LA MARTINIQUE ET LA CARAIBE EN HÉRITAGE
Par Patricia MASTAIL
Focus sur Patrick Baucelin, auteur, producteur et réalisateur indépendant de renommée. Passionné par le patrimoine de la Martinique et de la Caraïbe, son travail en faveur du développement et de la promotion de la production audiovisuelle est reconnu dans le monde.
Sa fascination pour l’image remonte à son plus jeune âge. Il consacre toute son énergie à cette passion, multiplie les stages et expériences photo et est vite repéré pour la qualité de son travail. Comme un nouveau challenge, il crée la société Studio Pat en 1981 et s’équipe très rapidement en matériel performant. Il met d’abord l’accent sur le travail de photographie, mais très vite s’intéresse au cinéma. Sa société compte à son actif nombre de réalisations de reportages, films promotionnels, publicitaires…
C’est une première dans notre île. En 1990, il dote la Martinique, sur ses fonds propres, d’un superbe équipement audiovisuel, l’Espace PAT et qui est composé d’un studio d’enregistrement, d’un plateau de tournage et surtout, d’une salle de projection de cent dix places.
Avec la détermination et la passion que l’on lui connaît, Patrick Baucelin produit ses propres documentaires sur la Martinique et en particulier sur la Caraïbe. Il œuvre à la valorisation et au rayonnement du patrimoine des îles de cette région du monde, à travers leur histoire, leur culture, leur patrimoine ainsi que dans toute leur diversité. Sa filmographie est impressionnante.
Les réalisations de cet « ambassadeur caribéen » sont primées à des festivals nationaux et internationaux. Lors du 3e festival international du film et du livre médical à Paris, en 1987, il obtient une première récompense internationale, le Caducée d’Or, grâce à son film Vé, ou konnet, un film de prévention sur le problème des parasitoses en Martinique.
Plusieurs récompenses lui seront attribuées, dont une quarantaine d’Awards parmi lesquels, le Crystal Award of Excellence de la communication audiovisuelle dans la catégorie voyages ou encore un Trophy Award à Hollywood. Distinction prestigieuse en 2017 à New York, le Lifetime Achievement Award décerné par la CTO (Organisation Caribéenne du Tourisme) aux professionnels de longue durée et haute performance, le distingue pour sa contribution au tourisme dans la Caraïbe.
Patrick assure en ce moment la promotion du deuxième volet du documentaire sur Les secrets des forteresses de la Caraïbe 2. Malgré un planning chargé jusqu’en 2020, il a bien voulu nous accorder cet échange entre deux déplacements dans la Caraïbe. D’une belle élégance, avec une fougue et un franc-parler, il répond aux questions de Pluton-Magazine.
Patricia Mastail: Vous bénéficiez d’une notoriété spontanée, n’est-ce-pas ? Quel regard portez-vous sur votre parcours ?
Patrick Baucelin. : C’est un parcours gagné sur une carrière de 38 ans avec des compétences mobilisées et une capacité de travail. Ma spécialité est le film documentaire mi-fiction. Mes films documentaires se veulent instructifs, sont reconnus et primés. J’ai vu mon métier évoluer de manière passionnante avec la technologie. C’est tout cela qui m’encourage à poursuivre.
P.M. : Comment définissez-vous votre métier et vous organisez-vous avec votre double fauteuil de producteur, réalisateur ? Quelles difficultés rencontrées ?
P.B. : Je suis auteur, producteur, réalisateur. Je fais un travail d’écriture personnel sur les scénarios de mes films et les propose à la relecture d’historiens, de spécialistes… J’ai une énergie et une capacité d’organisation que je ne m’explique pas et qui me permettent de passer d’une fonction à l’autre.
La promotion des films est très difficile. Je dois m’organiser afin de faire parler de mes films. Le retour presse est positif, surtout à l’étranger.
Les financements restent le principal problème des productions. Je m’occupe de la recherche des fonds et du montage des dossiers. Les difficultés viennent au fil du temps et il faut sans cesse que je me forme à ne pas perdre de temps.
P.M. : Vos réalisations préférées, on en parle ? Quelles sont vos plus belles séquences ?
P.B. : Je dirais le film Au temps des isles du sucre. Il met en valeur les différents moulins à vents, à bêtes, à eau qui existaient et qui servaient au travail de broyage de la canne. L’utilisation de ces machines s’est opérée à la période de l’esclavage. Les femmes étaient engagées dans le travail au moulin. Deux séquences m’ont particulièrement touché. L’une qui montre le choix des femmes, parce que mieux nourries, pour un travail pénible et risqué. L’autre, encore plus marquante, met en scène une femme qui, avec la fatigue, se fait happer la main dans l’engrenage des rouleaux. À l’époque, pour assurer la survie de l’esclave, il n’y avait pas d’autre solution que d’amputer au coutelas. La figurante qui a joué ce rôle m’a touché par le cri et l’interprétation qu’elle a eus à ce moment précis, et par son histoire personnelle.
P.M. : Décryptage, pour ce documentaire Le secret des forteresses de la Caraïbe 2, un univers qui n’a pas son pareil. Quelles expériences ? Quelles anecdotes ?
P.B. : Cette idée de faire un documentaire sur les forteresses est née de mes voyages, mes rencontres, mes recherches et contacts. Je fais passer des faits historiques, des anecdotes. Ce documentaire met en valeur l’univers fascinant des forteresses de la République Dominicaine, d’Antigua, de Barbade, de Grenade, d’Haïti, de Porto Rico, des Bermudes… L’histoire de la Citadelle Laferrière, en Haïti, m’a inspiré. La construction de cette citadelle a fait plus de 2 000 morts. Construction pendant laquelle on a égorgé des bœufs afin de récupérer leur sang pour le mélanger au mortier, dans le seul but de rendre invincible cette citadelle.
P.M. : Vous aviez été en tournée dans la Caraïbe pour votre documentaire : Le secret des forteresses de la Caraïbe 2. Quel a été le retour des autorités, des publics ?
P.B. : Le documentaire a reçu un très bon accueil de la Caraïbe. Les pays concernés ont beaucoup appris sur l’histoire et la richesse de leurs forteresses. À l’exemple de la Barbade qui dispose du plus vieux canon espagnol du monde. Les autorités ont été surprises de l’apprendre. Avec le travail que je fais au fil des années avec les ministres, les Offices de Tourisme, les gens de la culture, j’ai une influence dans ces îles. Il y a une carte à jouer dans la sauvegarde, la valorisation et la promotion de leur patrimoine. Une façon de conduire les gens de passage à faire du tourisme autrement. Avec le CTO, j’œuvre à la promotion de la Caraïbe à travers son environnement, son histoire, sa culture.
L’honorable Dionisio d’Aguilar, ministre du Tourisme et de l’Aviation des Bahamas, déclarait dans le journal Thebahamasweewly « Patrick Baucelin is a true caribbean soldier » (Patrick Baucelin est un vrai soldat de la Caraïbe).
P.M. : Ce film a été présenté le 18 mars 2018 à l’Atrium de Fort-de-France, comment appréhendiez-vous ce rendez-vous avec le public martiniquais ?
P.B. : Cela a été un moment privilégié avec le public martiniquais qui a répondu présent et a réservé un excellent accueil à ce documentaire. Il y a découvert pas moins de trente forteresses, des batailles reconstituées. C’est une belle vision de notre environnement caribéen et une invitation au voyage qui lui sont ainsi offertes.
P.M. : L’héritage culturel martiniquais : une volonté d’ancrer notre histoire, notre culture et nos traditions dans vos films. Vos images sont d’une beauté saisissante. On a envie de rentrer dans le cadre. On ressent l’authenticité, le souci du détail et la détermination que vous portez à y faire figurer objets, costumes d’antan… ?
P.B. : Ce travail est très important pour la restitution. Je n’ai pas trop de difficultés, grâce aux annonces passées et à l’équipe de personnes bénévoles passionnées et les associations qui m’accompagnent et m’aident à trouver objets et costumes d’époque. Dans cette équipe, tous les corps de métiers sont présents : couturières, repasseuses, peintres, soudeurs, ébénistes… Le travail d’organisation et de logistique est faramineux. Les tournages sont longs et l’équipe est bien rôdée.
Toutefois, sur les tournages, ce sont des bénévoles qui jouent des scènes. La production d’un film documentaire est onéreuse et il est difficile de recruter des acteurs. Ce sont des milliers d’euros investis pour obtenir une minute de film.
P.M. : Vous le dites « Lorsqu’un de mes films est nominé… je suis toujours très partagé entre fierté et déception de ne pas obtenir la même reconnaissance dans mon pays »
P.B. : Mes films documentaires sont made in Martinique. C’est gratifiant d’être récompensé et reconnu pour sa production à l’international. J’ai été primé, entre autres, à New York, pour le film sur le costume traditionnel. Sur la liste des «pays awardisés » la Martinique est devant le Mexique, par ordre alphabétique…
P.M. : Le cinéma, toujours le cinéma, votre passion. Pouvez-vous lever un bout de voile sur l’un des projets ?
P.B. : En préparation, un film An tan lontan. Il s’agit d’un film ambitieux retraçant la vie aux Antilles de 1860 à 1960. Sur cette période d’un siècle, on montrera des scènes d’antan : comment on se nourrit, on se déplace, on s’amuse, avec des tableaux sur le grand marché d’époque, la sortie de messe de la cathédrale ou encore des scènes de vie sur le taxipays, la levée par le facteur du courrier provenant de France… C’est aussi un prétexte à montrer les objets du passé. Il y a un travail remarquable qui est toujours fait en cette matière, comme cette calèche Tilbury que nous projetons de construire pour les besoins du film…
P.M. : De quelle récompense êtes-vous le plus fier ?
P.B. : Le trophée Award à Hollywood. C’était la première fois que j’étais récompensé.
J’en garde un excellent souvenir et j’ai la ferme intention de retourner là-bas.
Mon dernier film, Le secret des forteresses de la Caraïbe 2, est sélectionné au 37e Festival de Houston et au Festival des films indépendants à Rome, primé en Californie et en sélection officielle au Festival Panafricain, à Cannes, au mois d’avril 2018. Le projet qui me tient à cœur est de présenter, en 2020, une production documentaire aux oscars.
P.M. : Patrick Baucelin, le professionnel de l’audiovisuel, « le globe-trotter », comment vous organisez-vous avec un tel agenda ?
P.B. : J’ai beaucoup d’énergie mais je ne peux tout faire. Je me contente de peu, d’une alimentation équilibrée. Lors de mes déplacements, entre deux engagements, je joins l’utile à l’agréable avec des visites de musées.
P.M. : Patrick, que vous reste-t-il à faire et que vous n’ayez pas encore fait ? P
P.B. : J’ai une vie faite de belles rencontres, d’opportunités, de gens, de surprises… J’aimerais dans deux ans faire le tour du monde. Mais j’ai encore beaucoup à faire et tant que je le pourrai, je continuerai à tourner des films…
Qualité : Sérieux avec un sens de la parole
Défaut : un caractère bien trempé, mais j’y ai gagné un respect
Titre d’un livre qui vous inspire dans votre travail : Le Code Noir. Un livre que je n’ai pas compris et que j’apprends à décoder avec un historien.
Réalisateur producteur apprécié : Steven Spielberg avec son film Duel.
Chefs d’œuvres cinématographiques qui vous ont marqué : Le festin de Babette ; La leçon de piano ; Le bon, la brute, le truand.
Citation favorite : « Si tu peux ne pas voler, alors cours. Si tu peux ne pas courir, alors marche. Si tu peux ne pas marcher, alors rampe, mais quoi que tu fasses, tu dois continuer à avancer ». Martin Luther King
An tan lontan – Sortie prévue fin 2018
Le secret des forteresses de la Caraïbe, Volet 2 – 2016
Au temps des isles à sucre – 2016
Villes des Isles de La Caraïbe – 2014
Le costume traditionnel de l’esclavage à la Gran’robe – 2013
Les secrets des forteresses de la Caraïbe – 2012
Les églises de Martinique, leur histoire au fil du temps – 2007
La Martinique – 1999
Fort-de-France et ses monuments – 1997
Pour en savoir plus : www.patrickbaucelin.com
Crédit Photos: Eric Charpentier- Jean-philippe Valar- Gérard Graduel
Reportage Patricia MASTAIL
Secrétaire de rédaction : Colette FOURNIER (Lyon)
Pluton-Magazine/2018