Fabienne Kanor, la pacotilleuse.

Dossier littéraire.

Dans  le cadre de la journĂ©e de la femme. Fabien Kanor, la pacotilleuse. Un texte de Dominique AurĂ©lia maĂźtre de confĂ©rences Ă  l’UniversitĂ© des Antilles (UA) en Martinique.

12193646_422714154586486_1253509034728009166_n-1Fabienne Kanor relate des histoires troublantes et ordinaires d’hommes et de femmes (surtout de femmes) dĂ©placĂ©s, en quĂȘte de routes pour saisir le monde. Son Ă©criture fĂ©roce qui bouscule, hante et dĂ©range le lecteur est liĂ©e par tous les fluides qui exsudent du corps : sang, urine, salive, car le corps est langage, nous dit-elle. Corps qui parlent et racontent : corps qui chancellent (Les chiens ne font pas des chats, 2008), corps-tombeaux (Humus, 2006) corps humiliĂ©s (D’eaux douces, 2004, Anticorps, 2010) corps en dĂ©rive (Faire l’aventure, 2014). Ainsi, les corps procĂšdent Ă  une Ă©criture du deuil et de l’intime, une inscription de l’extime[1] puisque ce sont des corps qui racontent, des corps intranquilles qui inventent un autre tragique, plus torturĂ©, plus insupportable que la vie elle-mĂȘme. Les personnages de ses romans choisissent la dĂ©raison et l’excĂšs comme pour dire que l’écrivaine a choisi le champ du contre-exotisme : pas de mer azur et de vols de colibris, ni d’odeur de cannelle et de vanille mais des personnages en errance sur des mers qui souvent les happent et les noient (Humus, Faire l’Aventure), ou sur des routes sans horizon (Les chiens ne font pas des chats, Anticorps, D’Eaux douces) qui dĂ©rivent en des marelles endiablĂ©es ou tragiques.

NĂ©e en 1970 dans une famille d’Antillais ayant choisi la migration vers la France pour s’assurer une meilleure vie, elle grandit dans la ville d’OrlĂ©ans. D’abord journaliste Ă  la tĂ©lĂ©vision (La CinquiĂšme, Paris PremiĂšre, France 3 et CFI), elle rĂ©alise une sĂ©rie de documentaires dont des portraits de femmes noires artistes, telles que Jenny Alpha, CĂ©saria Evora et Mimi BarthĂ©lĂ©my. D’un sĂ©jour de deux ans Ă  Saint-Louis du SĂ©nĂ©gal et d’une relation amoureuse douloureuse naĂźt un premier roman : D’Eaux douces (prix Fetkann 2004), paru dans la collection Continents Noirs chez Gallimard. Lors d’une confĂ©rence donnĂ©e Ă  l’universitĂ© d’Iowa en 2011[2], elle fait rĂ©fĂ©rence Ă  la frustration de son pĂšre, simple facteur antillais humiliĂ© par l’arrogance bourgeoise de la ville d’OrlĂ©ans, qui avait dans sa sacoche d’agent de la Poste, des enveloppes pleines de mots, des mots qu’il dĂ©chiffrait dans une rancƓur silencieuse. Il est intĂ©ressant de noter que le rapport de son pĂšre Ă  l’objet-lettre donnera plus tard naissance au sujet-fille-Ă©crivain. Cette mĂ©taphore des « lettres en souffrance »[3] pour emprunter l’expression de Lacan, figure bien la notion de transfert et de transposition dans la relation de Fabienne Kanor Ă  son pĂšre et de son choix de l’écriture fictionnelle.

Elle Ă©crit un texte pour le théùtre, Homo Humus Est, mis en scĂšne au Théùtre du Rond-Point, Ă  Paris, en 2006, puis au Théùtre National de Toulouse en 2008. Son deuxiĂšme roman, Humus, paru en 2006, reçoit le prix RFO en 2007. InspirĂ© d’un sĂ©jour Ă  l’üle de GorĂ©e, Humus est un enlacement et un Ă©clatement polyphonique des paroles des onze captives africaines d’un bateau nĂ©grier en route vers les Antilles, de chansons de marin et de la voix de l’auteure. Humus explore les thĂ©matiques de race, d’histoire et d’identitĂ©. En 2007, elle publie un conte pour enfants, Le jour oĂč la mer a disparu, suivi de Les chiens ne font pas des chats (2008) dans lequel les personnages dĂ©ploient entre BrĂ©sil, France et Afrique leur vie ratĂ©e dans toute leur dĂ©mesure. En 2008, elle est laurĂ©ate d’une Bourse Stendhal pour son projet d’expĂ©dition littĂ©raire « Sur les traces de l’immigration ouest-africaine ». Elle publie Anticorps (2010), un rĂ©cit qui dĂ©crit la dĂ©chĂ©ance et la dĂ©crĂ©pitude d’une dame ĂągĂ©e confrontĂ©e Ă  l’amertume d’une solitude qu’elle s’est choisie. Son dernier roman, Faire l’aventure (2014), raconte les destins croisĂ©s de deux jeunes migrants sĂ©nĂ©galais, Biram et MarĂšme, transplantĂ©s dans la « forteresse europĂ©enne ».

ParallĂšlement Ă  sa carriĂšre littĂ©raire, Fabienne Kanor Ă©crit et rĂ©alise avec sa sƓur VĂ©ronique Kanor des films de fiction (moyens mĂ©trages) pour la tĂ©lĂ©vision : La noiraude (Bouquin AffamĂ© Productions, 2005) ; JambĂ© dlo : Une histoire antillaise (Emmanelle Bidou et Fabienne Kanor, Diffusion France cinq et tĂ©lessonne, 2007) ; Milo PĂČ kĂČ mĂČ (Fabienne Kanor et Jean-Michel CasĂ©rus, Productions la lanterne, 2008) ; C’est qui l’homme. (Fabienne Kanor et VĂ©ronique Kanor, France 2, 2009) ; Maris de nuit avec Gilles Le Mao et la maison de production La Huit (2012) ; Retour au cahier (2013) ; Un caillou et des hommes en collaboration avec VĂ©ronique Kanor (2014). Ce regard double d’écrivaine et de rĂ©alisatrice lui confĂšre cette possibilitĂ© toute particuliĂšre de dĂ©couper, assembler, monter des petits bouts d’existence ordinaire et misĂ©rable en de fascinantes histoires.

Fabienne Kanor est une Ă©crivaine des passages. Elle passe et repasse le Passage de la DĂ©veine (celui qui a englouti des milliers d’Africains en route vers les plantations des AmĂ©riques). Elle relie le triangle Afrique, AmĂ©riques, Europe en tous sens, haut/bas, envers/endroit, dedans/dehors car elle sait que les racines ne sont pas dans les terres, qu’elles plongent dans l’ocĂ©an sans ancrage. Comme d’autres Ă©crivains caribĂ©ens en diaspora (Edwige Danticat, Derek Walcott, Paule Marshall, Maryse CondĂ©), Kanor tente d’imaginer et de recrĂ©er les traces invisibles englouties par la TraversĂ©e. En cela, l’Ɠuvre de Fabienne Kanor s’inscrit dans le corpus des RĂ©cits de la TraversĂ©e ou Middle Passage Narratives dĂ©veloppĂ© par l’écrivaine afro-amĂ©ricaine Toni Morrison Ă  travers son Ă©blouissant roman Beloved (Morrison, 1987), dont l’enjeu est de reconstruire l’histoire par la rĂ©invention de la mĂ©moire, de raconter l’indicible, les choses tues pendant l’esclavage, en se les rĂ©appropriant. Ces Ă©crivains opposent la mĂ©moire littĂ©raire collective Ă  l’histoire officielle : ils occupent alors la position de tĂ©moins imaginaires mais intimes. Afin de combler les manques et les non-dits de l’Histoire, ces Ă©crivains (Toni Morrison[4], Octavia Butler[5], Édouard Glissant[6] pour en citer quelques-uns) recrĂ©ent et rĂ©unissent des lambeaux d’histoires anonymes soulignant la nĂ©cessitĂ© de la transmission contre le silence et l’amnĂ©sie. Dans Humus, Kanor théùtralise l’entreprise littĂ©raire qu’elle met en Ɠuvre et qu’elle considĂšre toutefois avec crainte : « Et tandis qu’une pluie de plomb fessait le dos de la mer, je songeai avec effroi aux couturiĂšres de la douleur. Par oĂč passerait le fil, jusqu’oĂč s’ouvraient le chas, la course des doigts Ă  la peine, la danse du ventre de l’aiguille. L’ourlet. L’histoire Ă  assembler piĂšce par piĂšce, Ă  passer-composer. » (243)

Dans ce roman, Fabienne Kanor dĂ©gage les rapports entre espace objectif et espace intĂ©rieur tels qu’ils se dessinent au fil de ce qui est un assemblage polyphonique de paroles donnĂ©es et rendues depuis le chronotope de la cale. Humus est aussi un jeu de corps : corps avili et rĂ©dimĂ©, corps divisĂ© et nĂ©gociĂ©. Kanor Ă©labore ainsi une cartographie de la rĂ©sistance figurĂ©e Ă  travers le corps. Ces corps dĂ©membrĂ©s et amputĂ©s sont des Ă©pitomĂ©s de l’esclavage. Comme le souligne Any Curtius dans son ouvrage Symbioses d’une mĂ©moire, manifestations religieuses et littĂ©ratures de la CaraĂŻbe[7], les eaux de la traversĂ©e sont Ă  la fois le lieu de l’ensevelissement des voix et des corps mais aussi les voies de transbordement, de la traversĂ©e d’un espace ontologique vers un autre non-reprĂ©sentable pour les captifs (Any Curtius, 2006).

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Dans le roman, le lecteur assiste Ă  la mise en scĂšne, rĂ©pĂ©tĂ©e Ă  travers les rĂ©cits des douze captives, de cette double opĂ©ration/dislocation des corps, de dĂ©sontologisme[8] et de rĂ©ontologisme, avortĂ©e puisqu’elle se conclut par la noyade dans les eaux de la mĂ©moire.

D’évidence, l’ocĂ©an nous renvoie au concept de Black Atlantic Ă©laborĂ© par Paul Gilroy (1993) qui propose l’ocĂ©an Atlantique et le bateau nĂ©grier comme marqueurs symboliques de l’expĂ©rience diasporique des AmĂ©riques, figurant la mise en place d’une histoire traumatique et chaotique liĂ©e Ă  une topographie des dĂ©placements et Ă  un contact entre des mondes hĂ©tĂ©rogĂšnes (Afrique versus Europe dans Faire l’aventure, Afrique versus Antilles dans Humus, Antilles versus France dans D’eaux douces). L’eau devient la figure ambivalente de la mĂ©moire et de l’oubli, la mĂ©taphore du Passage et rappelle les poĂšmes du Saint-Lucien Derek Walcott pour qui l’ocĂ©an Atlantique s’inscrit comme image de l’inconscient collectif caribĂ©en avec ses terreurs englouties.

OĂč sont vos monuments, vos batailles, vos martyrs ?

OĂč est votre mĂ©moire tribale ? Messieurs,

Dans ce gris coffre-fort. La mer. La mer

les a enfermĂ©s. La mer est l’Histoire.[9] (Walcott, 1979,48)

C’est dans cet espace que Kanor interroge et « s’énonce ». Dans ce site fluide oĂč, selon certains mythes africains, les vivants et les morts se cĂŽtoient, elle rĂ©sout le conflit de l’appartenance. Car elle n’est ni Antillaise, ni Française, ni Africaine, mais fĂ©rocement « flottante ». Dans son ouvrage critique intitulĂ© Black Women Writing and Identity, Carole Boyce Davies examine la problĂ©matique du discours des femmes Ă©crivaines noires sur les notions d’identitĂ©, de lieu et de reprĂ©sentation. Dans son introduction, elle souligne que le lieu et la connexion sont essentiels pour dĂ©finir et redĂ©finir l’identitĂ©. Elle illustre son propos en se rĂ©fĂ©rant Ă  une Ă©crivaine qu’elle imagine africaine amĂ©ricaine originaire de la CaraĂŻbe, qui vit dans des lieux hĂ©tĂ©rogĂšnes mais habite un entre-deux fĂ©cond : ‘She lives in the Caribbean. She lives in the United States. She lives in America. She also lives in that in-between space that is neither here nor there.’ (Boyce Davies, 1994, 1). Cette problĂ©matique commune Ă  bon nombre d’écrivains en exil choisi ou forcĂ© ne semble plus interpeller Fabienne Kanor qui, dans un entretien accordĂ© Ă  Olivier Barlet en 2005, parle du lieu hybride qu’elle habite dĂ©sormais :

J’Ă©tais enfermĂ©e dans le territoire France-Antilles, dans des cultures, dans des peurs, et je m’en suis libĂ©rĂ©e avec la crĂ©ation [
] Chez moi aujourd’hui, ce sont des bouts de cases : je passe par Paris, l’Afrique, les Antilles, et je suis conçue par tous comme un produit exotique ! A Paris, on ne comprend pas que je sois partie, aux Antilles tout est verrouillĂ© politiquement et Ă©conomiquement et en Afrique, c’est une illusion de penser que mes douleurs peuvent passer. Je me sens perdue mais cette errance me sied bien, comme ma folie : je m’en nourris pour ma crĂ©ation[10].

 Ce vibrant espace liminaire, ni air, ni terre que Fabienne Kanor a choisi d’habiter fait aussi Ă©cho Ă  la vision du « third space » que Homi K. Bhabha a Ă©laborĂ©e comme Ă©tant « interruptive, interrogative and enunciative » (1994, 178). Cette liminalitĂ© d’entre deux eaux, cet intervalle intense nous renvoie aussi aux concepts d’espace lisse et d’espace striĂ© dĂ©veloppĂ©s par Deleuze et Guatarri dans Mille Plateaux [11]:

[
] dans l’espace striĂ© comme dans l’espace lisse (la mer Ă©tant l’archĂ©type de l’espace lisse), il y a des points, des lignes et des surfaces. [
] Dans l’espace striĂ©, on va d’un point Ă  un autre. Dans le lisse, c’est l’inverse : les points sont subordonnĂ©s au trajet. Dans l’espace lisse, c’est le trajet qui entraĂźne l’arrĂȘt, lĂ  encore c’est l’intervalle qui est substance. (1980,597) [
] le lisse dispose toujours d’une puissance de dĂ©territorialisation supĂ©rieure au striĂ© (599).

Des corps et des voix

Dans son essai intitulĂ© Can the Subaltern Speak[12], Gayatri Chakravorty Spivak explore la question de la voix de la femme subalterne. Elle analyse la marginalisation des femmes de couleur et leur impossibilitĂ© de s’énoncer Ă  cause de leur enfermement dans un espace culturel diffĂ©rent imposĂ© par le discours patriarcal dominant : « Within the effaced itinerary of the subaltern subject, the track of sexual difference is doubly effaced. [
] If, in the contest of postcolonial production, the subaltern has no history and cannot speak, the subaltern as female is even more in shadow.” (28-37). Elle ajoute que la subalterne en tant que femme ne peut ĂȘtre entendue ou lue[13]. Il y a donc nĂ©cessitĂ© pour le sujet fĂ©minin de se crĂ©er un espace pour Ă©laborer son discours. On peut dire que les personnages fĂ©minins de Fabienne Kanor se redĂ©finissent Ă  la fois dans leur position de femmes et Ă  travers leur corporalitĂ©. Car, au lieu de rechercher des refuges oĂč abriter leurs silences, ces femmes choisissent l’irruption de leurs corps comme « ĂȘtres » visibles, audibles et tangibles. Cette Ă©criture des corps n’est pas sans rappeler la proposition du poĂšte philosophe martiniquais Monchoachi qui pense que dans les sociĂ©tĂ©s crĂ©oles le corps est fiction :

Ce que la langue crĂ©ole nomme KĂČ est imparfaitement et mal entendu dans le mot corps. Le KĂČ est ce qu’on ne peut saisir qu’en se mettant Ă  son Ă©coute. Il est ce qui nous est commun. Son rĂ©cit dit notre propre histoire sans cesse recommencĂ©e. PrĂ©sent en mĂȘme temps dans la suite et dans le processus originaire. N’appartenant en propre Ă  aucun corps, mais que chaque corps habite avec plus ou moins de profondeur et de sĂ©rĂ©nitĂ©. Plus ou moins de bonheur et de vĂ©ritĂ©.[14] (Monchoachi, 45)

Le motif des corps disloquĂ©s que Kanor dĂ©peint ne se limite pas au trope de l’esclavage. On le retrouve dans les romans Anticorps, D’Eaux Douces ou encore Faire l’Aventure qui se dĂ©roulent dans des univers contemporains. Ces corps mĂ©taphoriquement dĂ©membrĂ©s, amputĂ©s sont des tĂ©moignages transculturels qui permettent aux protagonistes en dĂ©-route de renĂ©gocier leurs identitĂ©s par le biais de la dĂ©mesure. Louise, la vieille dame abandonnĂ©e par sa famille lorsque son corps est rongĂ© par un cancer dans Anticorps, choisit de basculer dans la folie et de laisser son sang Ă©crire que sa vision du monde et sa vision d’elle-mĂȘme dans ce monde sont en discordance :

Ainsi avais-je marchĂ©, au pas de course, au grĂ© d’un temps illusoirement moderne. Progresser, s’émanciper, puis, un beau jour, avoir l’étrange sensation de perdre pied, de ne plus ĂȘtre dans le coup, de ne plus rien comprendre. Devoir admettre, alors, qu’on s’est trompĂ© de lutte, que le pire reste Ă  venir en soi. [
] J’étais calme, bercĂ©e par cette voix qu’on a tous en soi et qui nous pousse Ă  agir sans mobile, Ă  l’instinct. Cette petite voix d’intĂ©rieur, bien plus puissante que la libertĂ© individuelle, et que les parents, les maris, les collĂšgues, les amis, passent leur temps Ă  Ă©touffer (47).

C’est son corps jeune et ferme in abstentia de femme Ă©mancipĂ©e, chef de rubrique dans un magazine fĂ©ministe, qui lui hurle qu’elle n’a Ă©tĂ© « qu’un pion dans la matrice » (49) dans une sociĂ©tĂ© qui n’a que faire de corps abĂźmĂ©s et par consĂ©quent inutiles. Aussi va-t-elle « prendre son corps » en Ă©cho Ă  l’expression crĂ©ole « pran kĂČ’w » et fuir loin de tous.

Dans D’Eaux Douces, l’obsession de la narratrice Frida pour la tragĂ©die de l’esclavage façonne son passage des Antilles en France et le regard qu’elle porte dans sa propre dĂ©couverte de la sexualitĂ©. C’est comme si son corps Ă©tait le palimpseste de la traversĂ©e : « Il paraĂźt que cette peur vient de loin, qu’elle remonte a la petite enfance, au temps oĂč flottaient les hommes, au bout d’une corde, avec des coups de fouet en guise de bĂ©nĂ©diction. » (D’eaux douces, 79)

Dans tous ces rĂ©cits, les corps se surpassent et s’annulent : dans Humus,  les femmes sont assassines, mĂšres infanticides, amantes serviles et traĂźtresses, lesbiennes, guerriĂšres androgynes ; Frida, dans D’eaux douces, assassine son amant, Louise, dans Anticorps, se rend chez son mari et met en scĂšne un grotesque striptease, comme si ce corps avachi et Ă©teint exprimait sa derniĂšre danse funĂšbre, MarĂšme, l’amoureuse de Biram dans Faire l’aventure, se prostitue
 Comme l’indique Carole Boyce Davies Ă  ce sujet dans son ouvrage majeur Out of the Kumbla : Caribbean Women and Literature : « the black female subject in the New World is born within the context of commodification and thus can only foresee recovery when deliberately re-claiming itself outside of the terms and in resistance to this commodification »( (340).

C’est comme si ces corps devenus voix mettaient en scĂšne une poĂ©tique de l’obscur et se dĂ©voilaient en s’échappant vers une intranquillitĂ© assumĂ©e.

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Rhizome et pacotille

« Le rhizome », nous rappelle Deleuze, « se rapporte Ă  une carte qui doit ĂȘtre produite, construite, toujours dĂ©montable, connectable, renversable, modifiable, Ă  entrĂ©es et sorties multiples, avec ses lignes de fuite. » (1980,32) Ce trope botanique illustre la proposition de l’écrivain haĂŻtiano-quĂ©bĂ©cois JoĂ«l des Rosiers (1996) qui pense la diaspora comme mĂ©tasporique, c’est-Ă -dire comme un mouvement continu Ă  travers les frontiĂšres d’identitĂ© et d’identification, les nationalitĂ©s, les langues et les lieux. Ainsi, les Ɠuvres de Fabienne Kanor s’inscrivent sur une surface constamment pliĂ©e, dĂ©pliĂ©e, repliĂ©e[15], en Ă©cho Ă  la figure du rhizome telle que nous le rappelle Deleuze et comme l’épitomĂ© de la poĂ©tique du chancellement[16]. La  figure du rhizome se dĂ©veloppe non seulement Ă  travers l’inscription des personnages dans le mouvement erratique et l’espace dilatĂ©, dans le dĂ©racinement et la reterritorialisation, mais se caractĂ©rise aussi par l’écriture mĂȘme de l’écrivaine, syncopĂ©e et rhizomatique.

Cette notion du rhizome renvoie à celle des « pacotilleuses » que Glissant développe dans son essai Tout Monde :

Vous ne connaissez pas les pacotilleuses. Elles dĂ©sobstruent les embouchures des Eaux, pour occuper les trottoirs avec ce limon qu’elles ont fouillĂ©. Femmes de HaĂŻti, de Guadeloupe ou de Martinique, elles rappellent les matrones qui dans les villes d’Afrique dĂ©tiennent le pouvoir du quotidien, celui du marchĂ© tout bouillant et de l’influence sagement assise. [..] Mais elles n’ont que le loisir de dĂ©river.

Elles vont d’üle en Ăźle, comme les Arawaks ou les CaraĂŻbes du temps longtemps, mais Ă©videmment elles sont plus bougeantes, charroyant d’énormes monceaux de marchandises que vous listez : les chaises-rotin, les peaux de bƓuf, les colliers dits indigĂšnes, les chemisiers, les grotesques objets d’artisanat, oĂč soudain Ă©tincelle une forme admirable, les peintures prĂ©tendues naĂŻves, les tortues vernies, les maracas dorĂ©s de rouge et de bleu, les plateaux de table sculptĂ©s et toute une poussiĂšre infinie de colifichets, d’amulettes, de mĂ©dailles saintes ou mal bĂ©nies, qui leur tressent une parure sur les trottoirs de Foyal ou de la Pointe, et voyez, c’est tout comme les capharnaĂŒms de BarbĂšs Ă  Paris ou de Harlem Ă  New York […] Elles relient la vie Ă  la vie [
] Elles sont la Relation. Disons, ce sera pour me vanter, que je suis le pacotilleur de toutes ces histoires rassemblĂ©es. » (Edouard Glissant, Tout Monde, 544-545).

Comme les pacotilleuses qui tissent la CaraĂŻbe, Fabienne Kanor est une pacotilleuse qui rĂ©siste Ă  l’uniformisation, qui coud et dĂ©coud la trame de l’ordre en proposant une poĂ©tique de l’excĂšs et du dĂ©sordre. Elle relie et dĂ©lie les histoires, les mythes et les mirages, car il faut bien « quelqu’un pour rabouter ensemble les morceaux Ă©parpillĂ©s de tant d’histoires, […] Quelqu’un pour dĂ©sencombrer les riviĂšres et pour courir cette Ă©tendue du monde » (Tout Monde, 545).

En survie dans le dĂ©sordre du monde, l’ordinaire ne peut ĂȘtre racontĂ© que par la dĂ©mesure. Faire l’Aventure qui semble appartenir au bildungsroman, roman d’apprentissage de Biram et de MarĂšme dans leur expĂ©rience de la sexualitĂ© puis du monde, dĂ©rive trĂšs vite vers un genre Ă  soi créé de toutes piĂšces par Fabienne Kanor.

Picaro des temps modernes, Biram se met en quĂȘte de routes et Faire l’aventure recompose son passage de l’enfance Ă  l’ñge adulte. Le roman dĂ©ploie la cartographie de ceux qui « font l’aventure », dĂ©taillant l’ordinaire tragique des itinĂ©raires ponctuĂ©s de naufrages, de noyades et de rĂȘves pourtant. C’est aussi un roman de la TraversĂ©e de nos temps modernes dans lequel s’entrecroisent les trajets rĂȘvĂ©s et impossibles de ceux qui n’ont que « l’aventure » pour les porter. De dĂ©route en dĂ©rive, Biram et ses compagnons refont l’aventure en rĂ©inventant une histoire, tel un palimpseste sur la surface opaque et lourde de la mer et des nouvelles terres Ă  « conquĂ©rir » :

Car c’était cela, aprĂšs tout, faire l’aventure : perdre son argent et en gagner d’un coup, vouloir la Mecque et dĂ©laisser l’Eternel, nettoyer la merde des autres et s’acheter des complets Ă©tincelants, respirer l’air des princes et zoner en chien, ne plus jamais revoir sa mĂšre et croiser son premier amour par hasard (chapitre 24)[17]

Fabienne Kanor sert de mĂ©diatrice Ă  ces personnages enracinĂ©s dans l’errance : elle conjugue sa voix Ă  celle des migrants dĂ©shumanisĂ©s, dĂ©vorĂ©s par l’impitoyable chimĂšre d’un ailleurs moins misĂ©rable, plus lumineux. À travers des pauses comme filmĂ©es/Ă©crites au ralenti, elle saisit des corps extĂ©nuĂ©s, des corps Ă©veillĂ©s qui ont faim, des corps qui se noient, des corps en sursis :

Biram n’avait jamais vu un tel grouillis d’hommes, un tel sens-dessus-dessous De nationalitĂ©s parquĂ©es dans des prĂ©fabriquĂ©s aux odeurs de chierie et Ă  taille de placards. On les appelait dortoirs. Et il est vrai qu’on y dormait mieux qu’à l’extĂ©rieur, cette cour asphaltĂ©e oĂč s’entassaient invariablement, quel que soit le temps, les matelas mousse et les nattes des nouveaux arrivants. Un foutoir, sincĂšrement, oĂč il fallait batailler pour ne pas se faire piquer son pain au rĂ©fectoire, son savon sous la douche, sa place dans la longue file d’attente devant les latrines (chapitre 16).

Biram, le modou modou ou commerçant de l’informel, l’immigrĂ© clandestin qui marche vers son rĂȘve d’Europe, est lui aussi un pacotilleur qui ramasse les morceaux effritĂ©s des rĂȘves, des lambeaux de mirages et qui continue inlassablement sa marche Ă©veillĂ©e :

Sous le soleil sec de Mbour, l’ocĂ©an s’étalait comme une nappe sale mal repassĂ©e. Un ciel Ă©tait posĂ© dessus et une fanfare de mouettes zigzaguait dans l’air avant de piquer. LĂ  aussi, le garçon connaissait la suite de l’histoire. Des chiens sauvages aboieraient aprĂšs des pochons plastiques, midi l’aveuglerait et il plisserait les yeux pour viser la frontiĂšre. Bah, pas longtemps, il ne se casserait plus la tĂȘte Ă  la chercher. La foi l’avait plaquĂ©, la mer l’avait battu, mais ça va, ce n’était pas la fin du monde (chapitre 26).

De son Ă©criture blanche inspirĂ©e de Marguerite Duras, incisive et sĂšche, Kanor dĂ©peint dans tous ses romans, derriĂšre les mots faussement simples, les tableaux riches, somptueux et complexes d’une rĂ©alitĂ© dure et cruelle. La langue est traversĂ©e par des expressions crĂ©oles, africaines, des fragments d’argot et des dĂ©roulĂ©s de français chĂątiĂ©, comme bousculĂ©e par des personnages en dĂ©sĂ©quilibre. Le principe du dialogisme bakhtinien (1978) est mis en Ɠuvre, instaurant une dislocation textuelle par le jeu de l’imbrication des langages et des langues au projet de rĂ©cits Ă  la recherche d’un genre Ă  soi. Elle rĂ©ussit admirablement l’hybridation du tragique, de la voix journalistique faussement neutre et de l’épique. Lire Fabienne Kanor est une aventure dĂ©rangeante et presque salvatrice : on se souvient alors de la puissance des mots, et de la magie terrifiante des syllabes qui se balancent aux arbres. Ce qui caractĂ©rise l’écriture de Kanor est la complexitĂ© de la narration combinĂ©e Ă  une Ă©motion intense qui surgit dans les anfractuositĂ©s du texte. Il en dĂ©coule un sentiment de rĂ©alitĂ© obscure et Ă©puisĂ©e dominĂ©e par la perte, le manque et l’excĂšs au-delĂ  des conjonctures spatiales ou temporelles. Parce que ce qui anime ses personnages (au sens littĂ©ral anima) provient d’un passĂ© insaisissable et inextricable (l’esclavage) qui ne peut accoucher que de perspectives changeantes mais immobiles. Ainsi s’opĂšre un maillage des histoires de passages, des personnages et de leurs dĂ©rives, qui donne au lecteur le sentiment d’explorer un monde soudainement rĂ©vĂ©lĂ©.

Contribution de Dominique Aurélia dans le cadre de la journée de la Femme.

Copyrights Dominique Aurélia.

Contribution Dominique Aurélia à Pluton-Magazine.

Relecture Colette Fournier

Mise en page Dominique Lancastre

Crédit photo: Fabienne Kanor/Marie-claire

AureliaDominique AurĂ©lia est maĂźtre de confĂ©rences Ă  l’UniversitĂ© des Antilles (UA) en Martinique, oĂč elle enseigne la littĂ©rature caribĂ©enne anglophone et amĂ©ricaine, en particulier, les rĂ©cits de la traversĂ©e Ă©crits par des femmes. Elle a publiĂ© de nombreux articles sur la littĂ©rature caribĂ©enne et les thĂ©ories postcoloniales dans des revues acadĂ©miques internationales, entre autres : « Trinidad, une sociĂ©tĂ© en voie de  « dĂ©crĂ©olisation ? » (Presses Universitaires Bordeaux 2005); « Wide Sargasso Sea/The Autobiography of my mother » (Editions L’Harmattan 2009); « In search of a third space » (Small Axe, Duke University 2011); « Dislocations textuelles et reconfigurations identitaires dans Humus de Fabienne Kanor » (ArchipĂ©lies 2012); « La poĂ©tique du paysage chez Derek Walcott » (Vertigo 2012); « Voix du Sud : Ă©tude de trois autobiographies de femmes esclaves » (Transatlantica, revue française d’études amĂ©ricaines, UniversitĂ© de Toulouse 2013) ; « La poĂ©tique du chancellement dans l’Ɠuvre d’Edwidge Danticat » (Cambridge Scholars Publishing 2015).

Nouvelliste, elle est Ă  l’origine du concept de L’en-Ville illustrĂ©e plus tard par Patrick Chamoiseau dans Texaco (Prix Goncourt 1992)

Cet article a été publié sous le titre suivant : Fabienne Kanor, écrivaine des passages.

Amour, sexe, genre et trauma dans la Caraïbe francophone, sous la direction de Gladys M. Francis, L’Harmattan, 2016

 

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Ouvrages cités

Bhabha Homi, K, The Location of Culture, London, Routledge, 1994.

Boyce Davies, Carole, Black Women, Writing and Identity, Migrations of the Subject, London,

Routledge 1994.

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Butler Octavia, Kindred, Boston, Beacon, 1988.

Curtius Anny, Symbiose d’une mĂ©moire : Manifestations religieuses et littĂ©ratures de la CaraĂŻbe, Paris,

L’Harmattan, 2006.

Condé Maryse, Moi, Tituba, SorciÚre noire de Salem. Paris, Mercure de France, 1986.

Deleuze Gilles, Guattari F, Capitalisme et schizophrénie2 : Mille Plateaux, Paris, Minuit, 1980.

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–. Tout Monde, Paris, Gallimard, 1993.

Gilroy Paul, Black Atlantic, Cambridge, Harvard University Press, 1993.

Kanor Fabienne, D’eaux douces, Paris, Gallimard, 2004.

–. Humus, Paris, Gallimard, 2006.

–. Godard Alex, Le jour oĂč la mer a disparu, Albin Michel Jeunesse, 2007.

–. Les chiens ne font pas des chats, Paris, Gallimard, 2008.

–. Anticorps, Paris, Gallimard, 2010.

–. Faire l’aventure, Paris, JC Lattes, 2014.

Lacan Jacques, Le séminaire de la lettre volée, Paris, Seuil, 1966.

Monchoachi, Eloge de la Servilité, Montréal, Lakouzémi éditions, 2007.

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Ghetto,” in Katherine McKittrick and Clyde Woods, eds. Black Geographies and the Politics of Place (Cambridge, MA : South End, 2007).

Walcott Derek, The Star-Apple Kingdom, London, Cape, 1979.

–. Le Royaume du Fruit-Ă©toile. Traduit de l’anglais par Claire Malroux, Paris, CircĂ©, 1979.

[1] NĂ©ologisme créé par l’écrivain français Michel Tournier (1924) qui oppose l’intime Ă  l’extime dans son Journal Extime (2002), mouvement centrifuge de dĂ©couvertes et de conquĂȘtes, Ă©criture du dehors.

[2] Forum français Ă  l’universitĂ© de l’Iowa, 16 septembre 2011(www.fabiennekanor.com.

[3] Lacan Jacques, Le séminaire de la lettre volée, Paris, Seuil, 1966.

[4] Morrison, Toni, Beloved, New York , Plume, 1987.

[5] Butler Octavia, Kindred, Boston, Beacon, 1988.

[6] Glissant Edouard, Poétique de la Relation, Paris, Gallimard, 1990.

[7] Curtius, Any Dominique, Symbiose d’une mĂ©moire : Manifestations religieuses et littĂ©ratures de la CaraĂŻbe, Paris, L’Harmattan, 2006.

[8] Curtius explique que les Africains ont subi un processus de perte de leur identitĂ© propre afin d’aborder la traversĂ©e puis de construction d’une nouvelle identitĂ© pour affronter  l’espace dĂ©shumanisĂ© de la plantation.

[9] Walcott, Derek Le Royaume du Fruit-Ă©toile. Traduit de l’anglais par Claire Malroux,Paris, CircĂ©, 1979. Dans le recueil The Star-Apple Kingdom, il magnifie ce concept Ă  travers le poĂšme “The Sea is History” oĂč l’ocĂ©an devient le locus de l’intemporalitĂ©, du dĂ©but et de la fin, le tombeau et le berceau,  la source alternative de l’histoire dans le paysage.

[10] De la schizophrĂ©nie antillaise, entretien d’Olivier Barlet avec Fabienne Kanor Ouidah, BĂ©nin, janvier 2005 – http://www.africultures.com.

[11] Deleuze Gilles, Guattari F, Capitalisme et schizophrénie2 : Mille Plateaux, Paris, Minuit, 1980.

[12] Spivak, Gayatri. “Can the Subaltern Speak?” in Colonial Discourse and Post-Colonial Theory, Patrick Williams & Laura Chrisman, eds. New York : Columbia UP, 1994.

[13] “The subaltern as female cannot be heard or read’. (104).

[14] Monchoachi, Eloge de la Servilité, Montréal, Lakouzémi éditions, 2007.

[15] Echo palpable avec les concepts d’espace lisse et d’espace striĂ© formulĂ©s dans Mille Plateaux (Deleuze, Guatarri, 1980).

[16] La poĂ©tique du chancellement s’articule, selon ma dĂ©finition, comme la recherche d’un Ă©quilibre dans un tiers-espace de re-crĂ©ation et d’invention de soi qui tente de se dĂ©terminer dans l’emmĂȘlement de l’appartenance et de l’errance. Cet espace liminaire qui pourrait suggĂ©rer un vide, une absence, est au contraire, vibrant et dense. Interstice mais non refuge, il est instable, imprĂ©visible et heurtĂ©. Il rappelle l’état du limbo rĂ©gi par l’incertitude et la dislocation du corps. Avant de se mĂ©ta-morphoser en danse folklorique pour touristes, le limbo est d’abord une danse rituelle en l’honneur de Legba, le dieu des carrefours, l’ouvreur de barriĂšres. Selon l’anthropologue Sojah Stanley- Niaah, cette danse reflĂšte le cycle complet de la vie. Le danseur se dĂ©place sous une barre que l’on descend le plus bas possible, puis il Ă©merge de l’autre cĂŽtĂ©, arc-boutĂ© comme dans le triomphe de la vie sur la mort (Sojah Stanley-Niaah, “Mapping of Black Atlantic Performance Geographies : From Slave Ship to Ghetto,” in Katherine McKittrick and Clyde Woods, eds. Black Geographies and the Politics of Place (Cambridge, MA: South End, 2007).

(Dominique Aurelia, In Search of a Third Space: Fabienne Kanor’s Humus Small Axe 2011 Volume 15, Number 3 36: 80-88).

[17] Les citations de Faire l’Aventure sont tirĂ©es de la version Kindle Book.

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