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Le parfum des sirènes
de Gisèle Pineau
L’auteure de La grande drive des esprits, de L’exil selon Julia et de bien d‘autres encore, nous revient en cette rentrée littéraire 2018 avec un roman assez surprenant et qui, je pense, va plaire à bien des égards. Nous sommes en Guadeloupe, dans un bourg appelé Saint-Robert, plus précisément au morne Dorius, un 14 juillet, fête nationale, et la fête bat son plein. Personne ne s’imagine qu’un drame vient de se produire. En effet, on retrouve Siréna, célibataire et surtout d’une incroyable beauté, baignant dans son sang, son fils Gabriel de deux ans baignant à côté d’elle dans un pissat et du caca mélangés au sang de sa mère décédée depuis de nombreuses heures. Le médecin du bourg est appelé et conclut hâtivement à un malheureux accident, et l’affaire est classée. Cependant, dans la façon dont l’auteur nous décrit les faits, tout porte à croire que Sirena alias Sissi, jalousée par des femmes, envoûtante pour les hommes, n’est pas tombée par hasard en percutant le coin d’une table en marbre. Sa disparition n’est pas reçue avec de la tristesse absolue.
Partant de cet incident malheureux, le lecteur s’attend sûrement à une intrigue policière et à la recherche d’indices. Pas du tout. Gisèle Pineau nous entraîne alors dans une saga familiale courant sur une trentaine d’années, avec le souvenir de la défunte en fond de trame. Elle passe en revue l’état de l’île à travers cette famille et décrit comment le Morne Dorius et ce terrain familial, qui au début était un havre de paix avec des plantes et des arbres fruitiers, perd peu à peu son cachet. Au fil des pages se déroule alors la transformation de ce terrain, jusqu’à devenir un lieu d’immondices et peu recommandable. Il est vrai que si on connaît bien la Guadeloupe, on comprend parfaitement ce cheminement. Certains endroits de l’île ont beaucoup changé, année après année.
Malgré cette grande balade de trente ans, l’auteur brille dans la façon dont elle nous distille des infos ici et là et nous comprenons peu à peu qu’elle joue à Agatha Christie avec sa Miss Marple. C’est d’une subtilité absolue et en matière de rendu littéraire, on ne peut qu’admirer la façon dont elle entraîne le lecteur dans son monde et joue avec lui, au point qu’au climax le lecteur se trouve complètement étonné de l’issue de cette histoire. Car oui, la mort de Sirena n’était pas un accident, mais il serait dommage de vous livrer, ici, le résultat auquel Gisèle Pineau a tant œuvré pour arriver à une telle perfection.
Une des particularités de ce roman est que les titres des chapitres correspondent tous à des noms d’arbres, de plantes au parfum particulier. Et c’est avec plaisir qu’on peut les citer : héliotrope blanc, patchouli, frangipanier, figuier maudit, jasmin café, mangue Julie, oiseaux du Paradis.
Alors sans plus tarder, voici quelques extraits de ce roman que nous vous invitons à courir acheter le plus rapidement possible. Date de parution le 30 août 2018.
Extrait-1-
[…] Pauvre Louisette ! Au mitan de la veillée, elle avait serré Ida dans ses bras, lui soufflant que ce n’était pas juste. « Non , Siréna n’aurait pas dû mourir si jeune, mamzelle Ida. Elle avait tellement à donner encore. C’était mon amie, ma bien chère amie… ma sœur… Je la vois là, étendue morte dans ce cercueil et je ne peux pas croire qu’elle ne sera plus de ce monde… On a tellement rêvé ensemble… Elle chantait mieux que personne et elle aurait dû faire une grande carrière et … Moi-même, j’ai pas réussi… Au lieu d’être actrice je vends des souliers à Point-à-Pitre , rue Barbès… »
Au cimetière, Louisette se montra inconsolable. Elle sanglotait dans les bras de sa grand-mère. Ses larmes se mêlaient à la pluie. La malheureuse fille se mouchait sans cesse, s’essuyant le visage avec le même mouchoir plein de morve. Et les gens pouvaient bien la lorgner comme une théâtreuse de bas étage, elle pleurait Siréna, son amie disparue, mais aussi sa jeunesse , ses illusions perdues.[…]
Extrait-2-
[…] La case était meublée sommairement. Vous imaginez bien que Siréna n’y faisait pas le ménage. Elle jetait ses vêtements sales et propres sur les chaises, se dénudait et s’habillait au milieu du salon où le désordre était indescriptible. De la rue, on pouvait voir sans forcer jusqu’au tréfonds de la chambre. Les draps n’étaient jamais tirés sur le lit. La porte de l’armoire baillait malproprement. Les dames guignaient cette berezina sans sourire. Si quelques-unes s’interrogeaient sur ce qui avait poussé la Sirène à quitter le morne Dorius pour s’installer au bourg, la plupart tenaient déjà la réponse. Dans chaque coin de Saint-Robert, les hommes sautillaient, nuées de sauterelles affamées, exaspérés entre les jambes, prêts à s’abattre sur la fille. Ils n’avaient plus la tête au travail et s’ennuyaient de leur quotidien. La nuit , dans la couche, ils prenaient leurs femmes en pensant à des ébats autrement audacieux avec la sirène. Tous désiraient la posséder, même une seule fois, une petite heure. Elle était un aiguillon fiché dans leurs têtes, un rêve presque exaucé, une douce plaie bien croûteuse qui démangeaient du matin au soir. […]
Extrait -3-
[…] On pouvait pareillement compter les arbres fruitiers. Il n’y en avait plus que vingt sur le morne Dorius… Trois manguiers Julie centenaires, un pied de mangues-pommes et un jaquier, deux goyaviers, un corossolier, un majestueux arbre à pain, un bel avocatier, un cacaoyer, deux pieds de café et un mombin, un suretier, un pamplemoussier et un citronnier fatigués, enfin un gigantesque cocotier qui accouchait de ses grappes de cocos dans les nuages et nourrissait depuis des décennies plusieurs familles de rats. […]
Rédacteur D.Lancastre
Secrétaire de rédaction Colette Fournier
Pluton-Magazine/2018
Le parfum des Sirènes, Gisèle Pineau. Editions Mercure de France. ISBN 978-27152-4476-4. Prix 18,80 euros. 243 pages
AGENDA
31 août 2018
Le Livre sur les quais, Morges
Programmation à venir
05 septembre 2018
Librairie Gallimard, Paris, 7e
19 heures : soirée de lancement du Parfum des sirènes. Rencontre et dédicaces.