Angleterre-Finlande-Suède
John Keats-Edith Södergran-Karin Boye
John Keats
(1795-1821)
Angleterre
La Belle dame sans merci.
Ah! qui peut te faire souffrir, chevalier en armes
Errant pâle et solitaire !
Les joncs sont desséchés au bord du lac,
Aucun oiseau n’y chante.
Ah! qui peut te faire souffrir, chevalier en armes
Si farouche et si malheureux?
Le grenier de l’écureuil est rempli,
Et la moisson est rentrée.
Je vois un lis sur ton front
Avec la moiteur de l’agonie et la rosée de la fièvre ;
Et sur la joue une rose qui se flétrit
Et se fane de même rapidement –
J’ai rencontré une dame, dans les prés,
D’une grande beauté – la fille d’une fée ; –
Ses cheveux étaient longs, ses pieds légers
Et ses yeux sauvages.
Je tressai une guirlande pour sa tête,
Puis des bracelets et une ceinture qui embaumait ;
Elle me regardait comme si elle m’aimait
Et poussa un doux gémissement.
Je l’assis sur mon coursier paisible
Et ne vis rien d’autre tout le long du jour ;
Car elle se penchait de côté et chantait
Une chanson de fée.
Elle trouva pour moi des racines d’un goût exquis,
Du miel sauvage et la manne de la rosée ;
Et sûrement en langage étrange elle me dit :
Je t’aime véritablement.
Elle m’entraîna dans sa grotte d’elfe ;
Là, me contemplant, elle poussa un profond soupir :
Là, je fermai ses yeux sauvages et éperdus
De quatre baisers.
Et là, en me berçant, elle m’endormit
Et là, je rêvai, ah ! Malheur véritable !
Le dernier rêve que j’aie jamais rêvé,
Sur le flanc de la froide colline.
Je vis des rois pâles et des princes aussi,
De pâles guerriers – tous avaient la pâleur de la mort,
Et criaient : « La Belle Dame Sans Merci
Te tient en servage ! »
Je vis leurs lèvres affamées, dans les ténèbres,
Grandes ouvertes pour me donner cet horrible avertissement ;
Et je m’éveillai et me retrouvai ici,
Sur le flanc de la froide colline.
Et voilà pourquoi je reste ici
Errant pâle et solitaire :
Bien que les joncs soient desséchés au bord du lac,
Et qu’aucun oiseau ne chante.
Edith Södergran
(1882-1923)
Suède-Finlande
Rien
Te t’inquiète pas, mon enfant, il n’y a rien,
tout est comme tu vois : la forêt, la fumée, la fuite des rails.
Quelque part, là-bas, dans un pays lointain,
il y a un ciel plus bleu et un mur couronné de roses
ou un palmier et un vent plus doux –
et c’est tout.
Il n’y a rien que la neige sur la branche du sapin,
il n’y a rien à baiser de ses lèvres chaudes,
toutes les lèvres deviennent froides, avec le temps.
Mais tu dis, mon enfant, que ton cœur est fort
et que vivre pour rien, c’est pire que mourir.
Que lui voulais-tu à la mort ?
Ne sens-tu pas le dégoût que dégagent ses frusques ?
Rien n’est plus écœurant que de mourir de sa propre main.
Comme ces courts instants où fleurit le désert,
nous devons aimer les longues heures de maladie de la vie
et les années contraintes où se concentre le désir
J’ai vu un arbre
J’ai vu un arbre
Plus grand que tous les autres,
Plein de pommes de pin inaccessibles ;
J’ai vu une grande église
Aux portes ouvertes
Tous ceux qui en sortaient étaient pâles, forts et prêts pour mourir.
J’ai vu une femme maquillée, souriante
Elle jouait son bonheur au sort
j’ai vu qu’elle avait perdu.
Il y avait un cercle
que personne ne dépassait
Les arbres de mon enfance
Les arbres de mon enfance se dressent haut dans l’herbe,
Ils hochent la tête qu’es-tu devenue ?
Leurs colonnades se dressent comme des reproches
tu n’es pas digne de passer à nos pieds
Tu es une enfant, tu dois tout pouvoir,
pourquoi laisses-tu la maladie t’enchaîner ?
Tu es devenue femme, haïssable étrangère.
Enfant, tu tenais avec nous de longues conversations,
ton regard était sage.
Nous voudrions maintenant te dire le secret de ta vie
la clef de tous les secrets se trouve
dans l’herbe de la butte sous les framboisiers.
Endormie, nous voudrions te cogner au front,
morte, nous voudrions te réveiller de ton sommeil.
Karin Boye
(1900-1941)
Suède
Calme du soir
Sens comme est proche la Réalité.
Elle respire tout près d’ici
dans les soirs sans vent.
Elle se montre peut-être quand nul ne le croit.
Le soleil glisse sur les herbes et les roches.
Dans son jeu silencieux
se cache l’esprit de vie.
Jamais il ne fut si proche que ce soir.
J’ai rencontré un étranger qui se taisait
Si j’avais tendu la main
j’eusse effleuré son âme
quand nos pas timides se sont croisés.
La consolation des étoiles
J’ai demandé cette nuit à une étoile
– lumière lointaine dans l’espace inhabité – :
“Pour qui brilles-tu, étoile inconnue?
Tu es si claire et belle.”
Son regard d’étoile,
a fait taire ma plainte:
“Je brille pour une nuit éternelle.
Je brille pour un espace sans vie.
Ma lumière est une fleur qui se fane
à l’automne tardif de l’univers.
Cette lumière est toute ma consolation.
Cette lumière suffit à ma consolation.”