Les Selfies où en sommes nous aujourd’hui?
Georges Cocks fait le point pour Pluton-Magazine
Elle ne se trouve pas sur le Guinness des records, mais sur une carte SD ou la mémoire d’un téléphone, si avec un peu de chance, le cliché a eu le temps d’être enregistré.
Depuis l’essor des réseaux sociaux et les performances multimédias des smartphones, des millions de personnes ont adopté la nouvelle habitude quotidienne de se prendre en photo : le selfie. Mais ce geste quotidien, pourtant banal, vient augmenter le nombre de décès dus à l’utilisation du téléphone portable au volant ou tout simplement en marchant.
Mourir en prenant un selfie est devenu une épidémie : cette cause de décès est en pleine expansion.
- En Inde, trois étudiants entre 20 et 22 ans sont morts en voulant se photographier devant un train qui arrivait, ils n’avaient pas vu qu’un autre train fonçait sur la voie où ils se tenaient.
- Au Portugal, un couple de Polonais en vacances avec ses enfants est tombé en voulant se photographier au bord d’une falaise.
- Au Mexique, un homme de 21 ans s’est tiré une balle dans la tête en voulant se photographier avec un pistolet sur la tempe. Il était malencontreusement chargé.
- En Russie, une jeune femme de 17 ans s’est photographiée sur un pont puis a perdu l’équilibre et s’est écrasée sur le sol.
- Une jeune Roumaine de 18 ans est morte électrocutée en voulant se prendre en photo sur un train. Une fois sur le toit de la locomotive, son pied a glissé et a touché un câble électrique.
- En Espagne, une étudiante polonaise de 23 ans est décédée en tombant d’un pont.
Ce n’est que quelques cas parmi d’innombrables drames à travers le monde et malheureusement, le plus souvent, ce sont les jeunes qui payent un lourd tribut.
Autrefois, il était courant de demander à un passant de prendre la photo souvenir, mais ça, c’était à l’époque des appareils photo. Ce gentleman pouvait dire tout ce qui n’allait pas car il ne se focalisait pas seulement sur la personne, mais aussi sur le cadre et l’environnement (la doublure de la poche qui sort, le col plié…). Qui oserait aujourd’hui confier 600 euros à un illustre inconnu qui risque de prendre ses jambes à son cou sans que l’on ne puisse rien y faire ! L’introduction de la perche est devenue la solution à tout ce tracas.
Ervin Punkar
Au pays de Ghandi…pas si sage que ça
En Inde, 76 personnes ont trouvé la mort ces deux dernières années en voulant se prendre en photo, selon une étude publiée par l’université américaine Carnegie Mellon et l’institut Indraprasth de la technologie de l’information, à New Delhi.
En quête du selfie parfait, plus de gens sont morts au pays de Ghandi pendant cette période que dans le reste du monde, selon les chercheurs qui ont identifié sur internet et les réseaux sociaux un total de 127 « morts par selfie » depuis mars 2014. « Ce phénomène est tellement désastreux que durant la seule année 2015, il y a eu plus de morts dues aux selfies qu’aux attaques de requins à travers le monde », commentent les chercheurs sur leur blog.
Face à la hausse du taux d’accidents, la mairie de Mumbai, la capitale indienne, a mis en place des « no selfie » zones dans plusieurs de ses attractions touristiques. Ceux qui osent entrer dans ces zones se verront infliger une amende de 1200 roupies, soit environ 15 euros, même s’ils ne prennent pas de photos. L’année dernière, le gouvernement russe a publié un guide de conseils pour prendre des selfies en restant sain et sauf. L’office de tourisme norvégien a également pris la même initiative. Des organismes de sensibilisation ont également été créés, à l’instar de #Selfietodiefor. (Sources Theverge.com, Ministry of internal affairs RU , Besafie)
Comment expliquer ce comportement ?
Ervin Punkar
L’autoportrait représente 30 % des photos postées en ligne chez les 18-24 ans. Le nombre de vues, le nombre de likes et les tweets poussent les personnes à se mettre dans des situations périlleuses. Les gens font très peu de cas de ce qu’ils visitent. Ils veulent montrer aux autres avec véracité le lieu où ils se trouvent en partageant instantanément des selfies. Ils ne profitent pas de leur voyage complètement, laissant la part belle à la photographie qui ne ramène ni odeur ni saveur à la fin de leur séjour. Le fait de prendre sa photo fait que l’attention est entièrement portée sur soi-même en essayant de valoriser sa propre photogénie que peuvent parfaire ces nouveaux outils ultraperformants.
Le selfie a provoqué 22 décès depuis le début de l’année 2016. Bien entendu, ce n’est pas la photo en elle-même qui provoque la mort, mais le comportement à risque lié à la recherche de sensation pour détonner sur les réseaux sociaux. Ainsi, le selfie pourrait être perçu comme n’importe quel comportement à risque à l’instar de l’état d’ivresse ou l’usage des stupéfiants. (Source Wikipédia)
Ce geste devenu quotidien révèle beaucoup de choses sur notre société actuelle. La psychologue et philosophe Elsa Godart a analysé cette nouvelle habitude dans son livre Je selfie donc je suis. « Le selfie serait apparu en 2002 sur un forum en ligne australien (ABC Online), dérivé du terme anglais self, qui signifie « soi » et parfois « étant seul », auquel on aurait ajouté le suffixe argotique et affectif « ie ». De là, révolution technologique aidant, il s’est rapidement étendu au monde entier. En 2013, selfie a été élu « mot de l’année » dans les dictionnaires d’Oxford et, en 2016, il est présent dans les dictionnaires français. Désormais, impossible de faire sans », explique-t-elle. (Source Huffington Post /Elsa Godart)
Elle analyse également le geste en lui-même. « Le selfie est l’emblème de nombreuses révolutions dans lesquelles nous nous trouvons entraînés. Tout d’abord, le selfie ne pouvait avoir lieu sans une révolution technologique : l’arrivée du numérique a amorcé un certain nombre de ruptures qui ont bouleversé en profondeur nos modes de vie. Cette évolution a entraîné une modification radicale de notre perception du monde, que l’on peut qualifier de révolution humaine, et dans laquelle deux changements majeurs peuvent être retenus : ceux de notre rapport à l’espace-temps et au langage. Avec le selfie, il est bien évident que c’est d’abord la « représentation de soi » qui est en jeu, et qu’il impose une réflexion sur le narcissisme », commente Godart.
Au-delà de la révolution sociale et culturelle, l’intellectuel noircit le portrait du selfie. « Un tel questionnement a des répercussions dans notre rapport aux autres, à rapprocher de celles qu’amène la crise identitaire de l’adolescence, en entraînant ainsi une quatrième révolution, sociale et culturelle. La société se transforme ainsi peu à peu en un théâtre de représentation de nos ego, un jeu dans lequel on ne peut ignorer la dimension aussi sympathique, amicale et créative du selfie, une pulsion de vie qui traduit une révolution érotique. Toutefois, Eros ne va pas sans Thanatos, la pulsion de mort : le selfie a sa part d’ombre dans le poids de solitude qu’il peut dissimuler, dans ses excès morbides, il manifeste une sixième révolution, pathologique », détaille-t-elle. ( Source psychologies.com)
Un problème de santé mentale ?
Ervin Punkar
La mode montante et ravageuse qui consiste à prendre des selfies avec son smartphone est liée directement à un conditionnement défaillant de la santé mentale, qui concentre la personne sur l’obsession de son apparence.
Selon le psychiatre David Veal : « Deux personnes sur trois qui viennent me consulter ont de gros désordres psychologiques déclenchés entre autres par l’apparition des téléphones portables avec caméra, dits smartphones, et développent de manière compulsive le besoin de se prendre régulièrement en photo pour ensuite les partager sur les réseaux sociaux. Les thérapies comportementales sont mises en place pour aider le patient à reconnaître son besoin compulsif pour qu’il puisse ensuite le modérer ».
Un adolescent britannique a tenté de se suicider après avoir raté une tentative de « selfie parfait ».
Danny Bowman est devenu tellement obsédé par son projet de prendre le cliché parfait qu’il y a passé 10 heures par jour avec une moyenne journalière de 200 selfies. Le jeune de 19 ans a perdu quasiment 15 kilos, s’est fait renvoyer de l’école, et n’est pas sorti de chez lui pendant près de 6 mois, tout ça pour obtenir le cliché parfait. Frustré par toutes ses tentatives manquées, le jeune Bowman a tenté de mettre fin à ses jours, mais a été sauvé in extremis par sa mère.
« J’étais constamment en recherche du parfait selfie et quand j’ai réalisé que je ne pourrais jamais y parvenir, j’ai voulu mourir. J’ai perdu mes amis, gâché mon année scolaire, ma santé et presque ma vie », a-t-il déclaré au Sunday Mirror en mars 2014.
Le photographe, une victime malgré lui
Ervin Punkar
Après la cabine photographique communément appelée Photomaton qui réduit le passage chez le photographe pour les photos d’identité, le smartphone lui a aussi piqué une part du gâteau. Mais si vous voulez une photo de qualité pour votre carte d’identité, permis de conduire et passeport, rien ne vaut le détour chez le photographe. De plus, ce sont des documents que vous allez conserver longtemps ; vous aurez donc toujours une fierté de les sortir à chaque fois que l’occasion l’impose. Les banques de photos en ligne proposent à des coûts minimes de la photographie en tout genre, ce qui occulte le recours à un photographe. Le client exigeant veut désormais négocier et décide souvent du prix de la prestation du professionnel quand certains photographes sans formation, autodidactes et adeptes des logiciels de retouche de toute sorte viennent porter le coup de grâce. C’est vrai que si on veut faire des tonnes de photos avec son chien, ses amis ou sa famille, on aura du mal à se payer le service d’un photographe, surtout quand on finit soi-même par poster la photo soit disant intime dans l’euphorie ; c’est à se demander ce qu’il se passe dans nos petites têtes.
En attendant, faites très attention lorsque vous prenez des photos de vous, pour quelques likes ou cœurs sur un réseau social, qui ne valent sûrement pas la peine de vous mettre en danger. Vous pouvez aussi tout simplement demander à quelqu’un de vous prendre en photo et profiter pleinement de vos vacances au risque de tout perdre si vous perdez votre téléphone ou votre support de sauvegarde. So take yourself more than your selfie and try to be less selfish in this short life.
Si vous voulez d’une photo parfaite, le bon vieux photographe sera toujours là et la photo aussi jusqu’à la fin de vos vieux jours.
Et surtout ne faites pas ce qu’Ervin Punkar fait
Rédacteur Georges Cocks
Secrétariat de rédaction: Colette Fournier
Copyright Pluton-Magazine/2016
Crédit photos (Ervindfr – instagram) and (ErvinPunkar – Youtube)- Tallin Estonie
Ervin Punkar réalise des vidéos d’aventure et d’escalades.
Article réalisé à partir de plusieurs sources d’informations.
Autres sources d’actualités :
– The dailygeek show
– Le Parisien
– Note du Professeur anglais David Veale, psychiatre en trouble mental du comportement, stress, dépression à Priory Hospital North London, traduit par Astu Bardamu.