De l’auditorium Bernanos à Pavillon de musique Comtesse du Barry: deux concerts Inventio.

Lancé en 2016, le concept des concerts inventifs d’Inventio continue à se développer en 2017. En ce début d’année, deux concerts ont retenu l’attention des mélomanes :

– Le 11 janvier, à l’auditorium Bernanos, à Paris, dans le 9° arrondissement, Léo Marillier, violon, et Antoine de Grolée, piano, dans Inaccessibles Maîtres, les compositeurs face à leurs modèles.

– Le 15 janvier, dans un lieu magnifique et chargé d’histoire, le Pavillon de musique Comtesse du Barry, sous l’égide de la Fondation Dumeste, Léo Marillier, violon, et  Irakly Avaliani, piano.

Pluton-Magazine revient sur ces deux moments forts de janvier.

Les musiciensLéo Marillier, violoniste. Antoine de Grolée, pianiste. Irakly Avaliani, pianiste

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Antoire de Grolée-Leo Marilier/ Irakly Avaliani Léo Marillier

Dans le cadre du concert Inaccessibles maîtres, les compositeurs face à leurs modèles, des œuvres variées étaient présentées à l’auditorium Bernanos.  Pour les afficionados des concerts Inventio, l’introduction des œuvres par les musiciens est devenue une habitude.

De nouveaux adeptes, de plus en plus nombreux, des concerts Inventio, ont pu découvrir deux artistes brillants à la rencontre de deux dynasties musicales majeures : Beethoven et Scriabine. Leo Marillier présente les œuvres avec beaucoup d’émotion, tentant à chaque fois de créer, de souligner la quintessence de l’œuvre avec ses mots, mais c’est lors de l’exécution que le public admiratif se laisse emporter et que jaillit le travail minutieux des compositeurs.

Première sonate pour violon et piano en la mineur, Op.105 (1851) (Robert Schumann 1810-1856)

« À la suggestion de Mendelssohn et afin qu’il s' »académise », Schumann décide, en 1840, de composer de la musique de forme classique – quatuors et symphonies. Puis s’ensuivront les œuvres romantiques qu’on connaît. Ce n’est que onze ans plus tard, à la suite d’une profonde crise, qu’il se remet au modèle classique avec cette ombrageuse sonate, et ce retour sonne comme un abandon. L’ombre du classicisme et surtout de Beethoven – celui de l’Appassionata – rôde dans la douceur féerique du mouvement lent et dans l’insatiable mouvement perpétuel du dernier morceau. Schumann lutte contre ses propres penchants pour l’évocation courte »1 (Léo Marillier)

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Nikolay Roslavets (1881-1944) Légende (1930)

« À la pointe du modernisme russe des années 1910, le style de Roslavets, penseur et créateur, emprunte très tôt celui de Scriabine, avant que le musicien reçoive le sobriquet de « Schoenberg russe » pour son travail théorique. Il a en effet créé un système harmonique mêlant les trouvailles de ses deux modèles – modèles contre son gré, si j’ose dire. Après une période créatrice où la complexité du motif n’a d’égal que la superposition rythmique, il retourne, suite à la révolution bolchevique, à la tonalité et à l’héritage romantique, à l’âge de 50 ans. La Légende est l’une de ces œuvres, d’une grande maîtrise tonale et formelle, qui mêlent les mélodies vénéneuses d’un Scriabine à une éloquence décadente, un souffle brûlant. »2 (Léo Marillier)

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Ivan Wyschnegradsky (1893-1979) Chant douloureux et Etude Op.6 (1918)

« Tout aussi théoricien que son ami Roslavets, tout aussi féru de Scriabine et de mysticisme, lui aussi créa son « système » musical, basé sur les capacités de l’oreille. Ivan Wyschnegradsky s’aventura pour ainsi dire entre les notes. Il fut pionnier de la micro-tonalité, reprenant le flambeau du Mysterium inachevé de Scriabine. Comme il est énormément productif, chacune de ses œuvres va plus loin dans cette recherche de sonorités tangentes, d’émotions secrètes, que la musique chromatique ne savait déceler. Ce chant douloureux mérite bien son nom : la désinence, la courbe que provoque un quart ou un sixième de ton offre de nouvelles consonances à l’harmonie et fait vibrer des cordes inouïes du corps humain…Trop rarement joué, l’on doit pourtant au compositeur russe Ivan Wyschnegradsky des expériences musicales bouleversantes. Le Chant Douloureux et l’Étude ont suivi le tourment de la révolution de 1917 et la prise de conscience mystique dont il est le témoin et l’auteur, qui ont conduit à la composition de deux de ses œuvres emblématiques, la Journée de l’Existence, et l’Évangile Rouge. De dimensions plus discrètes, les deux pièces pour violon et piano suivent chronologiquement ces dernières et se remarquent par la très forte influence des dernières œuvres de Scriabine, tout en restant plus tonalement. »3 (Léo Marillier)

 Bach, Ysaÿe et Brahms au Pavillon de Musique Comtesse du Barry (concert du 15 janvier)

S’y ajoute la sonate de Schumann, déjà jouée le 11 janvier.

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« Bach est le catalyseur de l’histoire de la musique. Il a rassemblé et fondu dans une synergie unique toutes les traditions musicales européennes depuis la fin du Moyen-âge. D’où l’inspiration continue de ce premier compositeur de l’époque moderne. Ce statut de « rassembleur » irrigue chaque compositeur par la suite, à des intensités et des degrés divers. Par exemple, Ysaÿe reprend le schéma des six sonates et partitions de Bach pour violon seul, et décide à son tour de faire une forme de synthèse, à l’aube du modernisme des années 1920. Les œuvres sont d’expression plus elliptique, suggérant parfois l’esthétique baroque. Par exemple, cette seconde sonate s’intitule Obsession ; le pluriel n’aurait pas été superflu, tellement une force incalculable mène la musique à son point de dépassement. Le violon y est traité comme un orgue, un orchestre. On entend sourdre l’appel de Bach, et le célèbre Dies Irae qui sonne le pas de vie et le glas du compositeur. L’humour s’y introduit de place en place… »4( Léo Marillier)

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« Inspiré par Schumann et surtout par Bach, Brahms coule dans cette rhapsodie l’omniprésence de la recherche d’une continuité sous-jacente, malgré la présence de silences contrastés et autres éléments perturbateurs. Si l’ordre est caché, l’émotion, elle, est mise sur le devant de la scène : les rhapsodies provoquent une effusion sublime et ambiguë, évocatrices et divergentes. Elles fondent une quintessence de la profondeur de la pensée de Brahms. »5 (Léo Marillier)

Le concert du 11 janvier, à l’auditorium, fut indéniablement un succès. De nombreux applaudissements et un public enthousiaste, dont les quelques réactions figurent ci-dessous, en sont la preuve.

Un public parisien ravi.

 « Hier soir, à l’espace Bernanos, Léo Mariller et Antoine de Grolée nous ont ravis. Le silence était dense pour accueillir ce magnifique duo et les applaudissements unanimes pour saluer leur flamme, leur maturité et la passion de leur interprétation au service de Schumann, Brahms et de Roslavets, Wyschegradsky, belle découverte de deux compositeurs russes pour nombre d’auditeurs. » (Commentaire de Madame Martine Joste, présidente de l’association wyschnegradsky)

 « Non seulement, l’avoir entendue aux côtés d’œuvres de Schumann et Brahms, a fait directement intégrer Ivan Wyschnegradsky dans le grand répertoire sans plus en réserver l’écoute à un public d’initiés, mais –- et ce n’est pas le moindre des compliments – votre interprétation, cher Léo, autant sensible qu’inspirée, a favorisé l’accueil enthousiaste du public. Il est devenu alors évident que la lignée de ces œuvres majeures du XIX° siècle continuait sans rupture vers les œuvres de Wyschnegradsky. Encore bravo et merci pour l’expression et la poésie que vous avez su donner et transmettre dans cette œuvre. »

« C’est dans un auditorium comble que Léo Marillier et Antoine de Grolée ont offert un moment d’une rare intensité et d’une extrême beauté. C’était très probablement l’unique lieu à Paris où nous pouvions découvrir et apprécier le Chant douloureux et étude de Wyschnegradsky. Entre impressionnisme et modernité, cette musique pour violon et piano est une merveille. Léo Marillier apporte une émotion et une limpidité à cette musique inconnue, jouant les micro-intervalles avec une précision incroyable. Il nous livrait, lors de l’après-concert, qu’il pense ses interprétations de manière à ce que l’auditeur ait le sentiment d’écouter la plus belle musique jamais composée. C’est bien le sentiment qui a animé tout l’auditoire mercredi soir. Bravo et merci ! »

« Ce que Léo obtient de son violon est magnifique. Ces deux artistes font preuve d’une technicité parfaitement maîtrisée, mais ils y mettent tant d’émotion, de force et de nuances qu’ils la transcendent. Les commentaires de Léo nous préparent et nous disposent à écouter la musique. Ils nous mettent dans l’état d’esprit du compositeur. »

« Nous sommes des fidèles de cette nouvelle série de concerts  « after work » dont la qualité  musicale est à chaque fois époustouflante. La salle Bernanos, par sa taille et ses arcades voûtées, est propice à une ambiance à la fois concentrée et chaleureuse. La présentation des œuvres par Léo Marillier lors de ce concert du 11 janvier y a également beaucoup participé, car y éclatent son enthousiasme et son immense passion pour les œuvres qu’il met en relation entre elles ou avec leur époque. En fait, il a le talent de préparer le public à l’écoute tout en donnant l’impression d’être entre amis, loin de ce que peut suggérer le concert classique. Lorsqu’il casse une corde – à l’entracte, quel bon goût ! –  quand sa sœur Juliette, luthière et archetière, change alors la corde de son violon, il nous fait entrer dans l’intimité des musiciens ; toute la salle réagit et participe. Magistrales de maturité et de profondeur, les sonates de Schumann et de Brahms ont produit une harmonie totale, une respiration coordonnée de tous les spectateurs magnétisés par les mêmes courbes musicales. Conjuguant œuvres-repères du grand répertoire et autres plus rarement jouées, le récital  Inaccessibles maîtres  nous a fait découvrir, par exemple, Légende de Roslavets,  déroulant un long et magnifique thème dans le grave. Le duo Léo Marillier-Antoine de Grolée partage intériorité, technique infaillible, expressivité subtile et raffinement dans la recherche des sonorités. Nous attendons avec impatience le prochain concert, prévu le 22 février, pour découvrir l’univers musical d’autres artistes. »

En banlieue, où le public est légèrement différent, des réactions du même ordre. Nous avons retenu quelques réactions du concert de Louveciennes au Pavillon Comtesse du Barry

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« Admirable moment musical – Très beau concert cet après-midi, à Louveciennes, avec un jeune violoniste bouillonnant de 21 ans, Leo Marillier, bardé de diplômes et à la carrière déjà très riche, et le pianiste Irakly Avaliani, extraordinaire par son toucher infiniment subtil et son sens rythmique stupéfiant. J’ai particulièrement apprécié la Sonate de Schumann magnifiquement interprétée par ces deux musiciens dont les qualités sont justement celles qui permettent de donner à cette œuvre toute sa force. »

« J’ai moi aussi été envoûtée notamment par cette interprétation de la sonate n° 1 de Schumann, si brûlante. Cette sonate explorant les ressources du grave avec génie – de la plainte à l’humour en passant par le tourment, la véhémence – confirme l’éloquence du violon de Léo. Et que dire d’Irakly –merveilleux pianiste dont la réputation n’est plus à faire – au jeu perlé et unique. »

« J’avais déjà entendu le pianiste splendide et inimitable qu’est Irakly Avaliani ! Et j’ai découvert le jeune violoniste au cours de ce concert. Sonorité, maîtrise, profondeur et intelligence  : Léo Marillier, m’a vraiment conquis, ce superbe engagement, cette plénitude d’interprétation à seulement 21 ans. Une vraie révélation… Cerise sur le gâteau : les présentations des œuvres, par le jeune violoniste, exceptionnelles d’érudition et de simplicité. »

« J’ai découvert ce pianiste tout récemment, grâce à un concert organisé par une association très investie dans la promotion d’artistes à découvrir. Avec Léo Marillier, (violoniste de vingt et un an au parcours aussi impressionnant qu’est l’étonnante maturité musicale dont il fait déjà preuve), Irakly Avaliani interprétait la première sonate de Schuman, puis, seul au piano, deux pièces de Brahms. Le toucher magique de ce pianiste issu de l’école russe, mais également féru des travaux de Marie Jaëll, m’ont enchanté. »

Ces deux concerts à succès ne font que confirmer le développement de ce projet Inventio.  Nous vous invitons à le suivre tout au long de cette année 2017. Le prochain concert aura lieu le 22 février, à l’auditorium Bernanos.

Propos recueillis par Dominique Lancastre

Secrétariat de rédaction Colette Fournier

Notes de programme de Léo Marillier 1/2/3/4/5

Remerciements Fondation Dumeste

 Programme Inventio 2016/2017

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