Et surgit la côte.
Jean Lavoué est un auteur français, poète et essayiste. Il est né le 25 mars 1955 au lieu-dit « Les Quatre-Croix » à La Fresnais, commune proche de Saint-Malo. Il vit aujourd’hui à Hennebont dans le Morbihan. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, récits, essais, recueils poétiques touchant notamment à la littérature et à la spiritualité.
CE RIEN QUI NOUS ECLAIRE,
Cette lumière fragile
Sur les branches encore nues,
Et cette simple audace d’oser lever les yeux
Pour ne faire qu’un avec le jour,
En laissant les heures sombres
Se corrompre d’elles-mêmes
Dans les allées perdues.
Goûter à la joie franche,
Son archet silencieux,
Au bonheur d’être ici
Sans prêter attention aux myriades d’écrans,
Ces écrins du scandale distillant le poison
Où notre cœur s’essouffle ;
Attentifs seulement à la fraîcheur de l’air,
Au si peu qu’il nous faut pour être dans le chant,
Peut-être sans projets, sans preuves et sans aveux,
Mais vivants ici-même d’une gloire surgie
Au feu d’une éclaircie, d’un sourire imprévu,
Avec le seul désir de le reprendre pour tous
De l’offrir sans détour aux passants éblouis.
La main qui écrit
Effleure ce qu’elle ignore,
Sans craindre l’inconnu,
Ce peu qui frappe à la porte.
Tu n’as pas à manquer
Ton rendez-vous de chaque jour ;
Tu n’es jamais très loin
De ton silence ni de toi-même.
Tu n’as pas à forcer
L’instrument de ton amour :
La peau des mots
Fait le lit de ta joie.
SI LE SILENCE T’ECHAPPE,
Echappe-toi avec lui !
Suis le premier oiseau,
Ecoute bien son chant :
Comme il résonne en toi
D’un amour infini.
Si le froid t’engourdit
Chausse-toi de courage,
Mets tes pas dans la neige
Suis des chemins de gel,
Eprouve leur douceur
Apprivoise leurs cris.
Quand le jour t’appauvrit,
Quand la nuit te précède,
Que tu ne sais plus l’heure
Ni l’instant de ta perte,
Pose là tes désirs
Tes armes et tes combats.
Sors des ombres têtues,
Prends la voie souveraine
Qui n’a pour seules lumières
Que d’épouser tes pas.
Si ton cœur te fait mal
Si ton corps te malmène,
Si ta vie est pour toi
Un supplice, une croix,
Ecoute murmurer
La sève de tes veines :
Sois le sang des racines,
L’effleurement de l’aile,
L’adagio des nuages,
La vibration de l’air.
Si tu te sens très seul
Si l’hiver est en toi
Comme un puits déserté,
Une branche si nue,
Un matin sans soleil,
Frôle la dure écorce,
Devine son enfance,
Sois pour elle saison
Bruissante de bourgeons.
Ne retiens rien pour toi,
Laisse faire le silence
Et il te le rendra
Au plus près de ta joie.
AUCUN ACCORD
NE SE FERA D’EN-HAUT
Aucune puissance ne descendra des cieux
C’est du très-bas que naissent les prairies
Que s’allument au printemps des bouquets de jonquille
C’est du très-bas que la terre est si belle
Qu’elle est pour nous jardin
Cette fête infinie
C’est du très-bas que nos chemins se croisent
Et que nos mains s’appellent
Que nos corps se dénouent sous l’astre des caresses
C’est du très-bas que s’annonce l’enfant
Le feu d’un jour nouveau
La merveille à nos yeux
C’est du très-bas que s’embrase le ciel
Que s’élancent les oiseaux
Que la terre est promise
C’est du très-bas que nos frontières s’ouvrent
Que nous sommes aimés
Que nous sommes bénis
C’est du très-bas que nous sommes rejoints
Que nous sommes relus
Que nous sommes compris
C’est du très-bas que nous sommes portés
Sur les flots en furie
Et c’est du fond de l’arche que nous disons merci.
Le poème qui te comble
Est le poème silencieux
Celui que tu n’as pas écrit
Et qui ne le sera jamais
Toujours en avant des mots
Et de toi-même,
Familier du Souffle
Mêlé à ta respiration qui est le chant.
Lorsque ta vie vacille
Que le monde s’enchevêtre
En branches bien trop lourdes
Que le ciel t’apparaît
L’indéchiffrable énigme
Que des forces prodigieuses
Veulent s’emparer de toi
C’est le signe lâche prise !
Le printemps est la clé
De ce silencieux naufrage
Le sceau mystérieux
De ta déroute et de ta joie.
Jusqu’où m’invites-tu rivière fraternelle
à me couler en toi *
Jusqu’où m’emportes-tu entre les berges de ton silence
Vers quelle île engloutie me fais-tu remonter jusqu’aux sources de vivre ?
***
Je contemple en marchant tes vases de lumière
J’y lis d’étranges signes m’épelant ton secret
Un fil de haut lignage, de forces reposées, de marées insoumises
***
Par rocs et bruyères tu entreprends ma terre et tu l’invites à se livrer
Tu rêves d’océan, d’envol de goélands vers tes odes natives
Au vent de l’inconnu tu ne peux résister car tu ne sais que te donner
***
Je suis ici de mon enfance et j’apprends à me taire pour être plus vivant
Même sous tes eaux calmes tu portes en toi le large et mes désirs d’envols
Tu es l’amante du matin, petite sœur des libellules, ô ma princesse aux yeux de nuit
***
Tu m’orientes et je te célèbre en cortège de branches aux nichées d’oiseaux vives
Je me laisse tomber à la racine de nos âmes d’où nous contemplons la cime
Nous sommes de la même sève, libres et secourables, et simples avec nous-mêmes
***
Nous franchissons des ponts en coulées souveraines sans même nous retourner
Rien ne t’arrête au port, à peine les moulins dont les meules te défient
Nous sommes de tous remparts la clairière qui s’ouvre et la trouée fertile
***
Aucune saison jamais ne sera trop somptueuse pour t’offrir son écrin
Que mon chant aille se perdre en tes flancs soleilleux loin des tumultes de la ville
Qu’ensemble nous trouvions le courant de la joie et notre souffle et notre rythme
Notre demeure des hauts fonds, notre défaite consentie, notre présence sans limites.
___________
* Poème publié dans « La Rivière de Pont-l’Abbé », Sous la direction de Brigitte Maillard, Monde en poésie éd. 2017
BRETAGNE
Notre terre
N’était pas de soleil ni de feu
Mais de sel et de vent
De rocs anéantis par l’infini sauvage
Et de volcans défaits aux ventres ronds de femmes
En mal de naissance
Nous avions pour colliers
Des nuages d’azur
Des rives brodées d’aulnes
Des rivières sauvages
Des filles du soleil
Des améthystes sur tous chemins
Et la rumeur des cieux qui bruissait dans nos branches
Nous avions des saisons des siècles des marées
Des ferveurs migratoires
De grands oiseaux de mer signant nos territoires
Des sanctuaires aux mousses drues
Et des fontaines accroupies sous les arbres
Et des forêts aux chants vainqueurs
Nous étions de ce pays comme on est d’un vaisseau
Comme on est d’une nef
D’une enfance sauvage aux larmes printanières
Nous étions de ce feu de ce vent de ces astres
Qui nous ensorcelaient tout en nous délivrant
Nous avions des poètes
Des druides matinaux
Des fous intacts et purs
Des saints brûlés d’exil
Nous fêtions les calvaires
Nous aimions pauvrement
Nous marchions en silence
Nous franchissions des croix
Nous vivions sans le sou
Nous sanctifions les prés
Les talus frémissants d’aquarelles graminées
Tout nous était divin
Nous ne vieillirons pas.
Quand tu connais ton vide
Tu ne cherches plus rien pour le combler
Quand tu te sais boiteux
Ta marche se fait souveraine
Quand tu n’as plus de chemin
Tu t’avances au large
Sans craindre les tempêtes
Quand tu n’espères plus
S’ouvre en toi la voie
De tous les possibles
Quand ta foi vacille
Tu te sens porté par les ailes du vent
Quand tu te sais perdu
Tu n’ignores plus ton lieu.
« La poésie ne se trouve pas d’abord dans les livres. Elle sautille comme un oiseau ivre sur les branches de nos vies. Il n’est pas nécessaire d’écrire ni de lire des poèmes pour se reconnaître d’elle. Mais il n’empêche qu’une certaine manière d’accueillir la parole, de se laisser dérouter par elle, d’y accorder son pas, peut vous donner ce goût intense et rare de perdre en vous le fil pour mieux le retrouver ailleurs. Autrement. Dégagé des pesantes certitudes. Capable de vous indiquer un chemin imprévu par où nul, avant vous, ne s’était jusqu’alors aventuré.
Lire et se laisser toucher par un tel accord, c’est en quelque sorte ressusciter en cet instant sans âge où la vie vous expulse de vous-même pour vous introduire de plain-pied dans son royaume. C’est retrouver cette impression première qui vous saisit, parfois dès l’enfance, devant les minuscules appels intérieurs qui vous orienteront ensuite avec douceur et fermeté sur les sentiers de votre exil, sans possibilités de retour en arrière : ce rien, cet imperceptible battement d’aile qui s’engouffre et déploie soudain en vous, dans le sens du courant, toutes les lumières du cœur. Vous n’avez de cesse alors de vous abandonner à la clarté d’un tel amour…
Prendre un livre de poésie entre ses mains, c’est se donner la chance de rejoindre ces signaux inconnus qui nous hèlent avec constance entre les rives du temps, et nous emportent parfois avec ardeur. Comme s’il y avait urgence et comme si nous n’étions au fond, chacun, qu’une sorte de manuscrit étrange ne demandant qu’à être enfin déchiffré, en sa langue secrète, connue de nous seuls… Et encore !
Ceux qui se risquent à accueillir cette langue en eux et à l’offrir aux passants inconnus peuvent ainsi réveiller à leur insu, de proche en proche, ce goût pour chacun de devenir à son tour le poète dont il a toujours rêvé. Même si, l’ignorant, il n’a fait jusqu’alors qu’en pressentir, avec étonnement, le signe. Notre époque demande des transmetteurs de ce feu intérieur. Des éveilleurs que chacun est à même de devenir à son tour…
« Ce rien qui nous éclaire » est ainsi comme le chant d’un rouge-gorge posé sur la souche d’un vieil arbre au détour du chemin. Il entre dans la ronde. Il vous fait signe. Son chant n’appartient à personne. Pas même à l’oiseau. Il laisse simplement aller ce souffle qui le traverse, espérant juste qu’il soit suffisamment poreux à cette lumière qui cherche son Orient en chacune de nos vies.
Je ne promets pas à celui qui saisit ce livre d’entendre à coup sûr, du premier coup, murmurer en lui cette voix remontée de l’enfance. Seuls certains livres sont capables de cela : ils ont été, le plus souvent, écrits sur le sable. Ou bien certains silences… Mais j’assure que ces poèmes ont été reçus, l’un après l’autre, pas à pas, ligne après ligne, dans cette clarté mouvante : pas un de leurs mots n’aurait pu l’inventer. »
« Nous sommes appelés à pleins poumons à faire neuf ce qui était vieux,
à croire à la montée de la sève dans le vieux tronc de l’arbre de la vie »
Christiane Singer
« L’enfance des arbres »
Créée en février 2017, la maison d’édition « L’enfance des arbres » s’inscrit dans le sillage du blog poétique qui porte ce nom : www.enfancedesarbres.com
Depuis dix ans, celui-ci propose deux ou trois fois par semaine des textes d’auteurs pour lesquels la poésie ne se réduit pas à l’écriture du poème proprement dite, mais est plutôt, comme l’écrivait Georges Perros à son ami Brice Parain, « une manière d’être, d’habiter, de s’habiter ».
Cette voie qui consiste d’abord à chercher à habiter le poème du monde restera la marque de la maison d’édition « L’enfance des arbres ».
La poésie est un lieu privilégié de l’expérience spirituelle aujourd’hui et de sa transmission : dans le mouvement des saisons, de la vie, des rencontres, des événements et des chaos du monde, comme dans l’attention à la part de secret, d’invisible et d’indicible qu’ils recèlent.
Si le premier recueil publié début avril 2017, « Ce rien qui nous éclaire », préfacé par Gilles Baudry, rassemble des textes de Jean Lavoué partagés ces deux dernières années sur www.enfancedesarbres.com, d’autres poètes et auteurs seront aussi invités à venir nourrir, par la suite, cette aventure éditoriale.
La veine de l’écriture restera celle de « la sève dans la nuit de l’arbre » (Sulivan) ou de la « légèreté d’un arbre dans le matin » (Cadou) : entre souffle et spiritualité, une poésie du cœur !
Au-delà de recueils de poésie, des récits, des témoignages ou des essais seront aussi publiés, pourvu qu’ils soient attentifs à cette quête d’une voie libre de l’intériorité, ouverte à l’altérité et au dialogue avec les autres formes d’expression spirituelle, loin donc des croyances ou des visions exclusives de la vérité. La dimension de l’expérience singulière y sera première.
Biographie
Il a dirigé une association d’action sociale en Bretagne et a également écrit de nombreux articles et ouvrages traitant d’une approche du social humaniste et résistante à la technocratie ambiante.
Il se consacre désormais essentiellement à l’écriture poétique et vient de créer au printemps 2017 une maison d’édition, « L’enfance des arbres », du nom du blog poétique qu’il tenait depuis dix ans : www.enfancedesarbres.com
Les œuvres de Jean Sulivan, René Guy Cadou, Max Jacob, Georges Perros, Eugène Guillevic, Félicité de Lamennais, Xavier Grall, ont inspiré plusieurs de ses livres : il s’y montre attentif à la fécondité des traces christiques, présentes souvent incognito dans ces figures de la culture bretonne contemporaine.
L’œuvre de plusieurs femmes nourrissent aussi sa démarche spirituelle : Christiane Singer, Etty Hillesum, Colette Nys-Mazure, Magda Hollander-Lafon… Et le chemin de beaucoup d’inconnues qui renouvellent aujourd’hui à ses yeux, en liberté et profondeur, les voies de l’intériorité.
Familier du Blavet, le fleuve côtier qui traverse Hennebont pour rejoindre le Scorff et le Ter à Lorient, avant de se jeter dans la mer, il écrit le plus souvent en marchant dans sa lumière, comme il aime rejoindre au fil de nombreux groupes nomades tous ces chercheurs de sens qui, au-delà des rives trop étroites et trop sûres, cherchent un plus vaste estuaire.
Les réseaux sociaux sont aussi pour lui de minuscules sentiers où ne cesse de se donner la parole. Il s’efforce d’en prendre soin afin de tenter d’y ouvrir des clairières pour le Poème, l’éveil et la fraternité.
La poésie est pour lui la voie majeure de l’intuition et du cœur. Celle à laquelle il convient de s’abandonner sans retour car elle nous devance avec justesse et précision, largeur de vue et générosité, beaucoup plus confiante que nous ne le sommes nous-mêmes en la fécondité du chemin, en la surprise de ses voies de traverses.
Bibliographie
Prose
- La vie comme une caresse, Médiaspaul, Paris, 2016
- L’Évangile en liberté, Le Passeur Éditeur, Paris, 2013
- La voie libre de l’intériorité, Éditions Salvator, Paris, 2012
- Christ Blues, stèles pour Xavier Grall, Éditions Golias, Lyon, 2012
- Jean Sulivan, la voie nue de l’intériorité, Editions Golias, Lyon, 2011
- La Prophétie de Féli, L’évangile social de Félicité de Lamennais, Editions Golias, Lyon, 2012
- Le Christ aux silences, Éditions Anne Sigier, Québec, 2007
- Dans l’éclat de l’instant, Labor et Fides, Genève, 2005
- Perros, Bretagne fraternelle, éditions de L’Ancolie, Nantes, 2004
- Jean Sulivan, je vous écris, Desclée de Brouwer, Paris, 2000
Livres d’artiste
- Dans ce jardin peut-être, texte de Jean Lavoué, gravures de Marie-Françoise Hachet – de Salins, Presse de l’artiste, Hennebont, 2012
- Pour écrire, texte de Jean Lavoué, gravures de Marie-Hélène Lorcy, Édition Thame, Vannes, 2012
- Seul au loin, Regard neuf, Si je viens, Les pas secrets, Près de toi, Cinq petits livres pauvres d’artiste, encres de Marie-Hélène Lorcy, Vannes, 2012
- Les premiers mots, Poèmes inédits de Jean Lavoué, ouvrage enrichi de 5 gravures sur papier japon de Marie-Hélène Lorcy, Vannes, Presse de l’artiste, 2012
- Cela silencieux, Poèmes inédits de Jean Lavoué, ouvrage enrichi de trois gravures originales de Marie-Hélène Lorcy, Vannes, Presse de l’artiste, 2012
- Fragment : Pourquoi les morts images, Nelly Buret, Éditions Entre 2, La Baconnière (53), 2009
Poésie
- L’Incandescence seule, Éditions La Porte, Laon, 2008
- Le Cœur réel, revue Hors Jeu, Épinal, 2008
- Du ciel sous l’écorce, revue Chemins, Éditions Calligrammes, 2007
- Pèlerin du seuil, Éditions La Porte, Laon, 2005
- Pourquoi les morts, Éditions La Porte, Laon, 2002
- L’Errance au soleil, Éditions La Porte, Laon, 2002
- L’Offrande des sables, Éditions La Porte, Laon, 1999
- La Porte des jours, Éditions Hors-jeu, Épinal, 1998
- Les Silences du passant, Éditions Hors-jeu, Épinal, 1997
- Soleil des grèves, Calligrammes, Quimper, 1996