Un colloque à l’université Columbia (New-York) autour de la poésie de Césaire

 

 

La Maison Française de l’université Columbia a reçu un panel prestigieux de spécialistes de littérature africaine et caribéenne, le 8 novembre dernier, à l’occasion du lancement new-yorkais de l’édition bilingue (français-anglais) de la poésie complète d’Aimé Césaire. The Complete Poetry of Aimé Césaire est sorti des presses de l’université Wesleyan pour la rentrée universitaire. Les services culturels de l’ambassade de France, qui avaient soutenu ce projet financièrement, ainsi que le bureau de promotion de la Martinique (en la personne de la nièce de Césaire, Muriel Wiltord), ont assuré une présence officielle à cet événement universitaire.

Le professeur Souleymane Bachir Diagne, qui préside le département d’études françaises, a félicité les co-traducteurs – le poète américain Clayton Eshleman et le spécialiste chevronné de Césaire, Albert James Arnold qui avait également mené à bon port l’édition du centenaire de ses œuvres littéraires en 2013 – d’avoir renouvelé l’étude de cette œuvre par l’édition du premier texte publié de chaque recueil de Césaire.

 

Le professeur  Brent Hayes EdwardsRose  Réjouis ( Traductrice) – Le professeur Souleymane Bachir Diagne

 

La lecture bilingue de quatre poèmes par les traducteurs a inauguré le programme, qui a été marqué par des échanges à la fois libres et parfois pointus entre les professeurs invités et, ultérieurement, entre le public et les traducteurs. Rose Réjouis, connue aux États-Unis pour avoir traduit Patrick Chamoiseau, a ouvert les débats avec des réflexions sur l’aspect monumental de l’œuvre de Césaire. Alex Gil, qui assure les liens entre la bibliothèque et les humanités numérisées (digital humanities) à Columbia, avait été l’assistant du professeur Arnold à l’université de Virginie lors de ses études de doctorat. En 2008, A. Gil avait découvert une version, jusque là inconnue des césairiens, de la pièce Et les chiens se taisaient. Il a utilement fait valoir que la nouvelle édition bilingue de la poésie, pas plus que l’édition de Poésie, Théâtre, Essais et Discours, n’est complète et ne saurait l’être.

Brent Hayes Edwards est professeur de littérature comparée à Columbia et directeur d’un programme de recherches afro-américaines à la bibliothèque publique de la ville de New-York. Il a insisté sur les liens entre la Renaissance de Harlem et la formulation de l’idéologie de négritude par Aimé Césaire. Ses échanges avec les traducteurs ont attiré l’attention du public sur l’apport majeur de leur nouvelle édition, qui va exiger la relecture approfondie d’un poète que l’on croyait connaître pour avoir lu les éditions – retravaillées dans une intention politique – contemporaines de son engagement anti-colonialiste.

 

Le poète américain Clayton Eshleman – Le professeur Albert James Arnold – Le professeur Brent Hayes Edwards

 

Parmi les questions posées depuis la salle, il y en a une qui trahit la difficulté spécifique aux États-Unis de traduire tout ce qui touche à la question raciale. Au cours de la seconde moitié du 20e siècle, on a vu se succéder rapidement les termes utilisés pour désigner positivement les descendants d’esclaves : Colored, Negro, Black, Afro-American et, depuis une vingtaine d’années African-American. La traduction du substantif français nègre est particulièrement contestée. Récemment, la mouvance politiquement correcte a proposé de bannir des vocables susceptibles de blesser les sensibilités. Le mot nigger – dont l’intention blessante est particulièrement agressive – ne saurait plus s’utiliser en littérature. Le problème, en ce qui concerne Césaire, est qu’il a employé, voire répété nègre avec insistance dans certains poèmes précisément pour dénoncer sa connotation raciste. Les traducteurs de The Complete Poetry ont confronté ce dilemme et, chaque fois que Césaire l’exige, ont utilisé l’équivalent américain qui s’imposait. Dans un échange entre B.H. Edwards et Eshleman, celui-ci a lu une note prise pendant une conversation avec Aimé Césaire sur des difficultés de traduction. Interrogé sur ce détail pénible, le poète a répondu qu’il fallait utiliser le vocable le plus blessant. En répondant à la personne dans la salle qui avait proposé de bannir le mot qui fait scandale, A.J. Arnold a répondu : « Aimé Césaire n’est pas un poète politiquement correct ; nous non plus ! ».

 

https://www.youtube.com/watch?v=sHjL3izu5J0

The Complete Poetry of Aimé Césaire

©Pluton-Magazine/2017

Secretaire de rédaction Colette FOURNIER

Crédit photos: Marc ENETTE

https://colettefournier.com/

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