L’éclosion du net et sa pandémie de sites et de blogs personnels semblaient être les prémisses d’une nouvelle ère de la communication, démocratique et pluraliste. Avec le recul, cette heureuse perspective doit cependant être corrigée. L’internaute attentif, le blogueur, le réseauteur non monomaniaque, donc celui qui picore sans addiction et s’acharne à garder un recul sur ce qu’il voit, pourra aisément s’en rendre compte : peu, voire très peu de contenus expriment directement et d’une façon argumentée la pensée de leurs auteurs.
Qui regarde défiler son fil d’actualités verra de façon redondante, s’écouler un interminable flot de vidéos, de citations rapatriées du net et de titres de journaux. Sans véritable analyse préalable ni lecture complète du contenu dans certains cas, ainsi que l’attestent parfois les rares commentaires du publicateur. L’information pléthorique et instantanée qui fleurit aujourd’hui trouve donc là un canal naturel, alimenté gratuitement par ceux-là mêmes qui se plaignent d’en être gavés ou d’être exploités par le système.
Autre tendance assez bien observée : l’exposition tout à fait volontaire des aspects privés, voire intimes de sa vie. À l’heure où chacun dénonce le fait d’être observé, traqué par une société dévorée d’un besoin sécuritaire et acharnée à empiler des données, c’est de façon tout à fait délibérée que photos et informations privées sont postées sans la moindre précaution, cette manie ne s’étant jamais inversée malgré les recommandations multiples en la matière.
Aurions-nous moins peur de nous montrer que de dire ?
Enfin, dernier usage, mais non le moindre, des réseaux : devenir la plaque tournante de tous les petits commerces qui ne trouvent pas à s’exercer ailleurs. L’offre est large et a le mérite de mettre en lumière maints auteurs, artistes et artisans qui ne peuvent, faute de moyens ou de reconnaissance publique, s’adosser à la distribution classique. Néanmoins, le désir légitime d’être connu ou de vendre ses œuvres tourne parfois au harcèlement malvenu, certains n’hésitant pas à bombarder votre boite mail des liens renvoyant à la plateforme qui vend leur production.
Triste cerise sur le gâteau, l’écriture peu orthodoxe, voire parfaitement décomplexée qui sévit là interpelle aussi : s’il ne s’agit pas de faire un concours de dictionnaires, soigner aussi peu son écriture sous prétexte de l’instantanéité et de la volatilité du net revient à sortir dans la rue avec une robe tachée ou une mise bien négligée : lequel d’entre nous le ferait ? Or, notre langage est aussi notre moi.
La blogueuse et rédactrice, au demeurant modeste que je suis, s’interroge donc fortement : n’aurions-nous donc rien à dire ? Ne pourrions-nous nous abstenir de poster des resucées d’une actualité qui nous poursuit à longueur de vie sans nous laisser le temps de la respiration ? Manquerions-nous de confiance dans notre capacité à écrire, à nous exprimer clairement, Aurions-nous peur du jugement de nos semblables ?
Il est vrai que certains s’autorisent, sous couvert de l’anonymat relatif observé sur la toile, à cracher leur venin ou à exsuder une bile coriace au mépris de toute règle de civilité ou de respect . Mais avec un peu de vigilance et du tri, bien peu malin sera celui qui ne les repérera pas. Cela étant, la toile rappelle à bon escient à une société bien oublieuse que la première violence est langagière : qui harcèle, insulte, méprise, porte des coups à ses semblables, et nous devons communément réfléchir à ce que nous écrivons.
Comme pour tout contenu écrit, une question se pose donc : quelle est notre intention ? Qu’avons-nous envie de dire, de susciter lorsque nous publions ? Pourquoi trouvons-nous normal de ne pas soigner ce contenu ?
Ceux qui faute de temps ou d’opportunités auraient gardé au fond d’un tiroir dessins, poèmes, photographies, idées, s’enhardissent à publier et à partager pour le plus grand bonheur de tous. Ceux que leur vie musèle, ceux que la lumière éclaire peu, peuvent donc par ce biais, se mettre sous les feux de la rampe et montrer ce qu’ils ont dans le ventre.
Ce qui singularise un être humain, c‘est aussi sa pensée, sincère, spontanée, nue. Sa plus grande liberté réside peut-être là, dans cette capacité à dire le monde à sa manière. Non par le truchement d’un autre plus célèbre ou d’une autorité reconnue, mais par sa propre bouche. En étant ce qu’il est.
Pourquoi nous en priver ?
Rédactrice Colette Fournier
Pluton-Magazine.
Photos Iphone: ©Pluton-Magazine