Florence Elias, soap opera star : portrait d’une physicienne qui fait danser les films de savon

Par Elisabeth BOUCHAUD

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Science

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Florence s’installe dans un fauteuil, sous le puits de lumière, dans mon bureau. Je ne sais pas trop à quoi m’attendre. Je connais la physicienne. Je vais découvrir une personnalité bien plus riche, mais je ne le sais pas encore…

Elevée à Orsay, par des parents scientifiques, elle s’imagine très vite à l’université. « Le fait d’aller à l’université m’attirait beaucoup plus que ce que je pouvais y étudier ! » s’amuse-t-elle. L’université lui apparaît alors en effet comme un lieu d’autonomie, et de liberté. « Mes parents avaient été soixante-huitards. L’université était pour moi un lieu où tout pouvait se passer ! ». Et comme elle est indécise, on lui dit « Fais donc des sciences, tu te fermeras moins de portes. »

C’est en deuxième année à la fac que la physique commence à lui parler. Mais elle est aussi attirée par la philosophie. « J’étais un peu frustrée, car en terminale scientifique, on survole un peu tout, on n’approfondit pas grand-chose. » Elle décide donc, après ses deux premières années, de s’inscrire en licence de philosophie. « Mon DEUG de sciences me donnait le droit de m’inscrire directement en deuxième année ». Elle arrête donc d’étudier les sciences pendant une année entière, pour se consacrer à la philosophie. Et abandonne Orsay pour Paris.

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L’instabilité du hérisson : lorsqu’une goutte de ferrofluide (environ 5 mm de diamètre) est posée sur un aimant, elle est non seulement attirée et reste collée à l’aimant, mais sa surface se couvre de pics liquides qui pointent dans la direction du champ magnétique.

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« Là aussi, j’ai eu des enseignants qui m’ont profondément marquée, surtout Etienne Balibar, en épistémologie. » Comme c’est la philosophie des sciences qui l’intéresse le plus, ses professeurs lui conseillent de reprendre ses études de science. Elle fait donc en même temps une licence et une maîtrise de physique à Jussieu, et une licence de philosophie des sciences à La Sorbonne. « C’est bien cette liberté que je recherchais. J’avais envie de décider moi-même de mon parcours, de le façonner, plutôt qu’on ne me l’impose. »

C’est cependant la physique vers laquelle elle se tourne. « C’est ce qui m’intéressait le plus », confie Florence. Elle choisit d’abord de se spécialiser en physique des solides, puis entame une thèse de doctorat à Jussieu, à la suite de laquelle elle passe un an dans le prestigieux laboratoire Cavendish à Cambridge, en Angleterre.

Pendant sa thèse, qu’elle soutient en 1998, elle étudie les « ferro-fluides », des liquides qui ont la propriété d’être attirés par un champ magnétique. « Un tel fluide est constitué par de toutes petites particules (des nano-particules) qui sont en fait de petits aimants. Avec un aimant on peut donc « promener » un ferro-fluide ! On peut inverser la pesanteur et le faire s’écouler vers le haut ! » Ce que Florence étudie dans ces fluides très particuliers, ce sont les instabilités. « La surface d’un ferro-fluide est normalement plate. Mais sous champ magnétique, des motifs se forment : des pics, des labyrinthes… C’est très beau.».

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Le labyrinthe : déstabilisation de l’interface d’une goutte de ferrofluide bi-dimensionnelle sous l’effet d’un champ magnétique perpendiculaire. La goutte de ferrofluide (en noir, environ 3 cm de diamètre) est prise en sandwich entre deux plaques horizontale transparentes. Initialement ronde, la goutte est brutalement soumise à un champ magnétique perpendiculaire aux plaques : des doigts équidistants poussent très vite et s’allongent à la surface de la goutte. La structure finale est un labyrinthe. Entre la première et la dernière image, il s’est écoulé environ 4 secondes.

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A son retour d’Angleterre, en 1999, elle décroche un poste de maître de conférences à Jussieu. « Mes parents en étaient très fiers. » Elle poursuit ses recherches sur les ferro-fluides, et en fait des mousses. « De retour à Paris, j’ai suivi le cours de Pierre-Gilles de Gennes sur les mousses, au Collège de France. Ca m’a donné envie de poursuivre mes recherches dans ce domaine. »

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CHROMATIC BUBBLES OU LA DANSE DES BULLES DE SAVON Des savants sur les planches par Florence Elias : Physicienne Maitre de conference a l Universite Pierre et Marie Curie et le Trio Artemisia Tania Castro : Flute traversiere Ines Lopez-Bisquert : violon alton Alessandra Magrini : Harpe Theatre de la Reine Blanche Paris le 5 fŽvrier 2019 © Pascal Gely

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Florence n’a pas vraiment souffert d’être une femme dans sa carrière. Elle admet cependant que les femmes qui accèdent à une promotion au grade de professeur – qu’elle a elle-même obtenue – sont rares, alors qu’il y a beaucoup de femmes maîtres de conférences. « Ce qui est difficile, c’est la pression sociale. Beaucoup de femmes ne candidatent pas à des postes de professeurs ou de directrices de recherche. » Et elle ajoute : « Ce qui est difficile, pour les femmes, c’est d’obtenir la confiance de leurs collègues. Quand on voit le nombre de femmes invitées à parler dans les grandes conférences spécialisées, on se rend compte qu’être prise au sérieux par ses pairs est plus difficile pour elles. »

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Florence a deux enfants. « J’ai un trou de publications… Quatre mois d’interruption, quand on fait de la recherche, on les sent passer », avoue-t-elle. Heureusement, son compagnon partage tout, à la maison comme auprès des enfants. « C’est essentiel. » Mais les contraintes imposées par la vie de famille lui ont aussi permis d’évoluer. « Savoir que le temps est compté, qu’on ne peut pas continuer à travailler au-delà d’une certaine heure, par exemple, m’a forcée à être efficace. »

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Sur la scène de La Reine Blanche, Florence Elias explique comment sont constitués les films de savon.
CHROMATIC BUBBLES OU LA DANSE DES BULLES DE SAVON Des savants sur les planches par Florence Elias : Physicienne Maitre de conference a l Universite Pierre et Marie Curie et le Trio Artemisia Tania Castro : Flute traversiere Ines Lopez-Bisquert : violon alton Alessandra Magrini : Harpe Theatre de la Reine Blanche Paris le 5 fŽvrier 2019 © Pascal Gely

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Pendant quelques années, son laboratoire émigre dans les locaux de l’hôpital Boucicaut désaffecté, désamiantage de Jussieu oblige. « Je me suis sentie assez isolée, là-bas. J’ai eu un peu un coup de blues. » Quand le laboratoire « Matière et Systèmes Complexes » se constitue, en 2005, Florence retrouve son enthousiasme. « C’était formidable, plusieurs équipes qui travaillaient sur ce qu’on appelle « la matière molle » se sont réunies pour constituer ensemble ce laboratoire. J’y ai beaucoup participé. » L’emménagement se fait en 2007.

Elle s’intéresse rapidement à l’acoustique des mousses, et commence, un peu par hasard, à faire danser les films de savon. Il faut dire que Florence aime la musique, elle joue du violoncelle.

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Florence Elias en plein réglage !
CHROMATIC BUBBLES OU LA DANSE DES BULLES DE SAVON Des savants sur les planches par Florence Elias : Physicienne Maitre de conference a l Universite Pierre et Marie Curie et le Trio Artemisia Tania Castro : Flute traversiere Ines Lopez-Bisquert : violon alton Alessandra Magrini : Harpe Theatre de la Reine Blanche Paris le 5 fŽvrier 2019 © Pascal Gely

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Et bien sûr, elle enseigne. « 192 heures par an, c’est beaucoup trop. Quand j’arrive à enseigner 100 heures par an, c’est idéal. » Florence aime particulièrement enseigner aux premières années, pour leur donner tôt le goût de la physique. « Avec un prof de sport, j’avais construit un cours de physique de l’escalade. C’est important de montrer que la physique n’est pas restreinte à la salle de classe. »

Son nouveau sujet de recherche ? « Les mousses marines ! Sur certains littoraux, on voit, au printemps, se former une mousse très stable. Et on s’est rendu compte que cela nuisait au phyto-plancton. » Est-ce de la pollution ? « Pas du tout ! C’est dû à l’efflorescence d’une algue : cette micro-algue envahit tout le milieu marin au printemps. Personne n’a encore vraiment étudié la mousse, pour comprendre le phénomène. »

Ce qu’elle aimerait faire d’autre, dans l’avenir ? « Ecrire », répond-elle sans hésiter. « J’ai un roman en gestation, mais je n’ai pas beaucoup de temps pour y travailler. »

On se souhaite de le lire un jour, ce roman. Décidément, avec l’élégance de sa discrétion, Florence Elias recèle bien des talents…

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Pluton-Magazine/2019

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