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Par Marie-andrée CIPRUT
Le 20 août 2018 a marqué la fin de la tutelle de l’Union européenne (UE) et du Fonds monétaire international (FMI), créanciers de la Grèce, mais pas celle de l’austérité !
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En ce jour où l’abandon de 8 ans de perfusion monétaire dans le but de rembourser les 3 plans d’aide d’un total de 289 milliards d’euros l’a plongée dans une crise qui a failli faire éclater la zone euro, la Grèce fut autorisée à emprunter seule sur les marchés monétaires, et les dirigeants européens louèrent ses gigantesques efforts d’austérité, « pressions dures pour la Grèce » selon M. Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques et financières. Il lui resterait encore une dette d’environ 180 % de son PIB (Produit Intérieur Brut) à rembourser de 2032 à 2069. Bilan de cette période : 450 réformes ; un chômage passé de 12,2 % en avril 2010 à 20,5 % en mai 2018 avec un pic de 27 % en juillet 2013 ; environ 40 % de chômeurs entre 15 et 24 ans. Le pays reste sous étroite surveillance de ses créanciers européens à qui les intérêts de cette tutelle ont déjà rapporté 7,8 milliards d’euros1.
Le lendemain 21 août, le premier ministre Alexis Tsipras choisit l’île d’Ithaque dans la mer Ionienne, point de départ et d’arrivée d’Ulysse après sa longue épopée, pour lancer un message qui se voulait optimiste. Utilisant des expressions célèbres tirées de l’Odyssée, poème de Homère au VIIIe siècle avant Jésus-Christ, il a loué le courage des Grecs, qui, comme Ulysse et Jason, ont su affronter les « Symplégades » − (roches vacillantes, deux falaises qui s’entrechoquent, situées à l’emplacement du Bosphore selon Homère, roches bleues qui se refermaient et broyaient les navires qui tentaient de traverser) − de la récession. La Grèce « reprend son destin en main », s’est-il exclamé, c’est pour elle « une nouvelle ère (qui s’ouvre) […], un jour historique […], celui de la fin des politiques d’austérité et de la récession ! »
Pourtant, 65 % des Grecs interrogés n’ont pas cru à la fin de la crise et l’inquiétude persiste.
Pourtant, la Grèce perd de 10 à 15 000 de ses jeunes, qui quittent le pays par une immigration massive.
Pourtant, d’après Daniel Mermet, journaliste ayant regroupé huit années d’émissions dans un dossier publié à cette occasion : « La population grecque a baissé de 400 000 personnes, plus de 300 000 jeunes ont quitté le pays, les salaires et les retraites ont baissé d’environ 40 %, les ménages ont perdu un tiers de leurs revenus, des dizaines de milliers d’entreprises ont fermé, le chômage est à 20 %, 35 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, bref, le bilan est catastrophique. Et pourtant ils chantent. » 2
L’ancien ministre des Finances Yanis Varoufakis, invité de la Fête française de l’Huma, dix ans jour pour jour après la chute de la banque Lehman Brothers qui a marqué le début de la crise économique de 2008, a annoncé sur France Culture3, que non seulement la situation actuelle est comparable à celle de 1929-30 ; plus encore, la crise actuelle s’inscrit dans la continuité de celle de 2008. La menace principale pour l’humanité aujourd’hui reste, à son avis, la dette privée, c’est-à-dire les banques, pas la dette publique ni les gouvernements. Il préconise donc de réformer la finance, vu qu’il n’y a pas d’union bancaire, et que ce qui a été fait il y a 10 ans a créé un faux sentiment de sécurité. Les banquiers sauvés à l’époque ont réussi, de façon merveilleuse, à dépeindre leur propre crise comme étant une crise d’État. Certaines banques ont effectivement sombré, mais celles qui étaient dans l’ombre, et donc non réglementées, se sont considérablement enrichies.
À la crise économique s’ajoute une crise migratoire dont la Grèce est l’épicentre grâce ou à cause de sa situation géographique, source d’une montée des nationalismes, notamment du parti d’extrême droite néonazi « Aube dorée », qui profite de cette présence étrangère pour attiser la haine et le rejet de ces hommes et femmes migrant-e-s confiné-e-s dans des « réserves », sur les îles de Lesbos, Chios, Kos, Leros et Samos, proches de la Turquie… Beaucoup de spécialistes affirment que l’accueil des migrants et des réfugiés n’aurait pas été un problème si l’Europe avait fonctionné en tant que véritable Union européenne, et cette question se pose de façon de plus en plus aiguë à l’approche des importantes élections européennes de mai 2019.
Nous avons toujours aimé la Grèce, l’un des berceaux de la civilisation européenne. En voiture, en bateau, en avion, nous avons parcouru le pays, du Péloponnèse avec ses joyaux de Mycène, Olympie, Spartes, etc., aux Cyclades, de Naxos à Skhinoussa en passant par Délos, Mykonos ; nous avons subi l’envoûtement d’Athènes sans pouvoir y rester plus de quatre jours pour cause de pollution principalement. Pendant les 8 dernières années, nous nous sommes souvent questionné-e-s pour savoir si nous devions soutenir l’économie grecque en y séjournant pendant les vacances, ou si ce même séjour n’était pas une trahison qui cautionnerait le mauvais accueil des réfugiés.
C’est maintenant au tour de Samos de nous livrer ses secrets !
Samos, île de la mer Egée de près de 500 km2, possible crachat de l’éruption volcanique de Santorin au IIe millénaire av. J.-C, fut colonisée par les Ioniens au XIe siècle av. J.-C… Dans l’une de ses ravissantes villes balnéaires, la propriétaire d’un ensemble de bungalows est avocate, l’une de ses deux filles est licenciée en science politique, l’autre étudiante en agronomie, le père en cuisine : image même de la débrouille familiale ou personnelle pour survivre en faisant plusieurs métiers à la fois dans l’enthousiasme et la bonne humeur, du moins apparente.
Au centre de la capitale Samos-ville ou Vathi, nous avons croisé des réfugiés sur le port et ses environs, désœuvrés, sous l’œil vigilant des garde-côtes postés sur les bateaux de l’agence européenne Frontex. Pakistanais et Afghans des années 2000 ont été remplacés par des Syriens en 2015, puis par des ressortissants d’Afrique centrale (Congolais, Togolais, Camerounais). Ils n’ont ni le droit ni les moyens de se disperser sur le continent ou dans le reste du pays, même si la situation s’est un peu assouplie en avril 2018. Ici, ils ne semblent pas représenter un danger pour les autochtones, qui, à première vue, ne nous ont pas paru leur être hostiles, contrairement aux populations d’autres îles.
Les promenades sur l’île nous permettent de découvrir des plages coquettement aménagées, notamment avec des cabines en bois pour se changer, rappelant celles des côtes normandes françaises de la Belle Époque ; d’extraordinaires paysages, des arbres grenadiers ployant sous leurs fruits qui explosent de maturité, des oliveraies partout, des vignes en escalier, une floraison luxuriante, des monastères difficilement visitables pour cause d’horaires variables, de vieux villages perchés semi-déserts où la population de « séniors-plus » vous sert une nourriture simple mais savoureuse, mijotée quotidiennement par de vaillantes cuisinières dans de minuscules cafés-restaurants authentiques richement fleuris et décorés… Des centaines de chats, pas d’enfants, pas d’école, pas de jeunes : ils sont presque tous partis pour Athènes, ou se sont exilés à la recherche d’un travail. Nos discussions avec les locaux nous révèlent que, sur pas loin de 11 millions de Grecs, 6,5 millions vivaient à l’extérieur du pays en 2015, principalement aux États-Unis, 3 millions se sont expatriés depuis les années 2000. Chicago en compte 300 000, ce qui en fait la troisième ville grecque du monde après Athènes et Salonique4. Certains ajoutent même que la Grèce n’a pas le droit de refuser les réfugiés, elle qui en a tant répartis en diaspora ou « omogenia » !…
Dans le même temps, mi-septembre 2018 à l’ouest de la péninsule, la plage de la petite ville d’Aitoliko fut envahie par les toiles de myriades d’araignées géantes d’environ 2 cm de long, les « teragnatha », friandes des moustiques en abondance en cette période, capables de se déplacer encore plus vite sur l’eau que sur le sol, et connues pour être des tisseuses particulièrement prolifiques en saison des amours.
Ce littoral méditerranéen se trouva ainsi rapidement recouvert d’un voile blanc sur plus de 300 mètres, formant une sorte de frontière qui séparait le rivage de la mer. Est-ce le symbole d’une tentative d’« isolement », ou d’une « manne » – nourriture céleste – employée aujourd’hui pour définir le phénomène d’invasion de ces innombrables insectes éphémères qui étoffent et aveuglent l’atmosphère en une seule soirée avant de s’éteindre au bout de quelques heures en laissant une odeur fétide, mais sont les annonciateurs d’une pêche miraculeuse ?
Les teragnatha en bacchanale, la manne ou l’abondance éphémère ; invasion des uns sur les côtes, des autres sur les rivières, les fleuves et la mer, des migrants sur les plages : je m’égare mais pas que !…
Bacchanale et abondance : ces quelques jours à Samos, berceau du philosophe Épicure et du mathématicien Pythagore, île située dans la partie orientale de la mer Égée, la plus proche du asiatique puisque séparée de la Turquie par à peine 2 kilomètres, rattachée à la Grèce seulement depuis 1912, ont éclairé d’un jour personnel le problème des réfugiés, celui de la crise et partant, les occupations multiples de ses habitants.
Certains comptent, d’autres chantent !… Sur les hauteurs de Samos, il faut gravir 320 marches escarpées, grossièrement taillées dans un étroit sentier rocailleux qui serpente les flancs arides du mont Kerketeas, pour atteindre la grotte où Pythagore s’était « réfugié » après avoir longtemps voyagé à travers le monde. Peut-être que ce brillant mathématicien y a inscrit la formule qui permettra de sortir le pays de son marasme économique ?
Combien reste-t-il de marches à cette Grèce pythagoricienne pour approcher le bonheur épicurien, quête des seuls plaisirs « naturels et nécessaires » ?
Qui le sait !…
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Par Marie-andrée CIPRUT
Secrétaire de rédaction Colette FOURNIER
Pluton-Magazine/2018
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Marie-andrée CIPRUT, psychologue FSP, psychologue-psychothérapeute, ancienne responsable clinique à l’association Pluriels, « Centre de Consultations Ethnopsychologiques pour Migrants » dont elle fut l’un des membres fondateurs en 1995, jongle avec l’Interculturel depuis son plus jeune âge.
Martiniquaise d’origine, elle fait des études secondaires à Paris suivis d’un double cursus universitaire à l’Ecole d’Interprètes de Genève, puis à la faculté de psychologie avec Jean Piaget.
Elle a pratiqué comme traductrice Français-Anglais-Espagnol, comme enseignante de Français à Zurich et à Bâle avant d’ouvrir un cabinet de psychologie clinique à St-Louis (Alsace) parallèlement à une collaboration avec une psychanalyste de Bâle. De retour à Genève, elle poursuivit une activité de formatrice en Interculturel débutée à l’Institut de Médecine Tropicale de Bâle, anima régulièrement des groupes thérapeutiques, exerça comme co-thérapeute en Ethnopsychiatrie tout en poursuivant des recherches théoriques.
Après avoir assuré les supervisions cliniques de certains professionnels de la migration, elle se consacre aujourd’hui à l’écriture, aux conférences, colloques et témoignages sur le vivre ensemble.
Marie-Andrée CIPRUT travaille au sein des conseils d’administration du CCFC (Club Culturel Franco-Caraïbe) et de l’AGRAF (Association Gessienne contre le Racisme et le Fascisme), dont elle fut pendant trois ans présidente, jusqu’à janvier 2009.
Elle est membre d’un couple biculturel « caraïbo-helvétique » depuis plus de 40 ans. (Source Potomitan)
Notes:
1 Les chiffres sont tirés de la vidéo de Laurie Fachaux, journaliste à TV5 Monde, le 24 août 2018 : https://information.tv5monde.com/info/vrai-dire-apres-trois-plans-de-sauvetage-la-grece-va-t-elle-vraiment-mieux-256345
3 https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-actu/yanis-varoufakis
4 http://www.bibliomonde.com/donnee/grece-diaspora-322.html