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Par Nelson JEANTILUS
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Art-Littérature
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Dévoilement, après deux siècles, du tableau restauré Sans-Souci, du peintre haïtien Numa Desroches et lancement du livre posthume du politologue Cary Hector.
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Le peintre haïtien Numa Descroches et le politologue Cary Hector étaient à l’honneur lors d’une cérémonie qui a eu lieu le jeudi 25 Avril 2019 au Centre de conservation de Biens Culturels (CCC) sur le Campus de l’Université Quisqueya d’Haïti. Il s’agissait en fait de la présentation du tableau restauré « Sans-Souci », représentant le palais Sans-Souci construit sous la commande du général Henri Christophe, autoproclamé roi de la partie nord de l’actuelle Haïti, sous le nom d’Henri I en 1811, et de l’ouvrage posthume de Cary Hector, professeur à ladite université, intitulé Haïti : transition post-autoritaire et construction démocratique.
Devant un public composé de différentes personnalités du monde de la culture d’Haïti, de professeurs, de représentants d’institutions internationales, de journalistes et d’étudiants, le dévoilement et l’exposition du tableau Sans-Souci de Numa Desroches sur l’estrade ont suscité l’admiration de plus d’un devant cette œuvre colossale. Ce chef-d’œuvre charrie un pan important de l’histoire de ce pays. Après environ deux cents ans, ce travail entre dans la perspective de revitalisation du patrimoine culturel haïtien.
L’autre évènement en matière de jumelage était la présentation et la publication de l’ouvrage posthume de Cary Hector, professeur émérite de cette institution académique. Avant son départ pour l’orient éternel, on lui a promis de publier son livre en été 2017. Mais, en un seul moment, l’Université, en partenariat avec les Éditions du CIDIHCA, a organisé la sortie de son livre, ce 25 avril 2019.
Dans son allocution, le recteur Jacky Lumarque a précisé que l’idée, dans le cadre de cette célébration, vise le rapprochement de deux œuvres de l’esprit produites dans des contextes très différents. Un peintre naïf du 19e siècle avec un politologue du 21e siècle. M. Lurmarque, essaie de mettre en relief le lien en plusieurs points :
« Commençons par le tableau de Numa Desroches, admirablement restauré par Franck Louissaint, avec le talent inégalable qu’on lui connaît, lui qui sait si bien redonner une seconde vie aux chefs-d’œuvre endommagés ou ayant subi les outrages du temps. Il en a restauré plus d’une centaine ! Ma thèse est que ce tableau n’est pas la reproduction d’une réalité physique, il est la représentation d’un projet politique.
Partons toutefois des réalités, tout d’abord du château de Sans-Souci en Allemagne, qui a donné son nom au nôtre. C’était le palais d’été du roi de Prusse Frédéric II (dit Frédéric le Grand), bâti entre 1745 et 1747, à Potsdam. Deux mots sur la personne de Frédéric II. Il est resté dans l’histoire comme un despote « éclairé ». Sa grande œuvre a été la guerre et l’extension de son royaume. Il se concevait comme serviteur de l’État pour lequel « la couronne n’est qu’un chapeau qui laisse passer la pluie ». Il était amateur d’art et de philosophie, plaçait sa vie sous le règne de la raison. Il est mort le 17 août 1786, âgé de 74 ans, assis à sa table de travail dans son palais. Dans son testament, il avait émis le souhait d’être « enterré à Sans-Souci sans splendeur, sans pompe et de nuit », ce qui advint plus tard.
La demeure royale à Potsdam était une résidence privée, à taille humaine, faite pour se détendre, loin des solennités de la cour berlinoise. Frédéric II y recevait le philosophe Voltaire et la conversation se faisait uniquement en français. Le « château » s’apparentait davantage à une grosse villa où le roi réunissait ses proches, sans être soumis à l’étiquette royale et sans volonté d’apparat. D’où le nom de Sans-Souci, lieu de vie bienheureuse faite de culture et de divertissements raffinés.
En Haïti, comme on le sait, le palais Sans-Souci fut construit, lui, à partir de 1810 et achevé en 1813, à l’initiative du général Henri Christophe, roi autoproclamé sous le nom d’Henri Ier en mars 1811, de la moitié nord de l’actuelle Haïti. Ses annexes regroupaient caserne, hôpital, ministères, imprimerie, hôtel des monnaies, école, académie d’art, ferme, église et aussi usine. Le style de cet édifice surnommé par les témoins de l’époque le « Versailles des Caraïbes », était le fruit d’un mélange inspiré de tout ce qui s’était construit au XVIIIe siècle dans l’Europe baroque. Et surtout, à l’opposé du château de Potsdam, il était par son style architectural l’expression d’une volonté d’affichage du nouveau pouvoir, la représentation d’une nouvelle fierté.
Henri Christophe avait aussi pour ambition de démontrer par ce geste, notamment aux yeux des Occidentaux, que les descendants d’Africains n’avaient rien perdu (je cite là l’historien Michel Rolph Trouillot) du « goût architectural et du génie de leurs ancêtres qui ont couvert l’Éthiopie, l’Égypte, Carthage et l’ancienne Espagne de leurs superbes monuments » (sic).
On connaît la suite, malheureuse. Le 8 octobre 1820, affaibli par une attaque cérébrale, et alors qu’une révolte gronde parmi le peuple contre les lois agraires, le roi Henri Ier choisit de se suicider dans la chapelle du palais, d’une balle au cœur. Quant au palais et à ses dépendances, un véritable embryon d’appareil d’État, l’ensemble fut ruiné par deux séries de violents séismes, celui du 7 mai 1842, qui détruisit le Cap-Haïtien, puis le tremblement de terre de février 1843. Le palais ne fut jamais reconstruit. Fin tragique d’un rêve de grandeur.
Le palais Sans-Souci est aujourd’hui à l’état de ruines. Une dégradation qui a débuté depuis la mort de Christophe. Les nombreuses pertes, matérielles à l’évidence – qui continuent jusqu’à aujourd’hui – tendent à réduire l’éloquence des réalisations de cette période de notre histoire. L’oubli et le silence que la production de l’histoire et le pouvoir imposent aux vaincus passent aussi par la destruction des traces matérielles, la destruction des corps humains et des artéfacts qui transforment les évènements en faits historiques. Cette restauration est quelque sorte un plaidoyer pour la préservation des ruines de Sans-Souci.
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Venons-en maintenant au tableau de Numa Desroches peint entre 1815 et 1818, du vivant d’Henri Ier, alors qu’il était encore adolescent, ce qui expliquerait, selon certains critiques d’art, quelques maladresses qui font que ce tableau ait été qualifié de « naïf ». La représentation que donne Numa Desroches du palais Sans-Souci est inspirée du même esprit de grandeur. Comme le dit fort justement Gérald Alexis, grand connaisseur de l’univers créatif haïtien, tout concourt à donner aux sujets du roi l’idée d’un lieu majestueux, ordonné, quasiment géométrique et monumental. L’horizontalité des lignes contribue à conférer à l’ensemble architectural une expression de stabilité. Le palais proprement dit et les appartements royaux apparaissent comme les éléments les plus importants, l’environnement jouant un rôle secondaire. C’est une image de prestige, l’expression de la grandeur d’un homme. C’est un hommage à Henry Christophe dont nous allons commémorer le bicentenaire de la mort en 2020.
Alexis conclut : « Le tableau est une image de propagande ». Sans aller jusque-là, on peut dire que c’est une représentation idéalisée. Je citerais encore Alexis qui va dans ce sens : « L’alphabétisation de la population n’étant pas encore généralisée, une image comme celle-ci représentait le support idéal pour dire avec une grande facilité ce lieu majestueux. Les sujets du roi recevraient donc une telle image comme une réalité incontestée et incontestable ».
Vous noterez que l’on ne discerne dans ce tableau aucune présence humaine. Le palais est comme intemporel, anhistorique, immobile. Il échappe à toute contingence qui en relativiserait l’importance. Le seul élément de vie, de mobilité, ce sont ces quelques oiseaux qui volent vers l’horizon, de taille disproportionnée par rapport aux édifices. Quelle signification leur accorder ?
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Venons-en maintenant à Cary Hector.
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Premier élément d’ordre biographique : parmi nos universitaires haïtiens, l’un des plus germanophones et germanophiles était sans conteste Cary Hector. Boursier du gouvernement allemand, il effectua ses études à l’Université Libre de Berlin-Ouest, de 1957 à 1963, où il obtint un doctorat en science politique (Der Staatsstreich als Mittel der politischen Entwicklung in Südamerika von 1930 bis 1955 = Le coup d’État comme moyen de développement politique en Amérique latine). Au cours de son séjour, il s’est intéressé à Frédéric le Grand, à son action d’homme d’État, et au palais de Potsdam.
Deuxième élément d’ordre esthétique : Cary éprouvait de l’admiration pour le tableau de Numa Desroches, il appréciait la qualité du dessin et les tons plutôt doux des couleurs. Il faut dire que ce tableau est sans équivalent et exceptionnel. Sans hésiter, Gérald Alexis le considère comme l’un des plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art haïtien et il signale à juste titre que le tableau fut présenté en 1959 lors de la première grande exposition d’art haïtien aux États-Unis, à la Pan American Union de Washington DC. Il n’est pas étonnant que cette œuvre ait trouvé en Cary une résonance particulière, autant sur le plan de la jouissance esthétique, que sur celui des réflexions politiques qu’elle lui inspirait.
Troisième élément d’ordre intellectuel et politique : c’est précisément sur ce point, le plus important à mon avis, que je souhaite m’attarder un peu plus longuement. Lorsqu’il travaillait au Cap-Haïtien, Cary a été amené au cours de la période 1998-2010 à connaître de plus près le palais Sans-Souci. Il y emmenait ses amis. Le lieu était l’occasion d’une incursion dans l’histoire du pays et de cette région.
Le spécialiste en restauration d’art, M. Franck LOUISSAINT, a pris le soin de présenter à l’assistance les différentes étapes de la mise en état du tableau Sans-Souci. L’on est parti de son état premier pour redonner à cette œuvre sa beauté d’antan. En effet, dans un entretien avec le directeur de la communication de l’UniQ, M. Alain SAUVAL, il a précisé que ce tableau se trouvait auparavant à la bibliothèquede l’école des Frères de Saint-Louis de Gonzague. Par ce travail, ce tableau de Numa Desroches, qui a passé tous les périples du temps, connaît maintenant une nouvelle naissance. D’où l’importance de ce centre de conservation et de restauration d’œuvre d’art au sein de la communauté haïtienne. La construction de ce dernier s’inscrit dans le cadre de la convention du 24 janvier entre l’UniQ et la Smithsonian Institution. Il a été inauguré en juin 2016.
Cette manifestation a pris fin avec la lecture d’un texte d’hommage de Leslie Péan à Cary Hector par M. Guy-Serge POMPULUS. Ce texte se veut être, à la fois, un éloge de son amitié avec Cary et un résumé de son ouvrage autour de la problématique de la transition démocratique en Haïti.
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Nelson Jeantilus
Pluton-Magazine/2019