Entre Liszt et Garonne, William THEVIOT, un esprit libre.


 

Par Jean-louis LORENZO

 

  « Le défi, c’est de sélectionner ce qui est riche, ce qui est fort, dense ».

 

C’est autour d’un café matinal, à une terrasse de Gambetta, le cœur de Bordeaux, que je fais la connaissance de ce jeune pianiste, grand garçon de 25 ans. Avenant, chaleureux, William Theviot est à l’évidence curieux de la vie, des gens, de l’environnement et de tout ce qui s’y meut. D’emblée transpirent intelligence, vivacité d’esprit, culture ; il n’étale pas, il est spontané, enjoué, avide de comprendre l’autre, de le « partager », d’une certaine manière.

 

Donner les clés d’écoute de l’œuvre proposée.

 

Si son art est la musique, il se nourrit de littérature, rien d’étonnant alors si se bousculent sur ses réseaux sociaux – pour des citations, des pensées – poètes et écrivains. Il m’est donné ensuite de le voir à l’œuvre, lors d’un concert où il interprète Liszt, la Vallée d’Obermann, puis Grieg, Sonate, et Scriabine, Fantaisie. Le public le rappelle à plusieurs reprises, j’ai noté plus particulièrement son jeu impressionnant, sa « fusion » totale avec l’œuvre difficile de Scriabine, qu’il a choisie en ouverture. Très proche du public, dans un besoin de communion (voir l’entretien ci-dessous), il fait précéder ses interprétations par l’explication des morceaux dans leur historicité, leur contexte de création, avec des anecdotes, pathétiques ou croustillantes, la salle, tout ouïe, apprécie à l’évidence. Il n’est pas dans l’esprit du salon feutré, de la grande salle de concert où l’on n’explique pas, car le public est forcément averti et l’on ne saurait l’offenser… il estime qu’il est important de donner les clés d’écoute et de compréhension des œuvres. On comprend son postulat, outre son propre plaisir de jouer et de partager, d’amener les autres, ceux qui ne sont pas des initiés, vers la musique qui est sa vie.

 

Séduire un public, parfois éloigné de la musique classique.

 

Pianiste-concertiste classique (solo, duo avec instrumentiste ou voix), jazz, voilà où l’a mené le piano commencé à 7 ans. Puis ce sera son entrée au Conservatoire de Bordeaux, la master class dès 2007 avec le compositeur Jean-Michel Damase, en 2010 le Baccalauréat des techniques de la musique et de la danse, en 2015 le Diplôme d’études musicales (DEM) de piano (Bordeaux). Son interprétation, il la travaillera auprès de grands pianistes, outre J.M. Damase, Louis-Claude Thirion, Jean-Marie Cottet, François Duchâble… et s’enchaîneront plusieurs concerts en soliste. Aujourd’hui pianiste professionnel, William privilégie son espace géographique, non par manque d’ambition mais parce qu’il estime qu’« au pays », il y a déjà tant de choses à faire et en effet, il multiplie avec bonheur les rencontres à l’échelle humaine, la mixité des publics, « y compris pour des publics éloignés de l’offre culturelle ». C’est une forte personnalité et déterminée. Enfant précoce (il sourit lorsque je souligne son QI, il dit : « oui, une mesure qui a été normée, mais bon, ça, je ne sais pas à quoi ça correspond forcément  », sa scolarité se fera en partie à la maison. Quand j’évoque le sujet des surdoués, il reconnaît volontiers que la situation n’est pas toujours confortable, un esprit en éveil permanent, ça finit par fatiguer, alors il a besoin pour décompresser d’une musique douce qui apaise, qui amène à la sérénité. Cette musique qu’une mère aimante a su très tôt lui faire partager.

 

Pour un jeune virtuose, un abondant vivier…

 

A-t-il des auteurs préférés ? Assurément. Lorsque l’on passe en revue son répertoire, on trouve tout de même pas loin d’une bonne trentaine de compositeurs, d’Albinitz avec Les chants d’Espagne, à Zimmermann, Extemporale. Mais bien sûr Chopin, Beethoven, Brahms, Debussy, Liszt, Falla, Grieg, Saint-Saëns, Scriabine… des dizaines et dizaines d’œuvres interprétées qui font sous ses doigts ses journées et soirées. Et le bonheur de l’auditoire. Et puis les critiques (bonnes) des journalistes spécialisés. Mais il aime aussi jouer de la musique latine, comme la salsa au piano. Il n’a pas de hiérarchie, dit-il, dans ses préférences, plutôt une affection, en particulier pour Liszt, « disons  que…  je ne suis pas très français ! » (rire).

 

L’Entretien.  «Une œuvre est un être vivant qui parle ! »

 

JLL : Comment ça ? ne me dites-pas qu’il n’y en n’a pas de remarquables chez nous !

 

WT : (Grand rire) Ah si, si ! mais disons que je n’ai rien à y ajouter, un interprète doit pouvoir dire : j’ai une touche personnelle, un curseur de plus à pouvoir y apporter  mais pour avoir cette prétention-là, il faut avoir lu, écouté, creusé, pour se dire : est-ce que dans l’océan des enregistrements, il n’y a pas quelque chose que le public puisse relever, distinguer, sorte d’écume qu’il aura remarquée et pour vous en attribuer le mérite… Mais j’aime bien l’école russe, l’école venue de l’Est, Listz, Rachmaninov, Schumann, Scriabine, tous les compositeurs qui ont une affectivité qu’ils assument.

 

 

   Le jeune pianiste me reçoit dans la maison familiale, à Mérignac, où le jardin d’agrément traduit l’amour pour les plantes ; rien d’étonnant aussi puisque le père de William, professeur de mathématiques, est un passionné de diversité végétale et animale, et s’occupe de cyclotourisme.  Passion « verte » dont a hérité le fils avec joie.

 

JLL : Et justement, à propos de Scriabine, je vous ai entendu en concert à l’Atelier Pouëdras Piano sur l’une de ses compositions que j’ai trouvée rude, dure à mon oreille, mais ça n’engage que moi, vous vous êtes donné corps et âme dans cette interprétation et c’était remarquable, impressionnant, ce choix, pourquoi ? Exceller dans un exercice difficile, techniquement parlant ?

 

WT : Ben, il m’est arrivé de présenter des œuvres très faciles, digitalement, dont je considérais qu’elles valaient la peine d’être entendues en public, mais ce n’est pas, non, la difficulté qui retient mon attention ; le défi, c’est de sélectionner ce qui est riche, ce qui est fort, dense, c’est plutôt une exigence subjective et personnelle qui fait que le morceau me parle, parle à mon organisme et qu’il peut parler à travers moi après ce que ma rétine a retenu de la première partie, de la lecture de la partition.

 

JLL : Et ce n’est pas un peu hardi d’ouvrir une soirée avec un pareil morceau ?

 

WT : Disons que je trouvais que les premières mesures étaient assez impressionnantes, elles venaient comme un bord de mer où une première vague vient lécher les genoux, une  deuxième le bassin, une troisième et… clash ! on est dans le bain ! (éclat de rire).

 

JLL : Parmi ces compositeurs que vous affectionnez, il y a Guillaume Lekeu…

 

WT : Oui, ce jeune belge, hélas décédé accidentellement dans ma tranche d’âge, à 24 ans, à Angers. Je me dis que, dans l’état d’esprit dans lequel je suis aujourd’hui, je peux être pertinent pour interpréter ce qu’il a écrit. C’est un compositeur qui a été élève de César Franck, de Vincent d’Indy qui a composé notamment pour le piano, pour la musique de chambre, relation dont il reste une correspondance assez étoffée, qui devait être assez littéraire ; il a composé un Phèdre suite à celui de Massenet qu’il n’avait pas aimé, il était d’une critique un peu rebelle par rapport à ses contemporains, malgré son jeune âge ; c’était l’une de ses dernières œuvres, il disait qu’il voulait en faire l’éruption de l’Etna ! Il avait quelque part ce tempérament justement volcanique, cette métaphore volcanique faisait partie, oui, de son environnement géographique mental ; et puis ce qui est intéressant aussi, c’est que c’est une œuvre cyclique, c’est-à-dire que, dans chaque mouvement, il y a une cohérence, des thèmes qui se recoupent ; c’est une sonate qui se justifie, qui ne se fait pas appeler sonate pour rien et il y a même une fugue ; j’aime vraiment l’interpréter.

 

 

JLL : J’ai noté aussi votre désir de faire partager, outre vos interprétations au piano, l’histoire, les anecdotes qui se cachent souvent derrière une œuvre, le compositeur, ce que vous avez fait justement avec Scriabine. 

 

WT: Mais c’est quelque chose de délicat, bien sûr, parce qu’à partir du moment où on va présenter un morceau on peut en diriger, en orienter l’écoute, mais le fait, c’est d’effleurer un peu, oui, mettre en condition, amener un premier parfum, quelques fragrances… Le contexte de l’époque, est-ce que cette œuvre a un rapport à un événement politique, ce qui a été le cas pour plusieurs œuvres de Liszt, de Chopin (funérailles, révolution) est-ce qu’elle a un lien avec un contexte religieux ? Oui, une œuvre vient bien de quelque part, elle a subi les influences du moment, elle est aussi comme chacun d’entre nous un être vivant, qui parle, fait des phrases, c’est quelque chose comme une âme qui est volatile, dont on va pouvoir dire « tiens, il y a quelqu’un d’autre parmi nous ! » (rire)… et donc oui, je vais vous le présenter,  vous en raconter un peu les contours, parce que là, vous ne voyez personne pour le moment, mais il va se dévoiler peu à peu, alors autant l’apprécier dans son entièreté, en en saisissant la structure pour que le compositeur ne ne sente pas incompris.

 

JLL : Quand on vous suit sur les incontournables réseaux sociaux, aujourd’hui, on voit combien la littérature aussi est présente dans votre vie, vous y consignez aussi bien Christian Bobin, Romain Rolland, Hervé Guibert que Michel Suffran, l’éventail est très large.

 

WT : D’une manière générale tout se qui converge, tout ce qui se rapporte à la musique de près ou de loin, que ce soit géographique, littéraire, musical, quand tout ça donc converge et que ça me parle à différents niveaux, je me dis qu’il faut aller au bout de la démarche et profiter en effet de ces richesses qui nous sont offertes.

 

JLL : « Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de littérature n’ait dissipé ! »…

 

WT : Oui, de notre grand de Montesquieu ! Mais j’aime bien butiner, car autant chez les compositeurs que chez les chanteurs, il y a beaucoup d’œuvres que j’aime, parfois un mot, une phrase pourra me toucher plus qu’une œuvre tout entière, mais chez les auteurs, j’aime bien Julien Gracq, Georges Pérec, chez les  romantiques Lamartine

 

JLL : Votre regard sur le monde d’aujourd’hui ? Vous êtes dans celui de la musique, c’est quelque part une évasion aussi ? si tant est d’ailleurs que l’on veuille s’en évader !

 

WT : Je dirais qu’il y a plusieurs façons de vivre, ça n’est pas une évasion pour moi, c’est une existence en parallèle, mais c’est vrai que nous sommes à la fois dans une vie collective et personnelle, et là, j’en appelle à la littérature, à un mot qui appartient à ce champ, on parle de la narration, de diégèse.  Même un décor, à partir du moment où il est identifié dans une narration, dans un cadre, dans un roman, fait partie des personnages, c’est l’atmosphère, et ça c’est quelque chose que les personnages ont en commun, qui les rassemble, les unit, d’un roman à un autre, on passe d’une atmosphère à une autre, et j’essaie d’habiter justement une diégèse partout où je passe, une scène, la nature, le chez soi, bref là où on se sent chez soi, oui, parce que, effectivement, le monde là où il ne va pas bien, c’est précisément dans ces décors, si j’ose dire, où l’on ne se sent pas bien, là où on se sait en exil.

C’est la différence avec un environnement chaleureux, où des gens se comprennent, sont sensibles, donc le regard que je porte, pour répondre à votre question ? On ne peut parler qu’à ceux qui peuvent nous entendre, on peut jeter une bouteille à la mer, mais seulement quelques-uns pourront la saisir ;  il faut être conscient de ses limites, on ne peut pas attendre d’un maximum de monde qu’il aille dans notre sens, qu’il partage notre idéal, donc moi  je n’ai pas un objectif d’idéal absolu, ou de notoriété absolue, mais l’avenir je le vois dans le fait que l’on puisse se rencontrer, que je puisse rencontrer des gens, et qu’eux-mêmes puissent ensuite se retrouver. Ça, c’est formidable.

 

JLL : Vous vous produisez généralement en Grande Aquitaine, pas envie de pousser un peu plus loin ?

 

WT : Je vais vous surprendre, mais… j’ai peur de l’exil, justement ; là où j’ai mes marques, c’est dans ce large espace du Sud-Ouest, que je connais, que j’aime, je crains le déracinement sans avoir fait moi-même mon propre travail d’approche, j’ai besoin d’abord de tâter le terrain, mais oui, c’est vrai, il faut aussi savoir pousser le pas.

 

JLL : Alors, on vous souhaite quoi ? Un disque, un de ces jours ?

 

WT : Oh !  dans un CD, il n’y a pas forcément la diégèse et ce que j’aime bien,  justement, ce sont ces atmosphères autour de moi, on parle souvent des concerts des chanteurs de variété, qui sont des moments à vivre, mais le concert classique, il peut être aussi bien à vivre, moi je suis très visuel, il y a aussi des pianistes qui le sont mais qui se ratent au disque et ça les desservirait plutôt, on est parfois plus performant dans l’instantané avec le public et l’émotion que sur la gravure du studio. Non, mon souhait : de bons concerts, de petites ou de grandes salles, peu importe, du moment qu’il y a une âme !

 

Jean-louis LORENZO

Pluton-Magazine/2018

Secrétaire de rédaction: Colette FOURNIER

 

 

Agenda :

Samedi 31 mars il est à l’hôtel BEDFORT – Paris 5 ème, c’est à 19 heures
et le 7 avril, à la Maison de Quartier du Grand Parc à Bordeaux, à 14 heures.

 

 

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