être très dur ; on n’a pas de visage sur cette sculpture-là… »
« J’ai besoin de sentir l’histoire des choses. »
Je le vois caresser la sculpture, il dit que la sculpture est faite aussi pour cela, elle est le sens du toucher, justement. Avec Scroll séquence, il s’inscrit sur le plan technique dans une filiation avec l’un des pères de la sculpture de Rodin, Medardo Rosso qui, lui, coulait de la cire sous ses œuvres ; alors Phil s’est demandé pourquoi ne pas continuer sa pensée et faire la même chose avec quelque chose de transparent qui permette de voir la sculpture au travers, mais surtout de ramener des formes géométriques sur cette sculpture, d’en appeler donc à la résine qui transforme la vision, qui propose une autre manière de percevoir l’œuvre et qui en change la perception. L’effet est réussi. Mais le premier volet, c’est le bois brut !
« Oui toujours ce matériau vivant que j’aime, en fait, qui est vraiment ce dont j’ai besoin en permanence pour travailler, il me faut ce rapport vivant, même si après il est susceptible d’être englouti dans d’autres matériaux. Mais dans ma première approche, je suis vraiment un sculpteur sur bois. »
Il exprime ce qu’il ressent au niveau visuel, auditif, parfois avec un parfum, il a peint en s’inspirant de senteurs, il dit aimer ce dialogue permanent qu’on peut établir avec l’autre. Ce dialogue aussi à partir de ce que la terre offre, tous ces matériaux nobles !
« Oui, surtout de la matière vivante, chaude, principalement le bois, mais encore le lin, le coton, le papier, à partir de la fibre végétale ; j’écris toujours sur papier avant de passer sur l’ordinateur, parce que, là aussi, j’ai besoin de ce contact avec le papier. Même quand de la résine est rajoutée, le bois reste à l’intérieur parce que j’en ai besoin. L’argile, c’est pareil parce que c’est une dégradation des minéraux réalisée par la matière vivante, par les arbres et par les plantes qui se dégradent après et donc, ça forme cette terre, matière vivante tout autant. J’ai besoin de sentir l’histoire des choses. »
« Seuls, les mots calment le feu intérieur… »
Et il y a toutes les autres sculptures… Medusa, représentation de la jeunesse qui anticipe le futur, Euryale, grande voyageuse dans la tradition grecque, les méandres de vie surgissant de son abondante chevelure (il sculptera aussi Sthéno, la troisième) ; Tesser’Act, une sculpture en chêne et résine, née de douelles de tonneaux usagers, l’essence de la femme qui plie et ne rompt pas ; Euryale à l’or « émergeant d’un chaos informel de blanc, d’encre et de fusain » ; « J’ai 70 ans », projection future de l’artiste… En amont de chaque œuvre se trouve souvent une histoire personnelle, comme sa tête de Christ dont le cri suggéré est saisissant et qui touche énormément. On ne reste pas insensible devant cette œuvre-là. « C’est vrai que j’ai une certaine spiritualité, je ne me revendique pas d’une église, mais j’aime bien la spiritualité asiatique qui fait qu’on éteint tout et qu’on fait partie de l’univers, de l’énergie, de tout ce qui va avec, j’aime bien la notion d’amour qu’on peut avoir dans le christianisme, le partage aussi – le message d’origine – je suis issu d’une culture catholique ; en France, on est plutôt catholique par tradition, je travaille à partir de cette culture-là. J’intègre mon art dans cette culture. Sans être pour autant un artiste religieux ».
Et puis des pages et des pages d’écriture et depuis la plus tendre enfance : « Il est des soirs, où le sommeil me fuit et où ni le dessin ni la peinture ou la sculpture ne me reposent. Seuls les mots calment le feu intérieur, cette lutte perpétuelle pour un équilibre mental.»
Je lui demande encore quel est le moment le plus important dans sa vie créative. C’est quand il prépare l’œuvre, qu’elle soit peinte, sculptée ou écrite (il la garde à l’intérieur, dit-il, il la travaille…) et enfin, ce moment où il la réalise ; alors, voilà le silence qui tombe soudain, c’est-à-dire la seconde à partir de laquelle il n’y a plus rien à faire – un moment qui peut être très long ou très court – il n’y a plus que l’œuvre et soi-même :
« Et c’est là, alors qu’elle prend naissance d’elle-même, qu’elle se charge du regard, de ce que les gens lui donnent et quand j’ai une pièce d’art qui part de l’atelier, ben, c’est un relâchement ; ce que j’ai mis dedans, histoire, émotion, ma réflexion, l’intention, l’intensité de mon travail, vont vers quelqu’un d’autre, pour soi-même ou dans un cadre public où tout le monde peut la voir ; c’est une personne qui emmène tout ce que j’y ai mis… Ce qui fait que moi, ça m’en libère, mais c’est aussi un réel partage. Pour moi, l’art c’est ça, c’est permettre à d’autres, dans la journée, le soir, d’avoir un instant d’intimité face à l’œuvre, pour oublier peut-être une peine, une journée de travail, se ressourcer, ne plus penser au présent, au passé. Même si l’œuvre peut être terrible émotionnellement, traduire un cri, une colère, pouvoir se dire enfin : « Ah ! Ça va mieux ! »
« Je suis à la recherche du Beau. Mon Beau. Celui qui me construit en tant qu’individu. Qui me guide. L’Art n’est pas Philosophie. L’Art n’est pas Design. Nous sommes des artistes. Certes, nos œuvres provoquent, surenchérissent, développent des idées, des utopies. Laissons les concepts aux designers, ils sont là pour ça. Et racontons des histoires, avec ou sans H. Racontons nos propres vies et pensées et émotions et sensations. Arrêtons de faire du conceptuel qui questionne et faisons du Beau émotionnel. De cet art qui enchante notre quotidien et non qui veut transformer notre quotidien en exceptionnel. Après tout, Midas est un mythe. On ne peut pas tout transformer en or. » (Phil. De l’art contemporain qui se questionne.)
« Atelier-Galerie Phil », 61 de la rue de Pessac. Il y ajoute :Galerie 61 atelier, car Phil entend y offrir des expositions régulières, ouvertes à d’autres artistes, y amener aussi des talents musicaux pour des après-midi ou soirées jazz, blues, de musique classique, dans le sens de la Grèce antique, c’est-à-dire remettre l’art au cœur même de la cité, ramener les artistes au centre, impulser un échange permanent avec les gens. (Lien : http://byphil.eu/skill/peinture et Facebook : PHIL (page artistique)
Phil a exposé en divers lieux, Finlande, Russie, Barcelone…. à Bordeaux, en particulier dans le renommé Hôtel de Sèze, et aussi chez Bernard Magrez (Institut Culturel), mécène, important propriétaire s’il en est de grands vignobles bordelais et internationaux ,qui l’a repéré, et chez lequel, d’ailleurs, il a remporté le Grand Prix 2016, avec la joie de voir sélectionner une de ses œuvres, « Rose trois », peinture plomb, grattage. « Un grand bonheur ! », me dit-il. Mais l’Art est aussi et toujours dans la rue, ainsi cette année, pour Bordeaux Fête le vin, Phil s’est-il impliqué, en partageant avec d’autres le Mur des Artistes.
Un reportage de Jean-Louis LORENZO