ELYTIS Édition, un éditeur de littérature de voyage en vogue

Par Jean-louis LORENZO

 

de Rudyard Kipling à Hubert Reeves…

Née d’un premier élan familial, l’édition bordelaise a pris son envol véritable à partir de 2005, avec aux manœuvres deux jeunes frères, Xavier et Jean-Baptiste Mouginet ; c’était un pari, avec les tâtonnements du début, mais des compétences, une ligne éditoriale ensuite de plus en plus affirmée, puis une étape clé en 2009 avec une diffusion nationale grâce à Harmonia Mundi. Aujourd’hui, Elytis est fière de ses 240 titres au catalogue.

« C’est le voyage qui s’est imposé à nous »

Au départ, il y eut la série remarquée des Meurtres peu conventionnels à…  C’est Pierre Mazet qui l’inaugura, avec la ville de Libourne pour cadre de son récit, dans un contexte de début de guerre, en juin 1940. Mais l’idée de travailler autour du thème du voyage devait finir par surgir dès 2007. Il est vrai que très jeunes, en famille, les garçons et leur sœur Cécile naviguaient ou volaient vers des destinations du bout du monde, de quoi en effet puiser des idées pour la suite, mais Xavier Mouginet, s’il y voit une racine, estime ne pas l’avoir cherché, que c’est plutôt « le voyage qui s’est imposé à nous dans l’édition. » Les deux frères ont trouvé leur marque tout naturellement, dans une complémentarité bien huilée, indispensable, avec le concours précieux d’un directeur de collection : « Dans les maisons d’édition, dit Xavier, il y a toujours des gens qui sont en proche périphérie et qui peuvent intervenir sur des missions ponctuelles et c’est bien précieux. Ce peut être des littéraires ou bien alors des personnes aux connaissances bien affirmées sur un sujet, comme sur l’Asie du Sud-est dont ils maîtrisent (le sujet), ou encore des scientifiques, je pense par exemple au  Journal d’un océanographe, de Paul Tréguer : tout au long de ses travaux sur les océans, pendant une trentaine d’années, il a consigné bien des récits que nous avons publiés dans cet ouvrage ; et puis bien sûr des illustrateurs, vous avez pu mesurer que nos ouvrages sont abondamment illustrés, ça nous y tenons vraiment, souvent dessins, croquis originaux, documents jaunis auxquels nous redonnons vie. »

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La singularité d’Elytis, c’est en effet une profusion d’ouvrages magnifiquement illustrés ; les trois pivots de la maison d’édition : le voyage donc, le thème historique aussi, c’est-à-dire le voyage dans l’Histoire et l’histoire du voyage même ; le troisième niveau, c’est l’iconographie, là on travaille avec beaucoup de dessinateurs, d’illustrateurs, de photographes aussi, des gens d’images globalement, pour aboutir à des carnets de voyage, des beaux livres illustrés contemporains ou anciens, reliés à l’histoire. Et ça signifie aussi quelque 200 collaborateurs occasionnels qui interviennent donc ponctuellement, la plupart vivant en France, d’autres à l’étranger comme un collaborateur à Tokyo.

Des histoires, des aventures, des parcours de vies, parfois incroyables

Ils sont assez peu nombreux, en France, dans ce concept, même si le secteur voyage offre bien des guides, de l’incontournable Le Routard à Lonely Planet,  Le Michelin, tant d’autres… pour eux cela implique une mise à jour permanente, c’est un secteur en évolution, trusté par les grands groupes. Elytis se positionne dans un autre espace, celui où intervient par exemple l’ethnologue, l’homme du « terrain », qui observe, essaie de comprendre, consigne, analyse, déduit. Son objectif ne s’arrête pas là puisqu’il s’agit ensuite de ramener le fruit de sa moisson pour la communiquer enfin aux autres. « Et il y a un peu de ça dans le métier d’éditeur, dit Xavier Mouginet, on va chercher des choses, des histoires, des aventures dans ces parcours de vies, parfois incroyables, que l’on croise et on va en faire un livre. » Des mots et des merveilles, pourrait-on écrire, c’est flagrant chez Elytis quand on passe en revue ses ouvrages, car si les textes sont, bien sûr, incontournables, l’image l’est tout autant, les photos nouvelles ou anciennes, les dessins, c’est un dosage harmonieux toujours, on obtient au bout du compte, parfois, une véritable œuvre d’art. Ainsi avec  Éthiopie, pas moins de 400 pages ! c’est un cheminement passionnant dans une histoire millénaire où nous suivons ce fin connaisseur des cultures d’Afrique qu’est François Claerbout, enseignant au Niger. C’est un livre d’une érudition exceptionnelle sur les Dogons, grâce à lui.

« Ce qui est important pour nous, c’est de travailler l’objet livre »

Comprendre qu’avant d’être un contenu, le livre, c’est un contenant et du coup l’éditeur bordelais travaille la façon, le choix des papiers, les reproductions, les reliures, beaucoup cet aspect graphique du livre ; « donner envie de lire, c’est aussi donner l’envie de l’objet livre », insiste-t-il. Ainsi, dans ce carnet naturaliste de Stefano Faravelli,  Madagascar, stupeur verte, publié en 2017 et qui a obtenu le Grand Prix du Festival de voyage de Clermont-Ferrand, la forêt pluviale de la grande île fait l’objet, avec sa faune, de superbes planches d’aquarelles réalisées lors d’une mission scientifique. Il vient de succéder à d’autres carnets illustrés, comme Le joli petit monde d’Hubert Reeves, avec des dessins de Cécile Léna, ou encore  De la ville à la jungle, une aventure au Pérou, par l’architecte Slovia Roginski.

Dans une collection voisine, « Petits passeports pour le Monde », Elytis travaille l’iconographie, faisant appel à des illustrateurs, des carnettistes, là aussi, qui ont voyagé, rapporté esquisses et notes, comme pour l’un des derniers ouvrage sur la Nouvelle Zélande, dont l’auteur leur a proposé un carnet de terrain, dessiné. À cela s’ajoute aussi (nous sommes à Bordeaux !) une collection, pour un regard sur le vignoble, un château, en forme d’entretien avec un viticulteur pour constituer ainsi une petite bibliothèque de référence.

L’Asie, passion éditoriale

L’Asie occupe aujourd’hui, en effet, une belle place dans les publications de l’éditeur. Dans le thème du voyage, il y a beaucoup celui de l’histoire coloniale, et cela conduit aux territoires, comme la publication sur Madagascar, pour ce qui est de l’océan Indien, mais encore sur le Vietnam pour aimer y mêler aussi l’aspect historique, iconographique, etc. Exemple avec Mon mariage chinois : « En effet, au début, avec cette publication de Danielle Dufay, l’un des premiers livres de la série, on a vite mesuré l’engouement du lecteur pour ce type d’ouvrage qui nous a aussitôt convaincus qu’on pouvait consacrer une série au voyage. C’est une dame qui est venue nous voir un jour, elle avait retrouvé avec beaucoup d’émotion toute la correspondance de sa grand-mère partie se marier en Asie, dans les années 20 avec un Chinois rencontré en Angleterre, lui étant étudiant, elle, fille au pair ; la guerre les séparera pendant quatre ans, avant qu’elle n’aille le rejoindre en Chine, avec au bout bien des désillusions… C’est l’histoire à la fois romanesque de son voyage, via son abondante correspondance, de son arrivée là-bas, de ses déceptions. La manière dont on travaille, c’est justement ça, de rentrer dans la grande Histoire, d’un territoire donné, par le prisme de la petite histoire, les péripéties familiales et ça, ça la rend, cette grande Histoire, beaucoup plus accessible, parlante. D’autant plus intéressant qu’on avait un beau « matériau » à disposition, à la fois, le texte de l’auteur, l’échange de courriers entre cette femme et sa sœur qui était restée en France, et aussi beaucoup de photos anciennes, de documents, cartes postales, bref, une vraie moisson pour faire quelque de chose de bien ! – ce livre marche très bien à Hong-Kong où il y a une belle librairie française –. »

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Vietnam

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« Et puis, on sait aussi faire revivre des ouvrages tombés plus ou moins dans l’oubli, on aimerait en produire davantage, comme celui-ci qui a remporté un succès évident :  Lettres du Japon – il nous était accessible puisqu’il appartient désormais au domaine public – de Rudyard Kipling, alors brillant journaliste qui, ayant vécu au Japon, en décrivait les mœurs et coutumes au début du siècle, dans un journal pakistanais. Et ça nous intéressait parce qu’on a là le voyage mais aussi l’aspect historique d’avant la fin de la féodalité. »

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Alors, question aussi au passage, qu’est-ce qui sort du lot ? « Eh bien, dit-il, depuis déjà pas mal de temps, il y a en tête la Birmanie qui s’ouvre au tourisme, puis vient l’Iran, et le troisième, c’est l’Éthiopie, ces territoires suscitent l’intérêt et du coup, lors de rencontres dans les salons du livre, l’éditeur note un questionnement évident par rapport à ce qu’il est susceptible de proposer sur le sujet. Mais le Japon continue toujours à être le favori. » Il précise aussi que les Coréens du sud ont été passionnés par Hubert Reeves – deux livres publiés – certains sont très francophiles, ils ont une attirance pour la culture française et de ce fait achètent beaucoup de droits dans cet esprit.

Mais s’endormir avec Romain Garry…

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Un public candidat au voyage

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Les livres se succèdent, au rythme des salons, à ce sujet, il note l’incontournable et remarquable lieu attractif que constitue Clermont-Ferrand, l’unique et grand rendez-vous des carnets de voyage en France, celui aussi de Bruxelles à l’accès gratuit, à l’inverse du trop cher salon parisien qui décourage visiteurs comme exposants (Paris a perdu 1/3 de ses exposants en cinq ans…). Il attribue une mention aussi plus que favorable au  Livre en Poche de Gradignan, en périphérie bordelaise, incontestablement le plus grand de France dans la spécialité. La maison Elytis, quant à elle, suit bien sûr une pente ascendante malgré la jungle des 80.000 livres publiés chaque année en France ! D’où la singularité de l’éditeur qui a su tirer son épingle du jeu dans sa spécialité pointue. En partenariat avec l’éditeur Transboréal, il possède en outre deux librairies à Nantes et Montpellier, autant de vitrines et de positionnement des stocks, la Géothèque dans la première, la Géosphère chez l’autre ; et comme l’union fait la force, L’Union des Éditeurs de Voyage Indépendants a vu le jour, dans laquelle Elytis est partie prenante. Ils sont neuf dont quatre Parisiens et un éditeur belge, pour des actions communes sur les salons, démarche synonyme de synergie…

Alors l’ouvrage ne manque pas, on l’aura compris ; et même après le travail, le… travail continue d’ailleurs pour Jean-Baptiste et Xavier, à la maison pour des relectures, mais « le plaisir quand même, ajoute Xavier, c’est de lire oui, mais cette fois au lit en simple lecteur », pour retrouver l’un de ses auteurs favoris, sinon le premier, Romain Gary.

 

Xavier Mouginet/Jean-Baptiste Mouginet

Liens utiles : www.elytis-edition.com

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Rédacteur Jean-louis LORENZO (Bordeaux -Aquitaine)

Secrétaire de rédaction Colette FOURNIER (Lyon)

Pluton-Magazine/2018/Paris 16e

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