Les murmures de Lyon

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Par Colette FOURNIER

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Il existe bien des façons de s’approprier une ville, mais ce que je préfère par-dessus tout, c’est musarder dans ses quartiers un peu cachés, ceux qui chuchotent une histoire moins vibrante mais tout aussi touchante. D’aucuns vous évoqueront donc le fastueux patrimoine culturel, historique et architectural de Lyon,  bercée entre Saône et Rhône, et ses lieux et événements emblématiques si fascinants pour le photographe : la basilique Notre Dame de Fourvière, la Croix-Rousse, la place Bellecour,  le théâtre Gallo-Romain, la place des Terreaux, les nuits de Fourvière, la fête des Lumières : autant de jalons fameux pour découvrir la biographie de la dame entre Antiquité,  Renaissance et la modernité affirmée aujourd’hui, entre autres, dans le quartier neuf de Confluence.

 

Mais il est vain de penser qu’une ville se délimite aussi strictement, se compartimente comme un camembert parfaitement coupé en passant d’un arrondissement à un autre (Lyon en compte neuf). Non ! Parfois, le promeneur glisse de quartier en quartier par des zones d’abandon, des traboules cachées, des recoins où le silence vous saisit alors que seul le vent colle à vos talons.

 

L’amour, quai Saint Vincent

 

Je fais partie des vagabonds. Des passants qui prennent leur temps, s’assoient sur un trottoir perdu dans le quartier Saint-Just desservi par un funiculaire poussif, frémissent la nuit venue à la glauque lumière de Perrache,  laide verrue plantée à la jonction d’autoroutes toujours saturées et où des égarés cherchent l’illumination, flânent le nez en l’air dans les parcs, les jardins et les courettes encerclées par des immeubles Renaissance.

 

La passerelle Mazaryk saône

 

J’aime arpenter les pentes raides de la Croix-Rousse et m’enfoncer dans ce lacis de rues où des échoppes oubliées gardent trace des artisans et compagnons qui œuvraient là.

 

 

J’aime basculer la tête et suivre la flèche des clochers, nombreux, qui pointillent le ciel lyonnais comme autant d’avertissements divins : Basilique Saint-Jean, église Saint Polycarpe, Grand temple de Lyon, la capitale des Gaulles ne laisse guère oublier, en plus de la quenelle et du saucisson, son goût pour le goupillon et le sacré. Il faut donc replonger dans le lacis des traboules pour retrouver ses autres racines, celle de la révolte des canuts et du drapeau des libertaires, toujours présents. Les pavés du vieux Lyon résonnent encore parfois, d’ailleurs, de leurs emportements.

 

La gare de Perrache

 

Ville de fleuve et de rivière, Lyon sème ses promeneurs tout au long de kilomètres de quais où le peintre côtoie le potache, les musiciens et les promeneurs de chiens, les amateurs de bière tiède servie sur des péniches recyclées, les amoureux du jogging et de la bicyclette. On y cherche des bouquins usés quai de la Pêcherie, on rêve devant l’immense paquebot vitré du musée des Confluences, on regarde des pêcheurs têtus tendre leur ligne dans une eau improbable, j’y use mes semelles jusqu’à m’oublier.

 

Basilique de Fourvières et antenne vues des quais

 

L’art gicle sur les murs. Je frôle souvent maints artistes à l’œuvre, graffeurs, pochoiristes  cachés derrière un masque blanc. La relève de Guignol s’assure sur un autre théâtre, la grande toile des murs où des slogans avides de liberté s’imposent, où des couleurs éclaboussent et des personnages grinçants vous hèlent.

 

 

L’art se cache aussi dans des théâtres minuscules, scènes camouflées dans des caves qui gardent l’empreinte des siècles, galeries où la photo est reine, salles de concert sophistiquées ou désuètes comme la salle Rameau, sobres aussi comme le décor intérieur de l’opéra  de Lyon habillé tout en noir, et sous les arches duquel des danseurs de hip hop refont le monde.

 

L’art, dans la rue ! Montée de Saint Sébastien

 

Existe aussi, grouillante et minuscule, incroyablement émouvante, la rengaine des rues  et des quartiers dont parfois et sans que l’on en connaisse la raison, la vie s’est absentée. Souvent, mon reflex cueille des devantures de boutiques fantomatiques et espiègles où de vieilles poupées s’agglutinent aux côtés de vases miroitants. Un rideau se lève sur un chat paresseux, une musique s’échappe et court le long des venelles, un bonhomme pensif consomme un petit mâchon à la terrasse de poupée d’un bouchon.

 

Maison cachée

 

J’étudie les noms des plaques de rues. Lyon, ville de résistance et de lutte, ville où la mémoire de Jean Moulin persiste encore, offre ses dehors tragiques et rutilants, souffle l’austérité du culte et la gouaille des gones dont l’accent si particulier résiste à tout. Les « o » lyonnais ne sont pareils à nul autre et se reconnaissent immédiatement.

 

Mais la vérité est qu’après dix années passées ici, en périphérie villeurbannaise, je n’ai aucune prétention à connaître quoi que ce soit de vrai sur Lyon. Je m’en imprègne, je la renifle et je la goûte par petits morceaux hétéroclites, j’ai avec elle le rapport affectueux et interrogatif que l’on a avec une voisine dont la vraie vie vous échappe.

Ce n’est pas une ville qui crie, mais un lieu qui vous parle en chuchotant.  Et c’est sûrement ce que Lyon peut vous offrir de meilleur, son visage insaisissable, terriblement multiple et séduisant.

 

Printemps montée de la Croix-Rousse

 

Le mâchon lyonnais appartient à la tradition gastronomique lyonnaise. Il consiste en un encas, généralement composé de charcuterie et arrosé d’un pot de beaujolais, servi en milieu ou fin de matinée.

Un gone : à Lyon, le mot désigne un gamin des rues, l’équivalent du titi parisien.

 

La ville aux ponts

 

 

Colette FOURNIER

Pluton-Magazine/2018

Crédit photos: Colette FOURNIER

 

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